« La science est une chose trop importante pour être laissée entre les mains des seuls savants. » (Carl E. Sagan)

Appel de scientifiques contre un nouveau programme nucléaire

Appel de scientifiques contre un nouveau programme nucléaire

A l’initiative de membres du Groupement de Scientifiques pour l’Information sur l’Energie Nucléaire (GSIEN) et de l’association Global Chance, de médecins, d’enseignantes et d’enseignants, d’ingénieures et d’ingénieurs, d’universitaires et de chercheurs, est lancé cet appel à refuser tout nouveau programme nucléaire, imposé et qui engagerait l’avenir de notre pays sur le très long terme.

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E 11 FEVRIER 1975, dans les colonnes du Monde, 400 scientifiques invitaient la population française à refuser l’installation des centrales nucléaires « tant qu’elle n’aura pas une claire conscience des risques et des conséquences ». Rappelant le caractère potentiellement effroyable d’un accident nucléaire, ils constataient que « le problème des déchets est traité avec légèreté », et que : « systématiquement, on minimise les risques, on cache les conséquences possibles, on rassure ».

La pertinence de cet appel, qui pourrait être repris quasiment mot pour mot aujourd’hui, a été largement confirmée dans les dernières décennies :

> Présentés à l’époque comme impossibles, les accidents graves ou majeurs se sont multipliés, entraînant des rejets massifs de matières radioactives. Ils ont touché aussi bien des cœurs de réacteurs (Three Mile Island, Tchernobyl, Fukushima) que des dépôts de déchets radioactifs ou des usines de combustible (Mayak, Tokaimura, WIPP, Asse).

> De vastes zones géographiques ont été ainsi rendues toxiques pour tous les êtres vivants et les irradiations et les contaminations radioactives continuent de faire de nombreuses victimes, y compris autour des installations en fonctionnement « normal ».

> L’industrie du nucléaire a officiellement accumulé en France plus de 2 millions de tonnes de déchets radioactifs, dont 200 000 tonnes dangereuses sur de longues périodes, un volume très sous estimé qui ne comptabilise ni les stériles et déchets miniers abandonnés à l’étranger, ni les « matières » destinées à un hypothétique réemploi (combustibles usés, uranium appauvri, uranium de retraitement…).

> Le démantèlement et la dépollution des sites déjà contaminés sont à peine engagés, s’annoncent excessivement longs et coûteux, et vont encore aggraver le bilan des déchets.

 

Force est de constater qu’après un demi-siècle de développement industriel, nous ne maîtrisons toujours pas les dangers de l’atome.

 

Force est de constater qu’après un demi-siècle de développement industriel, nous ne maîtrisons toujours pas les dangers de l’atome, et n’avons fait que repousser des problèmes annoncés de longue date.

Pourtant, hors de tout débat démocratique[1]NDLR : Lire notre « Grand Entretien » avec Jacques Testart : « Il faut prendre le mal à la racine », 30 mai 2017., et sans avoir procédé à un réel bilan des choix passés et des options qui s’offrent aujourd’hui, nos gouvernants s’apprêtent à relancer un nouveau programme électronucléaire. Sous prétexte d’urgence climatique, et sur la base d’arguments tronqués, simplistes, voire lourdement erronés, des lobbyistes disposant d’importants relais médiatiques s’emploient à organiser l’amnésie.

 

 

Rappelons que, pour stocker une fraction seulement des déchets les plus dangereux produits à ce jour en France, déchets qui, selon certains, « tiendraient dans une piscine olympique », on s’apprête à creuser 300 kilomètres de galeries sous un site de 29 km2, pour un coût provisoirement estimé entre 25 et 35 milliards d’euros, et ce sans certitude sur la durabilité de ce stockage aux échelles géologiques requises, de l’ordre d’au moins 100 000 ans.

Rappelons que les conséquences d’accidents majeurs tels que Tchernobyl et Fukushima ne peuvent se réduire à un petit nombre de morts « officiels ». Le fait qu’un bilan sanitaire et économique sérieux du drame de Tchernobyl ne soit toujours pas établi devrait interpeller tout esprit scientifique. Un large éventail de morbidités affecte les habitants des territoires contaminés : conditions de vie dégradées, paupérisation et stigmatisation seront leur lot pour des siècles.

 

Le fait qu’un bilan sanitaire et économique sérieux du drame de Tchernobyl ne soit toujours pas établi devrait interpeller tout esprit scientifique.

 

Deux faits majeurs de notre actualité devraient plus que jamais nous alerter : le dérèglement climatique qui s’accélère, et la guerre en Ukraine. La raréfaction de l’eau douce et la réduction du débit des fleuves liés à une sécheresse bientôt chronique en France, tout autant que les risques de submersion des zones côtières dûs à l’élévation du niveau des océans et à la multiplication d’évènements climatiques extrêmes vont rendre très problématique l’exploitation des installations nucléaires. Miser sur de nouveaux réacteurs, dont le premier serait au mieux mis en service en 2037, ne permettra en rien de réduire dès aujourd’hui et drastiquement nos émissions de gaz à effet de serre, comme l’urgence climatique l’exige.

Par ailleurs, au-delà des horreurs de la guerre, la vulnérabilité de la centrale de Zaporijia menace l’Europe entière. Dans un tel contexte d’instabilité géopolitique, comment allons-nous garantir la paix éternelle requise par le nucléaire ?

 

 

Dans l’immédiat, l’effort industriel et financier que représenterait ce nouveau programme détournerait pour longtemps les moyens nécessaires pour affronter les défis conjugués de la crise climatique, de l’effondrement du vivant, des pollutions généralisées[2]NDLR : Lire notre « Grand Entretien » avec Joël Spiroux de Vendômois : « Le XXIème siècle doit devenir le siècle de l’hygiène chimique », 10 juin 2016. et de l’épuisement des ressources. Le système électronucléaire est au contraire indissociable d’un modèle économique basé sur le productivisme et le gaspillage, qui doit prioritairement être revu.

 

Les sciences de l’ingénieur n’ont le monopole ni du savoir ni de la légitimité pour décider de notre avenir.

 

Aujourd’hui, toute critique de la technologie nucléaire[3]NDLR : Lire la tribune libre d’Olivier Rey, Nuclear Manoeuvres in the Dark, 17 mars 2016., soumise au double secret industriel et militaire, est devenue extrêmement difficile au sein des écoles, laboratoires et instituts qui lui sont liés. Mais les sciences de l’ingénieur[4]NDLR : Lire notre « Grand Entretien » avec Vincent Liegey : « L’ingénieur d’aujourd’hui répond aux besoins du système capitaliste et productiviste », 2 novembre 2022. n’ont le monopole ni du savoir ni de la légitimité pour décider de notre avenir. Les sciences de la terre et du vivant[5]NDLR : Lire la tribune libre de Vincent Devictor, Qu’est-ce que l’écologie scientifique ?, 26 novembre 2016., de la santé, les sciences sociales et économiques[6]NDLR : Lire la tribune libre collective, Pour un droit à la recherche, 30 décembre 2017., les humanités et les lettres produisent des enquêtes, des analyses et des contre-récits sans lesquels nous ne saurions rien aujourd’hui des véritables conséquences de l’atome sur les sociétés, les milieux de vie et les populations, humaines et autres qu’humaines.

C’est pourquoi nous, femmes et hommes scientifiques, médecins, enseignants, ingénieurs, universitaires et chercheurs, lançons cet appel à refuser tout nouveau programme nucléaire. A un choix imposé qui engagerait notre avenir sur le très long terme, nous opposons la nécessité d’élaborer démocratiquement et de manière décentralisée, à partir des territoires et des besoins, des propositions de rupture pour des politiques de sobriété, de transition énergétique, et de justice écologique.

 

> Photo de Une : Dirk Rabe / Pixabay

> Photo « masque » : Denis Reznik / Pixabay

> Pano « centrale nucléaire » : Markus Distelrath / Pexels

 

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References

References
1 NDLR : Lire notre « Grand Entretien » avec Jacques Testart : « Il faut prendre le mal à la racine », 30 mai 2017.
2 NDLR : Lire notre « Grand Entretien » avec Joël Spiroux de Vendômois : « Le XXIème siècle doit devenir le siècle de l’hygiène chimique », 10 juin 2016.
3 NDLR : Lire la tribune libre d’Olivier Rey, Nuclear Manoeuvres in the Dark, 17 mars 2016.
4 NDLR : Lire notre « Grand Entretien » avec Vincent Liegey : « L’ingénieur d’aujourd’hui répond aux besoins du système capitaliste et productiviste », 2 novembre 2022.
5 NDLR : Lire la tribune libre de Vincent Devictor, Qu’est-ce que l’écologie scientifique ?, 26 novembre 2016.
6 NDLR : Lire la tribune libre collective, Pour un droit à la recherche, 30 décembre 2017.

2 Commentaires

  1. Merci beaucoup pour la référence au texte de l’intervention de Louis Néel en 1976 ! pas un mot à changer. Presque 50 ans plus tard nous voyons combien ce texte était pertinent. On sait aujourd’hui combien les atouts du nucléaire sont considérables en comparaison des autres énergies. Il suffit pour s’en convaincre de voir l’impasse dans laquelle s’est engagée l’Allemagne avec une électricité 3 à 4 fois plus polluante que la nôtre etc. etc. En fait, si on refuse de développement du nucléaire, ce qui est démocratiquement envisageable, il faut refuser encore plus et avant tout l’utilisation du charbon, du pétrole et du gaz fossile ! Et tant que les opposants au nucléaire n’afficheront pas ouvertement cette forme de radicalité (évoquée par Louis Néel) ils ne seront pas crédibles. Je suppose que l’appel des scientifiques (lesquels ?) contre le nouveau nucléaire réjouit grandement le PDG de TotalEnergies … ce qui n’est pas le moindre des paradoxes de ce genre d’appel ! Bien cordialement. Daniel Finati

  2. NINANA, ni ici, ni ailleurs, ni autrement.

    Mais…

    Comme tout bon rationnel qui se respecte avec son éco-fibre relocalisatrice en cas de nécessité impérieuse de non-débat (puisque le désir de puissance, lui, n’est pas à remettre en cause): si certains ne peuvent se passer des sortilèges de la sorcière électricité, que les centre de productions soient DANS les grands centres de consommations, soit les zones les plus denses du pays, les grosses agglomération, les grosses zones industrielles ou tout autre Babel. Et que les tarifs soient par conséquent bien différenciés – je laisse les termes creux comme “résilience” et autres “croissance verte” aux techno-utopistes, je n’en suis pas solidaire.

    Puisque d’après le Sage Jancovici, expert en comparatifs et de l’atome, une centrale électronucléaire est moins dangereuse/tueuse qu’une piscine ou des sucreries, il n’y a aucune raison «objective» de les mettre ailleurs que… près des écoles, mettons.
    Dans ma campagne boueuse et vu les injonctions à la sobriété, je me contenterai de ce que fourni déjà ces malheureuses boursoufflures esthétiques de centrales photovoltaïques et leurs nuisances pour les sols pour exprimer de temps à autres tout le mal que j’en pense.

    NIMBY ? Quand on veut la pièce, on a l’avers et le revers. Qu’E.Macron couche avec ses SMR de poche issus du développement durexable de sa startup-nation, c’est son problème. Mais qu’il n’impose pas ses mœurs délétères aux autres, tout le monde n’a pas voté pour lui et ses croyances moisies. Que les adorateurs fanatiques aillent se faire bronzer ailleurs avec leurs atomes s’ils les veulent à tout prix, leurs génératrices atomiques !

    Retrouvé, aussi sur PMO, une intervention de L.Néel (très loin d’être un écolo-tourriste): https://www.piecesetmaindoeuvre.com/IMG/pdf/Ne_el_sur_Malville.pdf

    «Le problème qui nous occupe aujourd’hui paraît, en réalité, non pas un problème de centrale nucléaire, mais plutôt un problème de Société, et par conséquent un problème qui est extrêmement sérieux.
    Je conçois parfaitement que l’on conteste notre modèle de Société, que l’on discute sur le taux de croissance préférable, et même qu’il soit négatif. Professeur d’Université ou sorcier dans une tribu sauvage, c’est à peu près équivalent, et par conséquent, pour ma part, je n’y vois pas d’inconvénient.
    Je voudrais me placer sur un autre plan, parce que ce problème de Société nous dépasse aujourd’hui ; il ne me paraît pas du tout rationnel de poser ce problème à propos d’une centrale nucléaire.»

    Un Ami sh

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