« La science est une chose trop importante pour être laissée entre les mains des seuls savants. » (Carl E. Sagan)

Bataille des savoirs au Moulin des Laumes : de l’administration à l’autonomie

Bataille des savoirs au Moulin des Laumes : de l’administration à l’autonomie

Alors que les sociétés occidentales contemporaines ont confié la gestion de toutes les sphères de l’existence à l’expertise d’une superstructure industrialo-capitaliste, se réapproprier la fabrique de la vie quotidienne est un engagement éminemment politique. Ce cheminement vers l’autonomie, c’est celui qu’Itto et Alexis ont voulu suivre en restaurant le moulin à eau dans lequel iels habitent en Bourgogne-Franche-Comté. C’était sans compter sur l’hégémonie des savoirs institutionnalisés, qui met à l’épreuve la légitimité de leur démarche empirique. Reportage.

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C

’EST À LA FIN d’un été brûlant qu’Itto et Alexis ont donné rendez-vous au Moulin des Laumes pour apporter une touche collective à sa réhabilitation. Sur les bords de l’Oze, la rivière sillonnant le département de la Côte d’Or, se sont rassemblé·es artisan·es, artistes, philosophes, écologistes, habitué·es des milieux alternatifs et ingénieur·es en désertion. À proximité du jardin-potager, Laetitia et Natalia, étudiantes en anthropologie environnementale, accueillent cette petite troupe pour qui elles ont façonné une semaine de chantier un peu spéciale.

 

une semaine de chantier un peu spéciale.

 

La particularité de cette rencontre, c’est qu’elle s’inscrit dans une large démarche de « reprise de savoirs »[1]– Voir le site internet de Reprises de savoirs. qui appelle à une réappropriation collective des savoirs techniques et sensibles[2]– Le savoir sensible fait appel à la dimension sensorielle du savoir. Pour approfondir, voir : Christine Delory-Momberger (sous la dir. de), Vocabulaire des histoires de vie et de la recherche … Continue reading. Dès la fin du printemps jusqu’au début de l’automne, se sont organisés, aux quatre coins de l’Hexagone, des chantiers autogérés : s’initier aux savoirs naturalistes à Notre-Dame-des-Landes, tailler de la pierre dans le Tarn, nourrir les luttes avec des cantines collectives dans le Var, développer une autonomie énergétique à la Grange de Montabot, etc.

 

BOUSCULER L’HÉGÉMONIE DES SAVOIRS

 

C’est dans une tribune, publiée en mai sur Reporterre[3]– « Cet été, tous aux chantiers ! », Reporterre, 24 mai 2022., que cette initiative a été annoncée. Les auteur·ices appelaient alors à bousculer l’hégémonie des « savoirs experts » des milieux institutionnels et académiques, et à militer pour une éducation populaire. Pour « mettre ces savoirs en chantier », la promotion du Master de l’École des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS) où étudient Lætitia et Natalia, a obtenu une bourse collective. Un pied-de-nez à l’individualisation de la recherche dans ce haut-lieu de fabrique du savoir académique.

Pour Sophie Gosselin, philosophe, co-autrice de la tribune, venue au Moulin des Laumes, « il s’agit de dépasser les clivages du système éducatif moderne, qui repose sur la séparation de l’esprit et du corps. Un rêve serait que des écoles de territoires se créent, à l’image des écoles de la Terre des zapatistes ou des écoles libertaires de la guerre d’Espagne[4]– Voir « Les écoles zapatistes » sur le site internet de Reprises de savoirs., et qu’elles puissent opérer un rapport de force avec les institutions capturées par des logiques libérales ».

 

 

La semaine de chantier est rythmée par des ateliers pratiques, des rencontres et d’intenses discussions pour explorer la transversalité des savoirs : le politique, les sciences, l’expérience humaine, l’apprentissage technique, le non-humain, etc. / Crédit : Victoria Berni-André.

 

 

Au matin du premier jour de chantier, sur les rives du moulin, Natalia et Lætitia invitent la petite équipe à un « brise-glace ». « Racontez-vous à votre voisin·e, mais sans utiliser de noms de métier ou de diplôme ». Par cette indication, les maïeuticiennes du chantier cherchent de fait à placer l’attention sur la pratique quotidienne, qui rassemble ce que Geneviève Pruvost appelle les « savoirs ordinaires »[5]– Geneviève Pruvost, Quotidien Politique, Éditions La Découverte, Paris, 2021, p. 12.. Des savoirs qui, « faute d’avoir fait l’objet d’une mise en forme de type scientifique », peuvent être disqualifiés face à l’hégémonie du « savoir expert »[6]Ibid., p. 11.. Le ton pour la semaine est ainsi donné !

 

UNE MAISONNÉE POLITIQUE

 

L’exploration des savoirs autour du Moulin des Laumes se poursuit dans l’imposante bâtisse qui l’abrite : La Quincaillerie. C’est la maison où vivent Itto et Alexis depuis 2013. « Lorsque l’on est arrivé·es, la Quincaillerie était restée 18 ans à l’abandon, se remémore Itto. On s’est éclairé·es à la bougie une année avant de rétablir l’électricité. On n’avait pas la capacité d’investir de l’argent pour rénover, il fallait trouver des formes d’entraides. » C’est alors de leurs mains qu’Itto, Alexis et leurs ami·es restaurent ce lieu où se mêlent ruralité et souvenir industriel.

Depuis près de 10 ans, la vie y prolifère. S’y retrouvent des camarades de luttes, des comédien·nes, des écrivain·es et des amoureux·ses de punk noise le temps d’un concert.

 

Dans cette réappropriation de la fabrique de la vie quotidienne, l’autonomie énergétique apparaît comme un pilier incontournable.

 

Les bibliothèques débordent de livres et d’archives sur les luttes anarchistes et des critiques de la psychothérapie institutionnelle. Sur les murs se côtoient affiches militantes, évènements musicaux et slogans politiques. Dans cette culture du subversif, la Quincaillerie regorge de savoirs vivants, mémoriels, relationnels, techniques et artistiques.

Dans Quotidien politique, Geneviève Pruvost analyse cette capacité d’auto-détermination à faire revivre une maisonnée comme étant à contre-courant des modes de productions industriels, anonymes, marchands, qui externalisent les moindres tâches de subsistance[7]– Geneviève Pruvost, Quotidien Politique, Éditions La Découverte, Paris, 2021, pp. 10-2..

 

 

Entre deux soudures, une assemblée des participant·es au chantier se tient dans la salle de cinéma de la Quincaillerie pour des partages d’expériences sur les moulins à eau. / Crédit : Victoria Berni-André.

 

 

Dans cette réappropriation de la fabrique de la vie quotidienne, l’autonomie énergétique apparaît comme un pilier incontournable : alors que les centrales nucléaires peinent à répondre à la demande et que les politiciens libéraux et les grands énergéticiens exhortent la population à se préparer aux coupures pour l’hiver, la centralisation du pouvoir sur les enjeux énergétiques est flagrante.

Les prises de décisions sont réservées à une élite, tandis que les populations des territoires en sont dépossédées. Produire sa propre électricité parait être la voie de raison, voire de la survie, pour les années à venir. Et c’est bien l’objectif de la réhabilitation du Moulin des Laumes dans laquelle se sont lancées Itto et Alexis en 2013.

 

UNE RÉHABILITATION EXPÉRIMENTALE

 

Pour appréhender la nébuleuse technicité du moulin, une balade s’organise depuis la génératrice au cœur de la Quincaillerie, jusqu’à la source du bief, bras détourné de la rivière qui conduit l’eau au moulin, 400 mètres plus loin. À cet endroit, la rivière et le bief sont séparés par de vieilles planches de bois qui font office de barrage.

C’est le moment que saisissent Itto et Alexis pour livrer leur récit : « Quand nous sommes arrivé·es à la Quincaillerie, le bief était obstrué de sédiments et à sec depuis 18 ans. Nous l’avons désencombré et l’eau a recommencé à couler. En 2016, nous avons nettoyé la turbine, ensevelie dans la boue depuis une quarantaine d’années ».

 

L’administration préférerait que la réhabilitation soit soumise à l’expertise de bureaux d’études…

 

En 2018, alors qu’iels envisagent de remplacer le barrage fixe par une vanne manœuvrable pour réguler l’eau, Itto et Alexis sont stoppé·es dans leur élan, poursuivi·es par une procédure judiciaire. « Il nous a été reproché de curer le bief et de déposer des sédiments sur ses berges, explique Alexis. Si nous voulons poursuivre la réhabilitation, l’administration nous demande d’assurer la continuité écologique ». 

Ce sont les prémices de leur aventure bureaucratique. Dans le jargon réglementaire, la continuité écologique consiste à garantir un débit minimum d’eau pour la rivière et à créer un ouvrage piscicole pour permettre aux poissons de retourner à la rivière. L’administration concernée leur suggère alors de déposer un dossier de restauration de la continuité écologique.

 

 

Les participant·es étudient les ouvrages du moulin – ici, une vanne. L’exploration débute avec la génératrice au cœur de la Quincaillerie, et se poursuit le long du bief, bras détourné de la rivière qui conduit l’eau au moulin, jusqu’à sa source 400 mètres plus loin. / Crédit : Victoria Berni-André.

 

 

Déterminé à redonner vie à une autonomie locale, le duo s’est aussitôt attelé à plancher sur des solutions pour préserver l’équilibre de la rivière. Itto et Alexis investiguent, rencontrent des associations, schématisent et constituent un dossier technique pour répondre à l’exigence de l’administration. « En vain ! Aucune réponse ne nous a été donnée depuis deux ans, malgré notre souhait d’un dialogue constructif en considération de notre immense travail d’étude » regrette Itto.

L’hypothèse expliquant ce silence de l’administration serait qu’elle préfèrerait que la réhabilitation soit soumise à l’expertise de bureaux d’études… Ce qui entrainerait pour Itto et Alexis une addition salée de dizaines de milliers d’euros.

En parallèle, leurs observations quotidiennes révèlent l’accumulation de sédiments dans le lit de la rivière mettant à mal son hydrologie. La construction et l’installation de la vanne manœuvrable pourrait remédier à cet encombrement. C’est dans cette tâche que l’équipe s’engage avec enthousiasme.

 

En l’absence de réconciliation entre savoirs expérientiels et institutionnels, c’est une véritable hiérarchisation des savoirs qui s’opère.

 

Dans l’immense atelier de la Quincaillerie, les grincements des découpes résonnent. Pour certain·es, ce seront leurs premières expériences de travail du bois et du métal. Du bois de chêne au métal soudé, les matières passent de mains en mains.

L’excitation est à son comble au moment de raccorder les mécanismes qui permettent de manœuvrer la vanne. À la fin de la semaine, l’œuvre est fonctionnelle ! En attente d’être installée, elle repose devant les murs en pierre de la Quincaillerie, hors du lit de la rivière.

 

DES EXPERTISES CONTROVERSÉES

 

Non loin de l’atelier de la Quincaillerie et des brebis qui pâturent, les consternations s’expriment quant au silence de l’administration : « Il symbolise la démission du service public face à l’aubaine de réhabiliter main dans la main avec des habitant·es ce bien commun historique ! »

Dans cette absence de réconciliation entre savoirs expérientiels et institutionnels, c’est une véritable hiérarchisation des savoirs qui s’opère, selon que les personnes qui les portent sont considérées profanes ou spécialistes. Parmi les participant·es, les déserteur·euses de l’ingénierie[8]– Ecouter notre rencontre-débat : « Bifurquons ! Désertons ! », 25 avril 2023. critiquent la légitimité de leurs ex-collègues « à concevoir des ouvrages virtuels en ne mettant que trop peu les pieds sur le terrain, tout en méprisant le savoir des premier·es concerné·es ».

 

La France a mis le paquet sur la notion de continuité écologique alors même que d’autres pistes d’action étaient possibles.

 

Pour introduire une perspective historique, Christian Jacquemin d’Hydrauxois, une association de défense des vieux moulins, est venu rejoindre l’équipe du chantier : « Les collectivités étaient auparavant pourvues de technicien·nes des rivières capables d’observer les espaces naturels et de trouver des solutions spécifiques au territoire pour assurer la continuité écologique. Aujourd’hui, ces compétences se sont perdues, conséquence de l’externalisation du service public ».

C’est donc une sorte d’épistémicide qui se découvre par cette absence organisée de connaissances territoriales autour des moulins à eau. Christian ajoute qu’il est pourtant « essentiel de favoriser la mémoire et le savoir empirique des habitant·es ».

 

 

Lors de la semaine de chantier, les participant·es fabriquent une vanne à moulin. Dans l’immense atelier, certain·es s’initient à la soudure du métal pour créer une passerelle d’accès à la vanne. / Crédit : Victoria Berni-André.

 

 

Jacques-Aristide Perrin, qui a écrit une thèse[9]– Jacques-Aristide Perrin, Gouverner les cours d’eau par un concept : étude critique de la continuité écologique des cours d’eau et de ses traductions, 2018. sur la continuité écologique, a également fait le déplacement. Il apporte alors de nouveaux éclairages qui ne vont pas finir de décontenancer la troupe de volontaires : « Vers 2016, des chercheurs ont lancé l’alerte : les aléas naturels tels que l’évolution climatique, le comportement des poissons, le type de sol et de berges, la végétation, le débit, font que les normes telles qu’elles ont été fixées peuvent être inopérantes dans de nombreuses situations ».

Malgré cette controverse, il se désole que l’État ne finance toujours pas de recherche de longue durée sur la continuité écologique. La raison pour lui est évidente : « conserver une expertise hégémonique et garder le contrôle sur l’étendue de savoirs autour des rivières ».

Les questionnements foisonnent tous azimuts : « Quel crédit accorder à cette notion réductrice et controversée ? Sur quel bien-fondé se base cette norme lorsqu’elle parait surtout bénéficier aux bureaux d’études et à un contrôle de l’administration ? »

 

L’ÉPOUVANTAIL DE LA CONTINUITÉ ÉCOLOGIQUE

 

Pour persévérer dans l’investigation, Jacques-Aristide dresse l’historique de cette notion : « De 1920 à 1980, les savoirs en sciences de l’eau donnent lieu au concept de river continuum. Ce dernier définit un modèle de cours d’eau, avec les mécanismes de son fonctionnement de l’amont à l’aval et la mise en évidence d’indicateurs permettant de qualifier tel cours d’eau en bonne ou mauvaise santé. Il a été utilisé par des expert·es mandaté·es par l’Union européenne pour légiférer. De là, une directive-cadre sur l’eau est adoptée en 2000 à l’échelle de l’UE. Chaque pays européen la décline ensuite dans son droit. La France a mis le paquet sur la notion de continuité écologique alors même que d’autres pistes d’action étaient possibles comme la limitation des pesticides, la pollution médicamenteuse ou les prélèvements d’eau. Mais il a été jugé en interne plus facile d’agir sur les impacts des petits ouvrages hydrauliques que sur d’autres enjeux tels que les rejets agro-alimentaires, pharmaceutiques et industriels. »

 

 

Dans le salon-librairie de la Quincaillerie, les participant·es au chantier se rassemblent autour d’Alexis qui partage ses recherches. Il a réalisé une étude et de nombreux schémas pour un projet de « restauration de la continuité écologique ». / Crédit : Victoria Berni-André.

 

 

Parmi les participant·es, les aberrations soulevées se cumulent : « Pourquoi imposer ces critères de continuité écologique sans s’occuper du reste ? Car si la population piscicole des cours d’eau décline, c’est parce qu’au cours de ces cinquante dernières années, il y a eu la rectification des cours d’eau, le drainage agricole, l’avènement de l’agro-industrie, l’aménagement des berges par l’urbanisation ».

Et c’est la désillusion : « Donc si la bureaucratie impose un débit minimum et une passe à poissons, c’est parce que les décisionnaires politiques ont fait le choix de privilégier l’agro-industrie ? Est-ce que la continuité écologique ne serait pas qu’une instrumentalisation du savoir scientifique pour servir des intérêts économiques et faire croire à la détermination écologique de l’État ? »

 

épistémicide.

 

Après de longues heures à explorer les sombres contours de la continuité écologique, le besoin de nuancer cette bataille des moulins à eau[10]– Lorène Lavocat, « La bataille des moulins engage le destin des rivières », Reporterre, 11 mai 2021. se fait sentir : « La démarche de l’État n’est certes pas à la hauteur, pour autant c’est déjà une première tentative de réponse à la piètre situation des rivières », d’autant plus lorsque l’ONG WWF et l’association France Nature Environnement soutiennent ces critères de bonne santé du cours d’eau pour préserver le peu de biodiversité qui reste dans les rivières saccagées par des décennies d’industrialisation.

 

PENSER UNE AUTONOMIE COLLECTIVE

 

Si la notion de continuité écologique est largement critiquée, ce n’est pas pour autant que l’équipe du chantier de « reprise de savoirs » souhaite négliger la biodiversité aquatique au Moulin des Laumes. Au contraire ! Elle se demande plutôt comment appréhender « hors les murs » la santé de la rivière. Et ce n’est pas une mince affaire lorsque l’on s’abandonne d’ordinaire au prêt-à-penser technique des institutions.

Lors d’une excursion le long de l’Oze, les idées fusent :« Il faudrait observer les différents écosystèmes qui cohabitent à ces endroits de la rivière. Et l’on pourrait solliciter les savoirs naturalistes de l’école des tritons à Notre-Dame-des-Landes ? ». Sophie, elle, invite à créer des « savoir terrestres » qui interrogeraient la façon dont les êtres vivants habitent le territoire au-delà de l’anthropocentrisme[11]– Sophie Gosselin développe cette position dans son ouvrage La condition terrestre : habiter la Terre en communs, co-écrit avec David Bartoli, paru aux Éditions Seuil en octobre 2022..

 

Il devient possible de percevoir la rivière depuis les différentes perspectives des êtres qui la compose, humains et non humains.

 

Il s’agit de penser et faire l’expérience du territoire depuis les relations qui s’y nouent entre différentes formes de vie, en s’inspirant notamment de la manière dont les peuples autochtones[12]– Lire notre « Grand Entretien » avec Philippe Descola : « Le regard éloigné a une portée révolutionnaire », 21 janvier 2020. s’incluent dans une « entité fleuve » à laquelle ils se sentent liés et dont la temporalité dépasse celle des seules sociétés humaines.

C’est ainsi que les Maoris peuvent dire : « Je suis la rivière et la rivière est moi ». Il devient possible, dès lors, de percevoir la rivière depuis les différentes perspectives des êtres qui la compose, humains et non humains. C’est alors qu’une proposition est lancée : « Pour se placer du point de vue des truites, nous pourrions nous immerger dans la rivière ! »

 

 

Itto (au milieu), habitante de la Quincaillerie, accompagne Laetitia (à gauche), étudiante en anthropologie environnementale à l’EHESS et maïeuticienne de la rencontre, et Juliette (à droite), participante au chantier de reprises de savoirs, jusqu’à la source du bief. À cet endroit, un ouvrage en pierre, le glacis, canalise la rivière, jusqu’à une échancrure qui pourrait être régulée par une vanne. / Crédit : Victoria Berni-André.

 

 

En attendant la baignade, des premières conclusions s’écrivent : « Plutôt que défendre obstinément la notion de continuité écologique, il est prôné à la Quincaillerie le soin de la rivière en considérant toutes les vies. Il ne s’agit pas de restaurer un moulin par principe mais de le faire avec la conscience de l’écosystème dans lequel il prend racine, comprendre les activités sur la rivière à l’échelle du bassin versant afin de mesurer l’impact relatif du moulin, interroger la propriété qu’implique le moulin avec ses droits et ses devoirs inhérents, et penser son usage collectivement à l’échelle du bassin versant, sur le rythme des saisons dans une démarche de sobriété et d’autoconsommation. »

 

une brèche a été ouverte.

 

Lorsque la rencontre touche à sa fin, de multiples réflexions restent en suspens. Mais il est certain qu’une brèche a été ouverte. Itto, Alexis, Natalia, Laetitia, Sophie et les autres volontaires souhaitent transmettre ce mode de faire à la marge, basé sur l’empirique, à travers des fanzines, articles, chartes, photographies, retrouvailles, etc.

Ainsi, c’est sous d’autres formes que se poursuit cette enquête originale. Car pour lutter contre la disparition progressive des savoirs locaux, il est indispensable de les rendre accessibles. Et il n’est pas question pour la petite équipe de devenir un nouveau collectif expert mais, au contraire, de permettre à d’autres de s’approprier la substance acquise. Cela tombe bien, une nouvelle édition de chantiers de « reprise de savoirs » se prépare pour cette année.

Victoria Berni-André, journaliste / Sciences Critiques.

> Reportage photo : Victoria Berni-André

 

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References

References
1 – Voir le site internet de Reprises de savoirs.
2 – Le savoir sensible fait appel à la dimension sensorielle du savoir. Pour approfondir, voir : Christine Delory-Momberger (sous la dir. de), Vocabulaire des histoires de vie et de la recherche biographique, 2019.
3 – « Cet été, tous aux chantiers ! », Reporterre, 24 mai 2022.
4 – Voir « Les écoles zapatistes » sur le site internet de Reprises de savoirs.
5 – Geneviève Pruvost, Quotidien Politique, Éditions La Découverte, Paris, 2021, p. 12.
6 Ibid., p. 11.
7 – Geneviève Pruvost, Quotidien Politique, Éditions La Découverte, Paris, 2021, pp. 10-2.
8 – Ecouter notre rencontre-débat : « Bifurquons ! Désertons ! », 25 avril 2023.
9 – Jacques-Aristide Perrin, Gouverner les cours d’eau par un concept : étude critique de la continuité écologique des cours d’eau et de ses traductions, 2018.
10 – Lorène Lavocat, « La bataille des moulins engage le destin des rivières », Reporterre, 11 mai 2021.
11 – Sophie Gosselin développe cette position dans son ouvrage La condition terrestre : habiter la Terre en communs, co-écrit avec David Bartoli, paru aux Éditions Seuil en octobre 2022.
12 – Lire notre « Grand Entretien » avec Philippe Descola : « Le regard éloigné a une portée révolutionnaire », 21 janvier 2020.

Un commentaire

  1. Je me permets de vous faire connaître l’initiative proche de la vôtre : celle de Laëtitia et Jérémy qui vivent aussi dans un ancien moulin à Cier de Rivière (en Haute-Garonne) (http://www.reverlesfuturs.com) et qui, avec l’aide d’étudiants et de leurs professeurs ont conçu une vis hydrodynamique ichtyo-compatible, en bois local (turbine fabricante localement permettant une libre circulation des sédiments) : c’est le projet Viseta (visita.fr)

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