« La science est une chose trop importante pour être laissée entre les mains des seuls savants. » (Carl E. Sagan)

Savante Banlieue : un festival emblématique sabordé au nom de l’attractivité de la Seine-Saint-Denis ?

Savante Banlieue : un festival emblématique sabordé au nom de l’attractivité de la Seine-Saint-Denis ?

Devenu très suivi au cours de ses vingt éditions, le festival « Savante Banlieue » a fait découvrir pendant deux décennies la culture scientifique aux élèves des écoles secondaires de la Seine-Saint-Denis, le tout dans un esprit d’éducation populaire. Par un simple courrier envoyé aux parties prenantes en 2022, Mathieu Hanotin, président de Plaine Commune, annonce le retrait de l’intercommunalité dans l’organisation de l’événement, signant son arrêt de mort. Des enseignants et organisateurs, sidérés, critiquent la politique d’attractivité du territoire qui sous-tendrait cette décision.

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AVANTE BANLIEUE, C’EST FINI. L’une des principales « fêtes » de la science, qui se tenait chaque année sur deux jours au mois d’octobre en Seine-Saint-Denis à destination des élèves du secondaire, s’est vu brusquement interrompue au printemps 2022, et ce dû au désengagement de Plaine Commune.

« Nous ne pouvons disperser nos forces dans ce projet et nous souhaitons donc nous désengager[1]– Courrier du cabinet de la présidence de Plaine Commune à Christophe Fouquéré, président de l’Université Sorbonne Paris Nord, le 22 avril 2022.. » C’est par un simple courrier, que Sciences Critiques a pu consulter, adressé aux présidents d’universités partenaires que Mathieu Hanotin, à la tête de l’intercommunalité et maire (Parti socialiste) de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), a annoncé le retrait de l’intercommunalité, signant la fin d’une manifestation-phare dans le département.

 

Comment peut-on être un élu de gauche et arrêter cette manifestation culturelle ?

 

Samuel Guibal, délégué régional académique[2]– Auprès du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation. à la recherche et à l’innovation d’Île-de-France, tempête contre une décision qu’il juge « catastrophique » : « Des manifestations de la science, en vérité, il y a en a beaucoup, mais celle-ci est singulière par son ampleur et sa proximité, le tout pour un budget modeste. Nous sommes très attachés à Savante Banlieue et à sa démarche d’éducation populaire » précise-t-il. « C’est tellement stupide. Comment peut-on être un élu de gauche et arrêter cette manifestation culturelle extrêmement bien identifiée en Seine-Saint-Denis ? », fulmine Christian Chardonnet, directeur de recherche au Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) et co-fondateur de la manifestation.

Le retrait de Plaine Commune à la tête du comité de pilotage du festival signifie l’arrêt immédiat du festival. En effet, l’intercommunalité apportait un soutien financier pour l’acheminement des élèves en cars jusqu’aux sites universitaires et finançait une partie de son organisation, le tout pour un budget compris entre 50 000 et 60 000 euros par an : la moitié du budget total du festival.

 

UNE SOURCE D’INSPIRATION POUR LES ÉLÈVES

 

Savante Banlieue a été lancé en 2001 pour ouvrir à la culture scientifique les élèves des collèges et lycées alentours, dont bon nombre se trouvent en Zone d’Education Prioritaire (ZEP). La manifestation naît grâce au singulier partenariat entre la communauté d’agglomération Plaine Commune[3]– Créée la même année, elle regroupe neuf communes : Aubervilliers, La Courneuve, Épinay-sur Seine, L’Île-Saint-Denis, Pierrefitte-sur-Seine, Saint-Denis, Saint-Ouen, Stains et … Continue reading, les universités Paris-13 – devenue Sorbonne Paris Nord – et Paris-8, et le CNRS via le Conservatoire National des Arts et Métiers (CNAM).

Sur deux jours, les campus de Villetaneuse et de Bobigny de Paris-13 accueillent près de 7 000 personnes – pour les dernières éditions – venues assister à des conférences, animations et expositions variées.

Les élèves pouvaient assister à une conférence de Claudie Haigneré, première spationaute française venue raconter son expérience, à une introduction à la climatologie et aux travaux du Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (GIEC) par Jean Jouzel, ou encore à une présentation des « enjeux géopolitiques du cyberespace ». Physique, astronomie, droit, urbanisme, anthropologie : une large palette de disciplines était abordée pendant la durée du festival.

 

Savante Banlieue représentait une source de motivation pour les élèves, qui étaient en général surpris et enchantés de découvrir qu’il y a avait une université qui diffuse ce type de savoir proche de chez eux.

 

Pour les enseignants ayant amené leurs élèves à Savante Banlieue, c’est une perte douloureuse. « C’était une richesse scientifique incroyable, se rappelle Franck Lepargneux, enseignant de mathématiques au lycée Paul Éluard de Saint-Denis, qui y participait avec ses élèves depuis 15 ans. Les intervenants traitaient de sujets passionnants, tout en adaptant leur conférence au public. Savante Banlieue représentait une source de motivation pour les élèves, qui étaient en général surpris et enchantés de découvrir qu’il y a avait une université qui diffuse ce type de savoir proche de chez eux. »

Pierre Mear, enseignant de technologie au collège Pierre Sémard de Drancy y a amené ses élèves de troisième de 2017 à 2021. Il se remémore : « C’était un moment très stimulant pour tout le monde. Mes élèves s’impliquaient vraiment dans ces deux journées. Ils découvraient l’université, cela plantait parfois des graines dans leur esprit ».

 

 

 

 

L’enseignant dit avoir regretté le passage au numérique de l’édition 2020 et à une édition hybride (numérique et présence physique) en 2021, du fait des mesures politco-sanitaires prises pendant la crise du Covid-19. C’est d’ailleurs sur ces deux dernières éditions en demi-teinte que s’appuie Plaine Commune pour justifier son retrait : « Problèmes techniques, perte de la relation humaine, impossibilité de faire découvrir aux jeunes les lieux d’enseignement supérieur du territoire, nous avons été amenés à nous réinterroger sur l’intérêt du format déployé depuis un peu plus de vingt ans », écrit Mathieu Hanotin.

Selon Christophe Daussy, maître de conférences et docteur en physique à Paris-13 : « Le bilan était unanime sur les éditions 2020 et 2021 : c’était un format dégradé. Nous avons décidé pour les éditions suivantes un format hybride : les jeunes des écoles alentours viennent sur place et il y a en plus la possibilité d’assister en direct aux conférences via internet ».

 

ATTIRER LES TOURISTES, LES ÉTUDIANTS
ET LES NOUVEAUX HABITANTS

 

L’intitulé « Savante Banlieue » allait-il à rebours de la politique d’attractivité territoriale du nouvel élu, arrivé à Plaine Commune en 2020 suite aux élections municipales ? Le président de l’intercommunalité relève dans son courrier : « L’attractivité du territoire est l’une des priorités de cette mandature et nous souhaitons que les établissements de renom, qui enseignent au meilleur niveau, puissent être à nos côtés, et nous aux leurs, pour construire ensemble une véritable stratégie d’attractivité pour le territoire[4]– Il y a au total cinq occurrences des expressions « attractivités du territoire », « rayonnement du territoire » et « amélioration de son image » dans les deux pages du courrier signé … Continue reading et pour les acteurs qui contribuent à son développement au moment où l’accueil prochain de grands événements, notamment des Jeux olympiques et paralympiques de 2024, créent les conditions extrêmement favorables pour le faire ».

 

 

 

 

Pour Christophe Daussy, la tactique de marketing territorial adoptée par Mathieu Hanotin est l’une des causes de ce retrait : « En effet, nous avions eu des discussions pour éventuellement changer le nom et supprimer “banlieue“. Nous sentions que pour Mathieu Hanotin la priorité était d’attirer les nouveaux investisseurs immobiliers dans le cadre des futurs Jeux olympiques de 2024 et d’en finir avec l’image banlieusarde que certains peuvent en avoir et que continuait de véhiculer le nom de la manifestation. A contrario, nous souhaitions assumer avec ce nom que nous sommes en banlieue et qu’on dépense de l’argent pour les jeunes des quartiers populaires. » Et l’enseignant de déplorer : « Si, au bout de 20 ans, on avait fait un point calmement et éventuellement réorienté les choses, pourquoi pas. Mais cela s’est passé de façon brutale ». Contacté, le cabinet du président de Plaine Commune n’a pas donné suite à nos sollicitations.

 

Nous avions eu des discussions pour éventuellement changer le nom et supprimer le mot « banlieue ».

 

Une décision d’autant plus surprenante, selon Christian Chardonnet, que la mairie de Saint-Denis, dont Mathieu Hanotin est à la tête, a déposé en 2022 une candidature pour devenir la « Capitale européenne de la culture » en 2028[5]– Le nom de la candidature était « Périféeries ».. Candidature rejetée en mars dernier.

Alors, y a-t-il une chance de voir renaître sous une autre forme l’emblématique fête de la science séquano-dionysienne ? Plaine Commune annonce vouloir « proposer [d’ici l’été 2023] un plan d’action établi de façon concertée, correspondant mieux au nécessaire rayonnement du territoire et des établissements supérieurs de premiers plans qui sont, mieux que tout autre, susceptibles de contribuer à l’amélioration de son image, et d’attirer plus fortement les touristes, les étudiants et les nouveaux habitants ».

Savante Banlieue n’était cependant pas pour autant exempt de tout reproche. En effet, la manifestation a, par exemple, eu pour partenaire financier, en 2019, l’entreprise belge de chimie Solvay, la Société du Grand Paris – présentant les bienfaits du réseau de métros Grand Paris Express –, la SNCF ou le Engie Lab[6]– Document « Bilan final de Savante Banlieue 2019 ». Page 16 « Partenariat »., entreprise de recherche sur « les nouvelles sources d’énergie ».

Ainsi, il était possible d’assister à des conférences telles que « L’intelligence artificielle au cœur de notre vie », « Les nouveaux matériaux relèvent les défis du développement durable » ou « Des légumineuses connectées, quels intérêts pour la recherche ? ». Des prises de parole portées par une vision quelque peu scientiste et techno-solutionniste de la science. En cas de relance de Savante Banlieue, peut-être faudrait-il alors ménager une place aux visions contradictoires qui animent la recherche scientifique sur ces sujets ?

Gary Libot, journaliste / Sciences Critiques.

 > Illustration de Une : Association Science Ouverte.

 

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References

References
1 – Courrier du cabinet de la présidence de Plaine Commune à Christophe Fouquéré, président de l’Université Sorbonne Paris Nord, le 22 avril 2022.
2 – Auprès du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation.
3 – Créée la même année, elle regroupe neuf communes : Aubervilliers, La Courneuve, Épinay-sur Seine, L’Île-Saint-Denis, Pierrefitte-sur-Seine, Saint-Denis, Saint-Ouen, Stains et Villetaneuse.
4 – Il y a au total cinq occurrences des expressions « attractivités du territoire », « rayonnement du territoire » et « amélioration de son image » dans les deux pages du courrier signé par le président de Plaine Commune.
5 – Le nom de la candidature était « Périféeries ».
6 – Document « Bilan final de Savante Banlieue 2019 ». Page 16 « Partenariat ».

Un commentaire

  1. quels étaient les autres cofinanceurs de Savante Banlieue ? le conseil départemental et le conseil régional ne participaient pas pour acheminer les élèves de leur ressort (collégiens et lycéens ) ?

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