« La science est une chose trop importante pour être laissée entre les mains des seuls savants. » (Carl E. Sagan)

Joël Spiroux : «Le XXIème siècle doit devenir le siècle de l’hygiène chimique»

Joël Spiroux : «Le XXIème siècle doit devenir le siècle de l’hygiène chimique»

Depuis le début du XXème siècle, et l’essor de l’industrie chimique, plusieurs centaines de millions de tonnes de produits toxiques se sont déversées sur la planète. Ce véritable « pot de chambre chimique » n’est pas sans conséquence sur l’environnement et les hommes. Pourtant, la médecine environnementale reste aujourd’hui le parent pauvre de la recherche scientifique. Pourquoi ? Éléments de réponse avec Joël Spiroux de Vendômois, docteur en médecine, spécialiste en médecine générale et en médecine environnementale.

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> Sciences Critiques est partenaire des Quatrièmes Assises Nationales de l’association Technologos, qui auront lieu les 16 et 17 septembre prochains, à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS), 105 Boulevard Raspail, à Paris. Cette année, le thème est : “Technique, médecine et santé. Les envers d’un mythe du progrès”. Vous trouverez de plus amples informations à la fin de ce “Grand Entretien”.

Sciences Critiques – Pourquoi, au cours de votre carrière professionnelle, avez-vous choisi de vous spécialiser en médecine environnementale ?

Joël Spiroux de Vendômois J’ai grandi dans une famille un peu particulière, où l’on se soignait par l’homéopathie et l’acupuncture depuis trois générations. Donc c’est une vieille histoire. Nous avons toujours mangé sain. Et quand j’ai fait mes études agricoles, j’ai été complètement surpris et catastrophé par l’emploi des pesticides. À l’époque, on supprimait tout. On voyait disparaître les papillons, les insectes… Tout y passait. On nous apprenait qu’il fallait tout détruire ! Tout ce qu’on appelait « nuisible », que ce soit des végétaux – « les mauvaises herbes » –, et toute la biomasse, les animaux et insectes.

Après l’agriculture, j’ai fait des études de médecine. Je me suis installé, il y a une trentaine d’années, en Haute-Normandie, et j’ai vu grandir en consultation le nombre de cancers, de malformations néonatales, etc. C’est là que m’est venue l’idée qu’il pouvait y avoir des pathologies environnementales, en voyant dans mon cabinet des patients qui ne devaient normalement pas être malades ! Je me suis rendu compte de la méconnaissance de ce sujet par le corps médical, mais aussi les politiques et la société dans son ensemble.

A l’époque, on nous apprenait qu’il fallait tout détruire !

J’ai approfondi le problème, et ai donc créé il y a 20 ans la première Commission Santé-Environnement aux Unions Régionales des Médecins Libéraux pour essayer d’éveiller le corps médical aux problématiques de la santé environnementale et aux liens entre la santé et l’environnement.

 

Quelle a été la réaction de vos confrères ?

Elle a été lente ! Depuis le XXème siècle, les médecins sont formatés. On fait très bien tout ce qui se rapporte aux soins : plus une femme ne meurt lors d’un accouchement, la quasi totalité des nourrissons pesant 800 grammes survivent, on fait toutes sortes d’interventions chirurgicales, etc. Les médecins font un travail extraordinaire. Mais ce dernier est uniquement basé sur le soin ! Ce n’est pas du tout de la santé. Selon la définition de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) de 1948, la santé est « un état de bien-être physique et psychique, et pas seulement l’absence de maladie. » On a complètement oublié cela, car on pense que l’Homme vit en dehors de son environnement et qu’il ne perçoit pas les effets délétères de ce qui l’entoure.

Depuis le XXème siècle, les médecins sont formatés.

Je fais souvent un parallèle avec l’époque de Pasteur. Avant lui, l’humanité ne connaissait pas les bactéries. Et quand il y avait une épidémie ou des maladies, c’était une punition divine. En réalité, le manque d’hygiène en était la cause. Quand Pasteur a découvert le monde microbien et a montré l’importance de la problématique de l’hygiène, le XXème siècle a basculé dans l’hygiène bactérienne et virale. Avec cette notion, il a fallu trouver des produits chimiques pour tuer les bactéries. Le souci est qu’on a appliqué cela à l’ensemble de la société, et notamment dans l’agriculture ! Un véritable « pot de chambre chimique » a été déversé sur la planète – trois millions de tonnes en 1930, 420 millions de tonnes en 2010 – comme cela se faisait avant Pasteur, lorsqu’on déversait les vrais pots de chambres dans les ruelles. Or, ce sont eux qui favorisaient le développement de la vermine et des bactéries.

 

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Pasteur nous a permis de prendre conscience des bactéries et des pathologies bactériennes et virales, mais en aucun cas des problématiques chimiques. Le XXIème siècle doit devenir le siècle de l’hygiène chimique, sinon on en paiera le lourd tribut. En effet, comment expliquer que nous avons fait des progrès colossaux dans les soins, et que nous avons malgré tout une augmentation des pathologies lourdes : cancers, malformations néonatales, maladies neuropsychiques, autisme, schizophrénie, et toutes les maladies orphelines – il y en plus de 8 000 en France… C’est une aberration !

Si on regarde en arrière, à la fin du XIXème siècle, les gens qui avaient de quoi se nourrir, qui ne mourraient pas d’épidémie ou d’un coup d’épée dans le ventre en duel ou en guerre, vivaient jusqu’à 70-75, voire 80 ans, comme aujourd’hui ! Dire qu’on vit plus vieux qu’avant n’est pas vrai. On vit peut-être statistiquement un peu plus vieux, mais cela se fait grâce aux soins, et avec une santé dégradée. Maintenant, aux États-Unis comme en France, la longévité moyenne diminue. Surtout, l’état de survie en bonne santé – un nouvel indicateur – est de seulement 60-61 ans pour les hommes et de 63 ans pour les femmes de l’Hexagone. C’est-à-dire qu’au-delà de 60 ans, 50 % de la population a une pathologie chronique. Ce n’est pas ce que j’appelle être en bonne santé !

AU XXème siècle, Un véritable « pot de chambre chimique » a été déversé sur la planète.

Certes, on pallie cela avec des médicaments au long cours : traitements contre le cholestérol, diabète, hypertension, etc. Ce n’est pas intéressant sanitairement, mais cela l’est plus économiquement. Ce n’est pas pour rien que les dépenses de soins font partie du Produit Intérieur Brut (PIB). Plus la population est malade, plus il y a de soins et meilleur sera notre PIB… On marche sur la tête ! A contrario, si j’étais Merlin-l’Enchanteur et que d’un coup de baguette magique je supprimais les maladies en France, le pays serait dans une faillite colossale. Bref, vous l’avez compris, nos indicateurs économiques ne sont pas pertinents !

 

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> Joël Spiroux de Vendômois, docteur en médecine, spécialiste en médecine générale et en médecine environnementale, président du Comité de Recherche et d’Information Indépendantes sur le Génie Génétique (Criigen). / Crédit Gautier Demouveaux.

 

Malgré les liens, de plus en plus évidents, entre la santé publique et l’environnement, la médecine environnementale reste aujourd’hui le parent pauvre de la recherche scientifique. Pourquoi ?

Nous sommes partis du principe où toute mise sur le marché d’un produit ou d’une nouvelle technologie était un progrès. Mais je pose la question : est-ce que trouver un désherbant pour éviter aux agriculteurs de sortir la binette, tout en sachant que ce produit empoisonnera des millions de personnes sur la planète, est un progrès ? C’est la vraie question. Est-ce que nos technologies sont toujours un progrès ? Est-ce indispensable ? Souvent, on se rend compte que cela apporte un bénéfice dans les conditions de vie, mais, hélas, pas en termes de survie en bonne santé.

La question pertinente serait de dire : une nouvelle technologie arrive, on l’évalue sur deux axes. D’un côté, sa plus-value pour la société, et de l’autre, son impact sur la santé, les écosystèmes et sur les sociétés a posteriori. Prenons l’exemple des pesticides : s’ils avaient été évalués à leur juste mesure, à l’heure actuelle, il n’y aurait pas de pesticides sur la planète. Et nous aurions trouvé des méthodes alternatives. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, nous avons prôné la culture intensive, pour augmenter les productions. Mais quand vous produisez beaucoup, vous ne pouvez pas produire sain ! Si on demande aux plantes de produire en quantité, intrinsèquement la qualité nutritionnelle des aliments est bien moins bonne.

Est-ce que nos technologies sont toujours un progrès ?

Notre société industrielle fournit des aliments pauvres en nutriments, entraînant des carences à ceux qui les mangent. Ces derniers sont donc plus faibles et ont besoin de compléments. Aujourd’hui, aux États-Unis, les Américains ont quatre ou cinq pilules de vitamines par jour pour compléter ce que leur corps ne trouve plus dans l’alimentation. Cependant, ces intrants là n’ont pas les mêmes effets que les vitamines ou les oligo-éléments qu’on trouve naturellement dans les aliments. On sait très bien que prendre 500 mg de vitamine C est bien moins efficace que de manger deux kiwis, car d’autres éléments qui composent ces fruits aident à les assimiler. C’est la même chose avec les sols : on plante des végétaux trop gourmands et trop nombreux – c’est l’agriculture intensive – sur des terres qui s’appauvrissent. Il faut alors apporter des intrants : ils polluent à la fois l’alimentation mais aussi les sols, l’eau… C’est un cercle vicieux.

 

Le problème est de plus en plus saillant, mais les réactions, dans le milieu scientifique comme dans la classe politique, se font toujours attendre. Peut-on lier cet état de fait aux relations, parfois incestueuses, entre la science, l’industrie et le monde politique ?

Complètement. Et vous avez l’exemple typique de ce qui se passe avec le glyphosate à l’heure actuelle. On devrait d’ailleurs appeler cela « les herbicides à base de glyphosate », le plus important étant le Roundup. C’est l’herbicide le plus vendu au monde – il représente plus de 43 % du chiffre d’affaires de Monsanto. Et en France, c’est l’herbicide que l’on trouve le plus dans les eaux de surface et dans les eaux profondes en termes de pollution. Or, les herbicides, comme tous les produits chimiques, sont composés d’une molécule déclarée active par le fabricant, et de formulants – « l’emballage » autour de la molécule – toujours considérés comme inertes. Pour mettre un Roundup sur le marché, Monsanto a testé durant deux ans la molécule de glyphosate sur des rats, mais pas l’herbicide dans son ensemble, tel qu’il est vendu ! Déjà, on constate des troubles rien qu’avec le glyphosate présentés comme « tolérables » par Monsanto. Mais en plus, en 2005, deux études du Criigen [le Comité de Recherche et d’Information Indépendantes sur le Génie Génétique, NDLR] ont montré que le Roundup était plus toxique sur des cellules humaines que le glyphosate seul. Nous avons aussi prouvé que cet herbicide était un perturbateur endocrinien, alors que le glyphosate seul n’en était pas un !

S’ils avaient été évalués à leur juste mesure, il n’y aurait pas de pesticides à l’heure actuelle sur la planète.

En 2012, il y a eu la grande étude dirigée par le professeur Gilles-Eric Séralini[1]– Lire notre “Grand Entretien” avec Gilles-Eric Séralini : « Une révolution est en route », 16 septembre 2015. / qui a fait tant parler. Nous avons voulu tester un Organisme Génétiquement Modifié (OGM) tolérant au Roundup. Nous avons montré que cette plante modifiée était encore plus nocive que le Roundup seul. Ce fut un tollé général, car nous remettions en cause l’agrochimie, la technologie OGM et les pesticides. Nous avons essuyé de nombreuses critiques. La revue Food and Chimical Toxicology – qui avait publié notre étude – a retiré notre article, au prétexte que notre étude était « non conclusive » ! Entretemps, un membre de Monsanto avait intégré le conseil éditorial de la publication, avec pour but de nous discréditer. Finalement, l’étude a été republiée dans son intégralité, dans une autre revue scientifique.

 

On peut comprendre l’intérêt de l’industrie chimique. Mais comment expliquer celui des scientifiques et des hommes politiques ?

Cela dépend de quel point de vue vous basez votre réflexion. Soit c’est l’état de bien-être physique, psychique et social qui compte, et pas uniquement l’absence de maladie. Auquel cas, vous veillez à ce que ce bien-être là existe. Soit c’est le « progrès » qui compte, et vous privilégiez la quantité par rapport à la qualité, et vous optez alors pour la vision de l’industrie chimique.

Puis, sur le fond, il y a aussi la question économique. Monsanto est en bourse. Si demain on interdit les pesticides, les actions de cette firme chutent de 70 % et entraînent le lendemain un krach financier… De plus, quand vous êtes agriculteur et que vous avez emprunté pour acheter votre tracteur à 200 000 euros ou votre moissonneuse-batteuse à 500 000 euros, il faut bien rembourser. Cela ne pousse pas au changement. D’autant plus que les syndicats agricoles et les filières de l’agrochimie encouragent à continuer dans ce sens. Le souci, selon moi, est que l’économie a été dévoyée. Elle devrait être un moyen de développement pour les humains. Or, aujourd’hui, elle est devenue un but en soi. Concernant les pesticides, si jamais l’EFSA [European Food Safety Authority, l’organisme chargé d’évaluer les risques des produits sur le marché européen, NDLR] et les agences réglementaires mondiales faisaient faire les tests nécessaires sur le Roundup – et tenaient compte de nos publications – cela entraînerait l’interdiction de ce produit et près de 90 % des pesticides.

Nous ne sommes pas assez malades pour accepter un changement de société radical.

Sans ces pesticides, impossible de poursuivre une agriculture intensive telle qu’on la connaît aujourd’hui. Il faudrait remettre en cause le paradigme agricole, et transformer l’agriculture intensive mondiale en agriculture agrobiologique. Le Tiers-Monde arrêterait de produire des cacahuètes et des avocats pour nous, et reviendrait à une agriculture vivrière pour se nourrir sainement. Ce serait une révolution ! Cela implique un changement de société radical. Mais nous ne sommes pas assez malades pour accepter de faire l’effort dans ce sens là.

 

 

Le Comité de Recherche et d’Information Indépendantes sur le Génie Génétique (Criigen) rassemble des scientifiques, mais aussi des politiques, des juristes, des sociologues, etc. Cette expertise transdisciplinaire est-elle, selon vous, l’une des réponses face aux lobbies industriels ?

Oui. Cela évite de compartimenter. Mais c’est un exercice difficile. C’est pour cela que je plaide pour la mise en place d’une discipline qui s’appellerait la « santé environnementale ». Elle devrait être dispensée à l’université, être au-dessus de toutes les autres et synthétiser toutes les matières. Avec un sociologue, un anthropologue, un médecin, un agronome, etc., pour essayer d’avoir sur un sujet donné la vision la plus large possible. Ce sera la seule façon de mettre tout cela en réseau, et de faire en sorte qu’on puisse aboutir à des choix pertinents pour nos sociétés à venir.

80 % des ingénieurs qui inventent de nouveaux produits n’ont même pas l’idée que ces derniers peuvent être toxiques.

Je suis persuadé que plus de 80 % des ingénieurs qui inventent de nouveaux produits n’ont même pas l’idée que ces derniers peuvent être toxiques et avoir un impact sur l’environnement à cause des matières premières utilisées ou de leur recyclage !

 

A l’heure actuelle, il n’existe pas de cours sur la santé environnementale à l’université…

Non. Et je me bats depuis quinze ans pour qu’il y ait au moins une introduction en Santé-Environnement dans le cursus de médecine. Pour le moment, cela ne dépasse pas une heure ! Je me bats aussi pour que d’autres médecines entrent en ligne de compte et soient enseignées 30 ou 40 heures pour que les médecins connaissent ces procédés : l’homéopathie, l’acupuncture, la médecine chinoise, l’hypnose, etc. Je fais souvent la comparaison avec le sculpteur sur bois, qui, pour travailler, n’a pas qu’un seul ciseau à bois. Cela permettrait au corps médical de sortir du formatage du tout chimique !

 

Vous l’avez évoqué, le Criigen s’est notamment distingué dans la lutte contre les pesticides, mais aussi contre les OGM[2]– Voir notre dossier : Les OGM peuvent-ils nourrir le monde ?, 23 mai 2015. / . Doit-on arrêter la recherche sur ces organismes ?

Pour fabriquer les OGM, il faut modifier le patrimoine génétique. Déjà, sur le principe, il faut considérer la notion d’écosystème. C’est fondamental. Or, on sait que lorsque l’on modifie un seul élément d’un écosystème, on peut modifier l’organisation totale de celui-ci.

Lorsque l’on modifie un seul élément d’un écosystème, on peut modifier l’organisation totale de celui-ci.

Pour le savoir, il faut étudier les effets des OGM à long terme, sur au moins deux ans, et non trois mois comme cela se fait actuellement. Nous reprochons aussi aux OGM végétaux d’être des plantes à pesticides, qui en produisent ou y sont tolérantes. Ce sont ces plantes là que l’on donne à manger à nos animaux d’élevage ou à la population, tout en polluant les sols et l’ensemble des écosystèmes.

Mais la technique OGM a aussi de bons aspects, qu’il ne faut pas oublier. En laboratoire, cela permet de comprendre le système du vivant et le fonctionnement des gènes. C’est utile à titre de recherches. En pharmacie, c’est très important aussi. Par exemple, depuis quinze ans, tous les diabétiques sont soignés grâce à de l’insuline fabriquée par le génie génétique. Le gène humain de la production de l’insuline a été introduit dans des bactéries. Ces dernières sont multipliées en incubateur. Puis on récupère l’insuline qu’on purifie et cela donne le produit que l’on a dans la seringue. Cette technologie là est utile ! C’est la même chose pour les protéines recombinantes dans les médicaments. On ne peut pas mettre tous les OGM dans le même panier. On nous accuse d’être contre les OGM, mais c’est faux ! La technique OGM est une technique intéressante, intelligente. Nous sommes en revanche contre les OGM végétaux, car ils ne sont pas étudiés correctement. Nous avons donc toutes les bonnes raisons de penser qu’ils auront des effets délétères.

 

Justement, un rapport publié par l’Académie américaine des Sciences, après l’analyse de plus de 900 études sur les végétaux OGM, estime que ceux-ci ne sont pas plus dangereux que les cultures traditionnelles. Ils auraient même plus de vertus environnementales et économiques. J’imagine que vous n’êtes pas d’accord…

C’est d’une bêtise sans nom ! Ils étudient de nouveau les rapports qui ont été faits par les agences mondiales, qui ont elles-mêmes autorisé ces OGM là ! Ce ne sont donc pas de nouvelles études, mais bien les fameuses études menées seulement sur trois mois. C’est toujours une affaire de lobby.

Je préfère une catastrophe économique pour certains plutôt que des pathologies graves pour toute une partie de la population.

100 % des OGM végétaux actuellement sur le marché sont tolérants aux plantes à pesticides : 56,5 % tolèrent un herbicide ; 17 % produisent un insecticide ; 26,5 % tolèrent un ou plusieurs herbicides et produisent plusieurs insecticides. C’est le cas du maïs Smartstax qui tolère deux herbicides et produits six insecticides. Vu le contexte actuel, ce n’est pas politiquement correct de dire qu’il y a un problème avec ces produits. C’est éminemment une problématique économique et politique. Quand nos politiques privilégieront la santé de la population par rapport aux intérêts économiques et financiers, le monde changera !

 

Pourtant, le glyphosate devrait prochainement être reconnu comme « cancérogène probable » et être interdit par l’Union Européenne. Le 21 mai dernier s’est déroulée la « Quatrième Marche contre Monsanto »… Les choses bougent, non ?

Ça bouge, mais c’est un peu le pot de terre contre le pot de fer. On voit bien les difficultés de l’EFSA à rendre ses décisions. L’organisme connaît bien nos études, mais il a en face le poids des lobbies financiers, qui allument toujours des contre-feux. L’Union Européenne sait très bien que si le Roundup est interdit en Europe, c’est une catastrophe économique pour un bon nombre de personnes. Mais où est le problème ? Personnellement, je préfère une catastrophe économique pour certains plutôt que des pathologies graves pour toute une partie de la population, qui n’aura que ses yeux pour pleurer et le droit de souffrir en silence ! Pour moi, le choix est vite fait. Mais il n’est pas fait de la même façon par les institutions.

 

 

Selon vous, quelle doit être la place des citoyens dans la recherche scientifique ?

Je suis un peu inquiet par rapport à cette question. Il faudrait déjà que les citoyens soient bien informés. Il faut donc se méfier de la « science citoyenne ». Cette dernière ne pourra se faire réellement que s’il y a des recherches indépendantes et transparentes. Ensuite, les résultats doivent être correctement transmis à l’ensemble de la population, afin qu’elle s’en empare et descende dans la rue. Si cela est vu de manière superficielle, il y aura toujours des raccourcis et des gens qui vous ressortiront des idées reçues comme : « On vit de plus en plus vieux… »

Quand nous aurons la capacité de nous mobiliser comme pour un match de foot, là on pourra faire bouger le monde.

Je pense que nous gagnerons la partie face à l’industrie uniquement si les citoyens descendent tous dans la rue, que la population en général se mobilise contre cela. Malheureusement, on en est encore loin, et cela m’atterre un peu. Plusieurs millions de personnes sont capables de descendre dans la rue pour manifester leur joie lorsque notre équipe de foot remporte la Coupe du monde, mais pas plus de 10 000 personnes arrivent à se mobiliser quand il s’agit de santé publique ! Quand nous aurons la capacité de nous mobiliser comme pour un match de foot, là on pourra faire bouger le monde.

 

Il y a des citoyens « éclairés », ou « bien informés », que l’on appelle les « lanceurs d’alerte ». Le Parlement européen a récemment voté en faveur de la directive sur le « secret des affaires », que beaucoup critiquent. Votre laboratoire aussi s’y est opposé…

Cette directive est un véritable scandale. Cela fait dix ans que le Criigen réclame la transparence sur toutes les études toxicologiques qui ont permis la mise sur le marché des produits de l’industrie agrochimique. Ces études de toxicité ne doivent pas relever de la propriété intellectuelle et du secret industriel, car c’est une question de santé publique.

 

OGM, pesticides, etc. Les questions concernant la manipulation du vivant et les biotechnologies amènent à celle du transhumanisme[3]− Lire la tribune libre de Jean-Michel Besnier : Transhumanistes contre bioconservateurs, 25 février 2016. / . Ce dernier préfigure-t-il la médecine de demain ?

Là aussi, notre société a une vision réductionniste. On pense pouvoir être à l’égal du vivant et pouvoir faire mieux que lui, parce que l’on manipule les gènes, parce que l’on a découvert le CRISPR-Cas9. C’est déjà ne pas comprendre que la technologie ne nous permettra pas d’avoir une vision aussi écosystémique que la nature elle-même. De plus, cette question du transhumanisme est une thématique qui parle aux gens et brasse beaucoup d’argent, car elle offre la perspective de vivre jusqu’à 130, voire 150 ans… Là encore, on se fait de grandes idées. Enfin, ce qui me gène du point de vue éthique, c’est que cela va créer une troisième catégorie d’Hommes. À l’heure actuelle, on a déjà les laissés-pour-compte du Sud d’un côté et les nantis du Nord de l’autre. Nous aurons en plus, parmi les nantis du Nord, les quelques privilégiés qui pourront se permettre de faire appel aux techniques transhumanistes. Cela va créer encore plus de tensions !

Le progrès et la catastrophe sont l’avers et le revers d’une même médaille.

Hannah Arendt disait : « Le progrès et la catastrophe sont l’avers et le revers d’une même médaille. » Et là, le « progrès » concernant le transhumanisme va nous mener à la catastrophe. C’est une question éminemment philosophique, éthique. Cela sous-tend la question du bien-être et du bonheur. C’est une fuite en avant ! Et je trouve que la société civile ne s’empare pas suffisamment de cette question.

 

Pourtant, le transhumanisme est déjà au cœur de la médecine actuelle…

C’est déjà un peu amorcé, c’est vrai, mais sous une forme un peu différente. On arrive aujourd’hui à fabriquer des prothèses pour les malades, des cœurs artificiels, des pacemakers, etc. Ce n’est pas du transhumanisme mais des techniques de traitement de pathologies existantes. Cependant, cette technicité peut nous amener vers le transhumanisme. Dans la procréation, on a aussi du transhumanisme qui nous permet de faire de l’eugénisme. Prenez, par exemple, l’usage systématique du diagnostic prénatal. Les éthiciens et les religions se sont battus contre l’eugénisme dans l’entre-deux-guerres. Mais, aujourd’hui, que fait-on, sinon de l’eugénisme à bas-bruit ?

On fait de l’eugénisme à bas-bruit. C’est une vraie catastrophe.

Aux États-Unis, à l’heure actuelle, on sélectionne les fœtus en fonction du sexe ou de la couleur des yeux ! Les cheveux blonds, les yeux bleus… Cela ne vous rappelle pas quelque chose ? Ces techniques là vont nous endormir dans un eugénisme passif et acceptable par la société. Nous allons tendre vers des Hommes qui devront être de plus en plus parfaits, de plus en plus performants. C’est une vraie catastrophe.

Propos recueillis par Gautier Demouveaux, journaliste / Sciences Critiques.

 

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> Technique, médecine et santé. Les envers d’un mythe du progrès

L’association Technologos organise, en partenariat avec le Comité de Recherche et d’Informations Indépendantes sur le Génie Génétique (Criigen), ses Quatrièmes Assises Nationales les 16 et 17 septembre prochains, à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS), 105 Boulevard Raspail, à Paris. Cette année, le thème est : « Technique, médecine et santé. Les envers d’un mythe du progrès. »

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ANS un grand nombre de pays industrialisés, l’espérance de vie plafonne ou diminue, tandis que dans la classe moyenne américaine traditionnelle, autrefois fer de lance du progrès, la mortalité augmente franchement par toxicomanie, suicide et affections environnementales (dites « maladies chroniques »). Le mieux-être n’embraye plus sur le progrès médical, malgré l’accroissement des ressources qui lui sont affectées. Activée par des mythes puissants (la science, la technique, le marché, la santé parfaite), la machinerie médicale s’emballe alors que les indices de sa contre-productivité et de ses impasses se multiplient.

Une première série de questions interroge le champ médical. Non pas seulement la culture commune de la corporation médicale du XXème siècle et du début du XXIème, mais bien la tradition héritée de l’Antiquité grecque, qui appartient à tous (au même titre que la politique, la philosophie, les sciences, le théâtre). Comment s’opère la technicisation de la médecine ? Quels bénéfices, quels risques engendre-t-elle pour les soignants, pour les patients et pour les bien-portants ? Comment la science, la technique, le marché, la santé parfaite influencent-ils l’institution de la médecine dite moderne ? La médecine peut-elle s’affranchir du discours technicien moderne ? Peut-elle inspirer des traitements plus effectifs des grands maux collectifs, voire une authentique prévention ?

Une autre série de questions interroge les relations entre les organisations techno-industrielles au sens large, la santé des personnes et la salubrité de l’environnement. Enfin, l’importance des constructions mythologiques dans les actions humaines conduit à rechercher des imaginaires plus féconds susceptibles de préserver la permanence des conditions d’une vie humaine digne.

> Le programme des deux journées :

– Vendredi 16 septembre – matin : Industrie et santé : la fabrique sociale de la maladie.
– Vendredi 16 septembre – après-midi : Du projet de soins à l’empire de la technique.
– Samedi 17 septembre – matin : Critique de l’imaginaire technicien, pour un humanisme bien inspiré.

> Pour plus d’informations : le programme détaillé et l’affiche de présentation.
>
Vous pouvez vous inscrire directement en cliquant sur ce lien.

 

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References

References
1 – Lire notre “Grand Entretien” avec Gilles-Eric Séralini : « Une révolution est en route », 16 septembre 2015. /
2 – Voir notre dossier : Les OGM peuvent-ils nourrir le monde ?, 23 mai 2015. /
3 − Lire la tribune libre de Jean-Michel Besnier : Transhumanistes contre bioconservateurs, 25 février 2016. /

2 Commentaires

  1. Il semble que cette personne interwievée par « Science critique » soit assez mal informée, c’est dommage car cela nuit à la crédibilité de ce site ou l’on trouve des articles intéressants. Voici quelques informations directement vérifiables en suivant les liens.
    L’insecticide produit par les OGM est une protéine de la bactérie Bacillus thuriengiensis (BT).
    De nombreuses études ont montré que cette protéine n’était pas toxique pour les humains. Comme toute protéine elle est dégradée par les enzymes digestifs. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4413729/
    Les plantes produisant cette protéine demandent moins d’insecticides de synthèse. De ce fait les insectes carnivores sont protégés et peuvent participer a la protection en consommant les insectes parasites des cultures. L’effet bénéfique s’en ressent dans les champs avoisinant les cultures transgéniques.
    http://www.nature.com/nature/journal/v487/n7407/full/nature11153.html
    Par ailleurs il faut savoir que les spores de la bactérie BT porteuse de la toxine sont autorisés en Agriculture Bio.
    (http://www.gerbeaud.com/jardin/decouverte/bacillus-thuringiensis.php)

    Le rapport de l’académie des Sciences américaine ne s’est pas borné a évaluer des documents autorisant des OGM, voici ses sources : « We listened to presentations from 80 people who had diverse expertise, experience, and perspectives on GE crops to augment the diversity represented on the committee; they are listed in Appendixes C and D. We also received and read more than 700 comments and documents sent to us from individuals and organizations about specific risks and benefits that could be associated with GE crops and their accompanying technologies. Beyond those sources of information, our committee carefully examined literature—peer-reviewed and non-reviewed—relevant to benefits and risks associated with GE crops in the United States and elsewhere.

    Ce rapport est lisible gratuitement là : https://www.nap.edu/search/?term=GMO

    Une parmi les nombreuses critiques de l’article de Spiroux, Seralini et al sur la maîs NK603 est disponible sur le site de l’Autorité Européénne de Sécurité Alimentaire (EFSA): https://www.efsa.europa.eu/fr/efsajournal/pub/2986

    L’ensemble des articles de l’EFSA sur les OGMs sont disponibles ici : https://www.efsa.europa.eu/fr/search/site/GMO

    On trouvera également des articles documentés sur le site de l’académie d’agriculture :
    https://www.academie-agriculture.fr/groupes-de-reflexion/plantes-genetiquement-modifiees

    bonnes lectures

  2. Françoise Lagabrielle
    30 août 2016 à 16 h 57 min Répondre

    si vous saviez comme cet entretien me remplit de bonheur !J’ai l’impression de m’entendre, avec moins de connaissances précises, juste mes constatations ! Je suis une très vieille psychiatre, j’ai rencontré Jacques Ellul dans les temps jadis, un de ses fils a été élève de mon mari en classe de philo…c’était dans les années 1968, ma fille ainée a été étudiante de Jacques Ellul en droit….et nombre de ses livres on fait partie de mes lectures !….les chroniques de Jean-Louis Porquet sont parmi les premières lectures dans le Canard Enchaîné !…je fus aussi soignée dans mon enfance par l’homéopathie….je n’ai eu aucun vaccin sauf celui de la variole…et j’ai fait mes études sans passer par ces fourches caudines !!! Bref, je ne peux venir à vs Assises, mais vous avez m’a t-on dit un correspondant à Bordeaux. Pourriez-vous me donner ses coordonnées ? merci de tout cœur.

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