Le Covid-19 a le mérite de nous obliger à reconsidérer les disparités d’accès aux médicaments en fonction des revenus des patients et de la partie du monde où ils se trouvent. Cette prise de conscience est à saisir pour repenser ce qui nous est commun : le droit universel aux soins de santé. Les biens et services de santé doivent être placés hors des lois du marché, hors des logiques capitalistes. Pour ce faire, doivent se mettre en place de nouveaux modèles de recherche et développement, de production et de distribution, sous le contrôle des travailleurs et de la société. C’est remettre la santé au cœur de nos politiques publiques.
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ES DECENNIES de politiques libérales au profit des intérêts privés et de démantèlement du secteur public au nom de la marchandisation du monde ont gravement affaibli les capacités du secteur de la santé.
Face à la pandémie de Covid-19, la seule stratégie possible a été celle d’un « sauve qui peut » d’un confinement généralisé de la population, aux effets économiques et sociaux désastreux.[1]– NDLR : Lire la tribune libre de Philippe Godard, Méga corona machino virus, 26 mars 2020. /
A la suite de l’épidémie de SRAS en 2003, les épidémiologistes ont alerté sur l’imminence de prochaines pandémies. Les épisodes MERS, Zika, Chikungunya et Ebola n’ont pas marqué les esprits. Ces épidémies ont sévi principalement dans des pays à faible revenu (Zika en Amérique Centrale et en Amérique-du-Sud, Ebola en République Démocratique du Congo).
L’asservissement à la rentabilité a asséché la vocation de la recherche à accroître ses savoirs et à multiplier ses découvertes. Ce que démontrent la pénurie de tests de dépistage et l’absence de traitements au Covid-19.
Le manque de solvabilité de ces populations a conduit les firmes pharmaceutiques à se désintéresser des recherches de traitements contre ces virus. Imitées par les politiques gouvernementales qui ont cessé de financer les programmes sur les coronavirus.[2]– Voir le témoignage de Bruno Canard, chercheur au Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), sur Facebook. /
Depuis qu’elle est principalement financée par le biais des partenariats public-privé, la recherche est devenue le lieu de production d’innovations brevetables que se réservent en exclusivité les entreprises privées, par l’application des droits de la propriété intellectuelle.
L’asservissement à la rentabilité a asséché la vocation de la recherche à accroître ses savoirs et à multiplier ses découvertes.[3]– NDLR : Lire le texte de Geneviève Azam, Dominique Bourg et Jacques Testart, Subordonner les technosciences à l’éthique, 15 février 2017. / Ce que démontrent la pénurie de tests de dépistage et l’absence de traitements à proposer aux malades du Covid-19. La start-up nation, voulue par le président Macron, a perdu sa souveraineté sanitaire.
LES CONSCIENCES S’EVEILLENT
Le marché, dédaigné hier pour cause de rentabilité médiocre, est subitement une extraordinaire aubaine à augmenter chiffre d’affaires et dividendes à distribuer aux actionnaires.[4]– Le groupe pharmaceutique Sanofi distribuera, cette année, près de 4 milliards d’euros de dividendes, en hausse par rapport à 2019 (L’Usine Nouvelle, 20 avril 2020). /
Si « guerre » il y a, c’est celle que se livrent les entreprises productrices de médicaments et de vaccins, des start-ups aux grandes firmes, toutes sponsorisées par les deniers publics miraculeusement devenus disponibles.
Des essais cliniques « médiavores » sont réalisés avec des molécules développées pour d’autres indications (anti-HIV, antipaludéens), qu’on essaie de repositionner. Si elles démontrent la moindre efficacité contre le Covid-19, elles peuvent être commercialisées à moindre frais et assurer une rente prodigieuse. Si elles sont inactives, les espoirs de plus-values seront reportés sur le développement accéléré de nouvelles thérapeutiques.
De multiples projets sont lancés dans l’urgence. Une centaine de laboratoires, dont seulement deux français, sont en lice pour la mise au point de vaccins.
Si « guerre »[5]– NDLR : Lire la tribune libre de Gwarr Greff, Ce que nous vivons n’est pas une guerre, 3 avril 2020. / il y a, c’est celle que se livrent les entreprises productrices de médicaments et de vaccins, des start-ups aux grandes firmes, toutes sponsorisées par les deniers publics miraculeusement devenus disponibles[6]– La Commission européenne et les Etats investissent, depuis janvier, de grosses sommes d’argent pour les recherches sur le Covid-19. Par exemple, 47,5 millions d’euros ont été … Continue reading, pour obtenir l’exclusivité d’un marché mondial en déposant un brevet pour un traitement anti-Covid-19.
Soudain, les consciences s’éveillent. Est-ce que les thérapeutiques proposées ne risquent pas de devenir inaccessibles à une partie de la population si les firmes, voulant maximiser leurs marges, usent de leur position de monopole, octroyée par le brevet, pour exiger des prix élevés ?
L’humanisme d’un Jonas Edward Salk, qui considérait aussi impensable de breveter le vaccin anti-poliomyélite que de breveter le soleil[7]– Lire l’article : « Pourquoi tomber en admiration devant Jonas Salk, l’inventeur du vaccin contre la polio ? » (skop.io, 13 juillet 2017). / , n’a plus cours dans le capitalisme globalisé contemporain.
L’humanisme d’un Jonas Edward Salk, qui considérait aussi impensable de breveter le vaccin anti-poliomyélite que de breveter le soleil, n’a plus cours dans le capitalisme globalisé contemporain.
Des voix se font entendre pour demander des prix « abordables », la transparence sur les coûts de production ou l’abandon des droits de propriété intellectuelle pour une exploitation non exclusive.
Le Covid-19 aura au moins eu le mérite de nous obliger à reconsidérer les disparités d’accès aux médicaments en fonction des revenus des patients et de la partie du monde où ils se trouvent. Ces disparités sont dues principalement aux prix exorbitants, comme ceux des anti-cancéreux[8]– Par exemple, 320 000 euros (par patient) pour le Kymriah de Novartis et 350 000 euros pour le Yescatya de Gilead, deux thérapies géniques contre les cancers. / , ou aux pénuries récurrentes des médicaments essentiels.
Cette prise de conscience est à saisir pour repenser ce qui nous est commun : le droit universel aux soins de santé. Il ne peut être restreint à une seule pathologie, aussi grave et mondialisée soit-elle. Les moyens de prévention et les traitements, pour toutes les maladies, connues ou à venir, doivent être rendus accessibles à toutes et tous dans le monde entier.
CHANGEMENT DE PARADIGME
Cette idée du commun nous incite à demander un changement de paradigme. Les biens et services de santé doivent être placés hors des lois du marché.
Pour s’affranchir de toute forme de souveraineté marchande, médicaments et vaccins doivent sortir des règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et être libérés des droits de propriété intellectuelle. Ils ne peuvent pas être source de profit pour quelques acteurs privés détenteurs d’un brevet.
Les médicaments et les vaccins doivent sortir des règles de l’Organisation mondiale du commerce et être libérés des droits de propriété intellectuelle.
Notre manifeste[9]– Voir le Manifeste « Pour une appropriation sociale du médicament » sur le site du collectif Médicament, bien commun. / pour faire du médicament un bien commun au service de la santé et l’urgence de le sortir du marché sont plus que jamais d’actualité.
Pour ce faire, doivent se mettre en place de nouveaux modèles de recherche et développement[10]– NDLR : Lire le texte de François Veillerette et Christian Vélot, Promouvoir la recherche participative, 8 février 2017. / , de production et de distribution des produits de santé, sous le contrôle des travailleurs et de la société, et hors des logiques capitalistes. C’est remettre la santé au cœur de nos politiques publiques.
Osons lutter ensemble pour que le « monde d’après » soit solidaire, où les connaissances, les savoir-faire, les moyens sont partagés, où les coopérations remplacent la compétition entre les peuples.[11]– NDLR : Lire notre « Trois questions à… » Jacques Testart : « La gestion de l’urgence s’accorde mal avec la science », 29 avril 2020. /
Ensemble, imposons un monde où les secteurs essentiels à la vie humaine ne sont pas sacrifiés sur l’autel du productivisme et de l’accumulation des richesses.
Eliane Mandine
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References
↑1 | – NDLR : Lire la tribune libre de Philippe Godard, Méga corona machino virus, 26 mars 2020. / |
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↑2 | – Voir le témoignage de Bruno Canard, chercheur au Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), sur Facebook. / |
↑3 | – NDLR : Lire le texte de Geneviève Azam, Dominique Bourg et Jacques Testart, Subordonner les technosciences à l’éthique, 15 février 2017. / |
↑4 | – Le groupe pharmaceutique Sanofi distribuera, cette année, près de 4 milliards d’euros de dividendes, en hausse par rapport à 2019 (L’Usine Nouvelle, 20 avril 2020). / |
↑5 | – NDLR : Lire la tribune libre de Gwarr Greff, Ce que nous vivons n’est pas une guerre, 3 avril 2020. / |
↑6 | – La Commission européenne et les Etats investissent, depuis janvier, de grosses sommes d’argent pour les recherches sur le Covid-19. Par exemple, 47,5 millions d’euros ont été alloués via le programme européen « Horizon 2020 » (voir le site Internet de la Commission européenne). / |
↑7 | – Lire l’article : « Pourquoi tomber en admiration devant Jonas Salk, l’inventeur du vaccin contre la polio ? » (skop.io, 13 juillet 2017). / |
↑8 | – Par exemple, 320 000 euros (par patient) pour le Kymriah de Novartis et 350 000 euros pour le Yescatya de Gilead, deux thérapies géniques contre les cancers. / |
↑9 | – Voir le Manifeste « Pour une appropriation sociale du médicament » sur le site du collectif Médicament, bien commun. / |
↑10 | – NDLR : Lire le texte de François Veillerette et Christian Vélot, Promouvoir la recherche participative, 8 février 2017. / |
↑11 | – NDLR : Lire notre « Trois questions à… » Jacques Testart : « La gestion de l’urgence s’accorde mal avec la science », 29 avril 2020. / |
14 juin 2020 à 13 h 04 min
Traiter un sujet après l’autre ne sert à rien si c’est pour continuer globalement avec le système!
Comme l’écrivait quelqu’un “on s’en fou par quoi on va le remplacer, ce qu’il faut c’est se débarrasser du capitalisme économique néolibéral mondialisé”!
Mais comme chacun le sait nous sommes allés trop loin dans les erreurs, ce sera donc extrêmement douloureux quoi qu’on fasse, mais cela nous évitera peut-être le big-crunch et la disparition prématurée de l’espèce humaine!
Mais vous n’êtes pas obligés de me croire.