« La science est une chose trop importante pour être laissée entre les mains des seuls savants. » (Carl E. Sagan)

Emmanuel Feyeux : «Je ne peux me résoudre à laisser l’État indemne alors qu’il s’est enrichi sur l’exploitation minière»

Emmanuel Feyeux : «Je ne peux me résoudre à laisser l’État indemne alors qu’il s’est enrichi sur l’exploitation minière»

Depuis l’arrêt de l’activité minière dans l’Hexagone, le territoire français abrite de sombres vestiges de cet extractivisme. Entre effondrements, explosions, inondations, pollutions des eaux et des sols, de nombreuses personnes vivent sur des terres sinistrées. Emmanuel Feyeux fait partie de ces victimes de l’« après-mine ». A Ternand, dans le Rhône, la maison où il vit repose sur les déchets d’une ancienne mine de plomb argentifère. Il témoigne du véritable parcours du combattant qu’il mène depuis huit ans maintenant pour faire reconnaitre son préjudice, alors que la France envisage d’ouvrir de nouvelles mines.

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Sciences Critiques – Saviez-vous que votre maison se trouvait sur un dépôt minier lorsque vous l’avez acquise ? Avez-vous été mis en garde ? Et d’où vient ce dépôt minier ?

Emmanuel Feyeux – Ce dépôt minier vient de l’exploitation de la mine de plomb argentifère de Ternand, dépôt créé au fur et à mesure de l’exploitation entre 1870 et 1920. J’ai acheté ma maison en 2009 avec un crédit bancaire sur vingt ans avec des mensualités de 800 euros, en ignorant totalement ce sujet. La maison appartenait à un particulier et à la mairie de mon village. Personne ne m’a parlé de la pollution. Cela ne faisait pas partie des informations à transmettre lors d’une transaction. Désormais, lorsqu’une pollution est connue, elle est obligatoirement incluse dans les documents d’urbanisme, ce qui permet d’acheter un bien en connaissance de cause.

 

Quelles sont les caractéristiques de ce dépôt minier ? Quelle est son étendue et quels déchets miniers contient-il ?

La surface du dépôt est de 1 hectare sur 4 mètres de hauteur en moyenne. Ce dépôt minier est composé de « stériles miniers » et de « résidus miniers ». Pour comprendre cette composition, il faut préciser le mécanisme d’extraction minière. L’exploitation de la mine consiste à aller chercher le minerai, présent dans un filon entre 30 et 40 mètres de profondeur depuis la surface du sol. Une galerie est creusée pour atteindre le filon, et de la roche est évacuée. Elle est stérile économiquement, car elle est trop peu concentrée pour être exploitée. C’est ça que l’on appelle du « stérile minier ».

Une fois que le filon où se trouve le minerai est atteint, de gros blocs de minerais vont être évacués. Pour les exploiter, il faut les broyer avec des concasseurs pour arriver à une granulométrie très fine, de sorte à extraire le plomb et l’argent. Toutes les autres substances connexes sont des déchets et sont déposés en sortie de mine. Ce sont les « résidus miniers ». Ils contiennent du plomb, de l’arsenic, du cadmium, de l’antimoine, de l’argent, du zinc, etc.

 

 

Avec l’érosion, les résidus miniers de l’ancien dépôt (de l’arsenic, du plomb…) se retrouvent à de fortes concentrations dans les cours d’eau, comme ici sur la rive gauche de l’Azergues, à Ternand (Rhône). / Crédit Emmanuel Feyeux, juillet 2022.

 

 

C’est toute une partie du tableau de la classification périodique qui se retrouve dans le sol où j’habite. Les concentrations maximales dans le sol sont de 113 000 mg/kg pour le plomb et de 4 610 mg/kg pour l’arsenic, alors qu’en dehors de chez moi, les valeurs maximales trouvées sont respectivement de 192 mg/kg et 74 mg/kg. Heureusement, je n’ai pas d’enfants en bas âge car le jardin est si pollué qu’ils y risqueraient l’intoxication en une journée. On retrouve ces substances dans les poussières, les sols, et dans les eaux. En cas de vent, les particules se soulèvent, elles sont en suspension dans l’air que l’on respire et sortent bien évidemment du périmètre de l’ancienne mine.

 

Quelles sont les conséquences sanitaires vous concernant ?

Il y a quatre voies d’exposition majeures : l’inhalation des poussières, l’ingestion de végétaux, l’ingestion de sols, et la consommation d’eau de puits. Les légumes que je cultivais dans mon potager étaient contaminés, je me suis donc intoxiqué sans le savoir.

J’ai découvert que je suis imprégné à l’arsenic. J’ai deux fois et demi le seuil dans mon corps. Ce n’est pas l’Agence Régionale de Santé (ARS) qui est venue frapper à ma porte pour me proposer le dépistage. C’est moi qui ai mis en place une veille sur ce sujet-là. Un guide a été fait à l’attention des médecins par le Haut Conseil de la Santé Publique (HCSP). Je me le suis procuré et j’ai bien constaté que je cochais toutes les cases pour faire un dépistage.

 

Aujourd’hui, la responsabilité est transférée sur les victimes qui sont incitées à être résilientes.

 

J’ai fait une analyse d’urine que j’ai payée de ma poche une centaine d’euros. Je fais des plombémies régulières. Je suis en limite haute par rapport au seuil, un seuil arbitraire puisque le taux normal est de zéro. J’ai appris récemment que le cadmium pouvait aussi être dépisté dans les urines. C’est à la victime de se dépatouiller alors que c’est aux autorités sanitaires de nous accompagner.

On me laisse dans une situation où il y a 100 000 mg de plomb par kg de sol, alors qu’au-dessus de 300 mg/kg de sol, le Haut Conseil de la Santé Publique recommande de tester les femmes enceintes et les enfants par rapport au saturnisme. C’est une gestion criminelle. Dans le cadre du principe de précaution, l’État devrait avoir la responsabilité de mettre en sécurité ses populations. C’est une question de volonté politique. Or, aujourd’hui, la responsabilité est transférée sur les victimes qui sont incitées à être résilientes.[1]NDLR : Lire notre « Grand Entretien » avec Thierry Ribault : « La résilience est la nouvelle religion d’Etat », 14 juillet 2021.

 

Comment a eu lieu la découverte de ce dépôt minier ?

En 2006, il y a eu une directive européenne sur les déchets issus de l’industrie extractive qui demande à tous les États-membres de faire un inventaire national des déchets miniers. Le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), qui assure la gestion technique des surveillances et des travaux des anciens sites miniers, et Geoderis, le Groupement d’Intérêt Public qui apporte à l’État une assistance et une expertise en matière d’après-mine, sont missionnés pour le réaliser[2]– Voir le site Après-mine opérationnelle.. Les secteurs miniers sont classifiés d’A à E : A signifie une quasi absence de risque, D et E la nécessité de réaliser une étude sanitaire et environnementale.

 

 

Une maison construite sur l’ancien dépôt minier, dans le village de Ternand. / Crédit Emmanuel Feyeux, mars 2023.

 

 

En mars 2011, Geoderis vient faire un prélèvement de sol chez moi. Je n’ai pas de nouvelle jusqu’en 2015. Je reçois alors un courrier du préfet m’annonçant que, dans le cadre de la directive, l’ancien site minier de Ternand a été classifié D dans cet inventaire. Cela signifie que le secteur où j’habite depuis dix ans est susceptible de présenter un risque pour la santé humaine et environnementale, et qu’il est nécessaire de faire une étude sanitaire. Je vois ensuite débarquer Geoderis, la Dreal [Direction régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement, NDLR] et la mairie pour réaliser l’étude en question : prélèvements de légumes, de sol, d’eau.

L’ingénieure en charge de l’étude me confie discrètement : « Il faudrait peut-être arrêter de manger vos légumes… » Cette ingénieure s’est battue avec ses moyens pour m’aider. Elle a été écartée du dossier et a quitté Geoderis par la suite. Elle se bat au sein de l’association SystExt – qui rassemble, entre autres, des ingénieurs géologues miniers lançant l’alerte sur les problématiques liées à l’exploitation minière.

 

Comment avez-vous appris les résultats de l’étude des prélèvements ?

Naïvement, en bon citoyen respectueux de l’État de droit et qui a toujours été dans les clous de la loi, je ne me doute pas un instant que l’on va me laisser dans cette situation. Pourtant, je n’ai aucune nouvelle pendant encore deux ans. Je décide de prendre un avocat, qui met en demeure les services de l’État de sortir le rapport d’étude. La réponse est que le rapport n’est pas finalisé.

Puis, en 2018, trois années après les prélèvements, j’apprends à la volée l’existence d’une réunion publique dans ma commune. En amont, la mairesse me signale que le préfet a dit « ne pas avoir un centime à mettre sur le dossier ». Mon avocat m’accompagnera à cette horrible et lunaire réunion. Le préfet y annoncera que le site est pollué, et qu’en tant que propriétaire, la responsabilité nous incombe, en étant bien entendu « libre » de vendre à d’autres. Mon avocat me dit qu’il n’y a plus rien à attendre hormis attaquer.

 

L’État fait tout pour que je me décourage. C’est David contre Goliath.

 

Nous faisons un recours au tribunal administratif en demandant que je sois indemnisé de la valeur vénale du bien et des préjudices. Le tribunal a jugé que mon bien n’a jamais pu acquérir de valeur du fait de l’antériorité de la pollution. Le fait générateur du dommage, c’est la pollution des sols qui date de l’exploitation de la mine. J’ai reçu 8 000 euros d’indemnité pour les préjudices d’anxiété et de condition de subsistance, que j’ai dû réclamer auprès de la Dreal.

 

Quelle suite pensez-vous donner à votre combat juridique ?

J’ai lancé un nouveau recours en mars 2022, où je demande à l’État de dépolluer ma parcelle. Pour le moment, je n’ai aucune nouvelle. L’État fait tout pour que je me décourage. C’est David contre Goliath. Moi, j’ai un avocat et la partie adverse, c’est tout le service juridique de Bercy, le ministère de l’Économie.

Le combat que je mène a un impact psychologique immense. Je n’ai pas de perspectives de vie, je suis en permanence en lutte. Ce n’est pas un environnement propice à l’épanouissement. Depuis 2015, suite à l’annonce du préfet, mon état dépressif m’a mené au burn-out. Je suis désormais en invalidité. Il faudrait que je parte mais je n’ai pas d’autres solutions que de vivre ici. Je suis coincé avec mon prêt immobilier et je m’intoxique petit à petit. Je suis sciemment abandonné par l’État, qui se cache derrière le code minier.

 

En quoi le code minier influe sur votre combat ?

Le code minier actuel date de Napoléon. C’est ce code qui définit ce qui constitue un dommage minier. À l’époque, toutes les autorisations ont été données aux exploitants miniers pour les encourager à exploiter au maximum les ressources. Si des maisons s’affaissaient à cause des galeries minières, c’était à l’exploitant de les racheter. Dans les veines du charbon, il y a du gaz qui est emprisonné. Les mineurs, quand ils tapaient là-dedans, pouvaient percer une poche de gaz et provoquer une explosion mortelle : le coup de grisou. Là aussi, c’était de la responsabilité de l’exploitant.

À la fin de l’activité minière, au début du XXème siècle, l’exploitant demande à l’État de renoncer à son titre minier, c’est-à-dire de ne plus être responsable des dommages miniers. Alors, quand l’État a donné quitus à l’ancien exploitant, de fait, l’État devient responsable de la gestion des dommages miniers. Le hic, c’est que la pollution de sol n’est pas considérée comme un dommage minier. Il y a un vide juridique. Le premier jugement que j’ai eu est une preuve de la responsabilité de l’État. C’est une jurisprudence victorieuse.

 

 

Un minerai contenant de la galène retrouvé dans le village de Ternand. / Crédit : Emmanuel Feyeux, mars 2023.

 

 

Quels sont les réponses, les recommandations et les aménagements économiques, juridiques, sanitaires qui vous ont été proposés par les services de l’État ?

L’État a mis des moyens financiers considérables pour réaliser les études sanitaires liées à la directive européenne. Selon moi, c’est de l’argent public foutu en l’air. Chez de nombreuses victimes, il n’y a aucun intérêt à faire des études aussi poussées : les taux sont si élevés qu’il est évident que les conséquences sanitaires et environnementales sont catastrophiques. Avec cet argent, les victimes auraient pu être indemnisées.

Mais au lieu d’entreprendre des travaux de dépollution ou d’exproprier les maisons en indemnisant au prix d’achat, la seule et unique réponse de l’État est d’émettre des recommandations sanitaires visant à limiter l’exposition des populations aux polluants.

 

Les parents sont culpabilisés s’ils ne respectent pas scrupuleusement les recommandations sanitaires alors qu’elles sont de fait impossibles à suivre au quotidien.

 

Il faut se couper les ongles courts, se laver les mains soigneusement, surveiller les jeunes enfants pour limiter le portage de la main à la bouche, laver fréquemment les vêtements de jardinage, limiter la consommation de végétaux et d’animaux du sol, arroser les cultures avec de l’eau du réseau. Je fais mon maximum pour les respecter mais je ne peux vivre dans un bocal. Ce n’est pas une vie d’être en cosmonaute.

À Saint-Martin-la-Sauveté (Loire), c’est une famille avec deux enfants qui ont des taux similaires aux miens ! Les parents sont culpabilisés s’ils ne respectent pas scrupuleusement les recommandations sanitaires alors qu’elles sont de fait impossibles à suivre au quotidien. L’État leur fait du chantage en leur proposant de réhabiliter uniquement la partie « balançoire » de leurs enfants en échange de l’abandon de leur recours. C’est monstrueux, et c’est la seule réponse de l’État, alors qu’il est censé être responsable de la gestion de l’après-mine.

 

Y a-t-il des similitudes entre la gestion calamiteuse de l’après-mine et le scandale de l’amiante ? Pour rappel, il s’est déroulé près d’un demi-siècle entre les premières études scientifiques et l’interdiction de l’amiante en 1997 par le président Jacques Chirac, du fait notamment du lobbying des industries de l’amiante.

Les fibres d’amiante ayant un impact sur la santé peuvent être clairement identifiées. On peut faire le lien de cause à effet entre l’exposition et la maladie. Alors que dans le cas de l’après-mine, le lien de cause à effet entre une insuffisance rénale et une intoxication au cadmium, par exemple, ne peut pas être démontré avec la même certitude.

On ne peut pas déterminer avec la même exactitude les responsables directs du problème sanitaire. Pour autant, on a les mêmes types de conséquences. On sait que de moyen à long terme, les expositions au cadmium peuvent créer un cancer. L’État gère l’après-mine en sachant très bien que si des personnes tombent malades dans trente ans, personne ne pourra prouver que cette maladie vient exclusivement de l’exposition aux toxiques d’origine minière.

 

Quelles solutions convenables souhaiteriez-vous pour votre situation ? Quels sont les différents scénarios de sortie ?

Je suis dans le flou, la situation est extrêmement complexe. J’attends la décision du tribunal en espérant que l’État exproprie et rachète ou fasse les travaux. Autrement, j’attends la fin du remboursement de mon prêt, je refais un prêt pour financer les travaux de dépollution. Idéalement, il faudrait enlever tout le dépôt minier, un hectare sur 4 mètres de profondeur, et le transporter ailleurs.

 

 

Je ne peux me résoudre à laisser l’État indemne alors qu’il s’est enrichi sur l’exploitation de cette mine.

 

 

Le plus réaliste, c’est de retirer 30 à 40 cm de sol pour le stocker en décharge ultime. Puis, de poser une géo-membrane anti-contaminante pour empêcher les remontées de pollution. Ensuite, de recouvrir le tout avec de la terre non polluée. Une autre pratique d’usage, c’est le goudronnage pour limiter l’accès aux poussières. J’ai fait venir un expert pour faire un chiffrage. Il y en a pour 200 000 euros, le prix de la maison.

Sinon, je vends ma maison en connaissance de cause pour l’acheteur. C’est compliqué éthiquement. Je peux aussi claquer la porte, m’enfuir, acheter un van et me sauver de ce bourbier. Sauf que je ne peux me résoudre à laisser l’État indemne alors qu’il s’est enrichi sur l’exploitation de cette mine. Un énième scénario, c’est une grève de la faim ou un un dépôt de déchets miniers chez un destinataire indésirable…

 

 

Emmanuel Feyeux, dont la maison repose sur les déchets d’une ancienne mine de plomb argentifère, est l’une des victimes de l’après-mine. / Crédit : E. Allasia, avril 2023.

 

 

Quels soutiens avez-vous trouvés dans votre combat ?

Je n’ai reçu aucun soutien local. La plupart des élus du secteur disent que la mine a toujours existé, que des gamins ont joué dessus et qu’ils ne sont pas morts. J’ai dû médiatiser l’affaire. Or, c’est très mal vu dans le coin car c’est une verrue dans le paysage. Mon premier soutien, c’est la presse. La presse régionale me suit depuis le début et publie à chaque avancée. Il y a eu des articles sur France Info, dans Reporterre et un podcast sur France Inter. J’ai aussi fait un blog qui retrace mon combat[3]– Voir La mine de Ternand me plombe..

Je me suis rapproché de SystExt, de l’association Gratte-papier qui se bat dans la vallée de l’Orbiel contre la pollution de l’ancienne plus grande mine d’or d’Europe[4]– Lire l’article du Monde du 13 août 2019., de l’Association pour la dépollution des anciennes mines de la Vieille Montagne (ADAMVM) qui demande la dépollution de la Vieille Montagne de Saint-Félix-de-Pallières, de l’association des familles victimes de saturnisme, de l’association Toxicologie-Chimie, des chercheurs de l’Inserm parmi ceux qui avaient réussi à faire interdire l’amiante il y a une trentaine d’années, etc. Mais tout ce beau monde est éparpillé. C’est dur de fédérer. Cela nécessite des moyens humains.

 

Il n’y a aucune place pour la considération des sinistrés dans l’après-mine, aucun espace d’expression et d’écoute, tout est fait pour individualiser en cas particulier.

 

À ce sujet, je suis partenaire du projet après-mine mené par SystExt en France métropolitaine. Les objectifs sont de mettre en exergue les réalités de l’après-mine et l’insuffisance des réponses apportées. Cela me permet de rencontrer d’autres victimes et de partager mon expérience. Certains sinistrés vont se battre comme moi, d’autres sont dans le déni et d’autres se contentent d’appliquer la politique de la « serpillère humide » édictée par l’État.

 

Vous étiez à un forum sur l’après-mine en septembre 2022. Quelles sont les problématiques majeures qui en sont ressorties selon vous ? Et quelles alertes doivent être faites ?

De manière assez flagrante, ce qui est ressorti de tous les témoignages de victimes, c’est que l’action de l’État n’est pas du tout à la hauteur. Il va tout faire pour transférer sa responsabilité sur les victimes. Il n’y a aucune place pour la considération des sinistrés dans l’après-mine, aucun espace d’expression et d’écoute, tout est fait pour individualiser en cas particulier.

Les espoirs, c’est de se rendre compte que l’on n’est pas seul et isolé, que beaucoup de personnes se mobilisent. Il y a un noyau de personnes qui luttent. C’est positif d’avoir le soutien d’experts renommés dans leur domaine. On s’est dit qu’on allait, en tant que sinistrés, prendre notre bâton de pèlerin et faire la tournée d’autres victimes ; et qu’il y aurait quelque chose qui pourra naître de ces rencontres. Fédérer les luttes, c’est un enjeu, c’est le combat d’une vie.

 

Quel regard portez-vous sur la possible réouverture des mines en France ?

Avant de rouvrir les mines, la moindre des choses serait que l’État assume dignement le passif minier de la France. Alors que les victimes existantes sont déjà violentées par l’activité minière du passé, le cauchemar continue pour l’avenir. Le gouvernement actuel fait le maximum pour tout verrouiller pour les mines de demain. Déjà, le futur code minier n’a pas été débattu à l’Assemblée ! C’est dans la loi Energie et Climat issue de la Convention Citoyenne pour le Climat – largement négligée par la présidence d’Emmanuel Macron – qu’il a été écrit que la réforme du code minier se ferait par ordonnance[5]– Voir l’ordonnance du 13 avril 2022 sur le site Vie publique., et elle a été faite en partie dans l’entre-deux tours des présidentielles de 2022.

 

 

Carte postale illustrant la mine de plomb argentifère de Ternand, dans le Rhône, aux environs de 1920. / Crédit : Collection particulière Emmanuel Feyeux.

 

 

Ensuite, dans ce projet de réforme, les dommages à l’environnement et à la santé publique sont certes bien considérés comme un dommage minier. Mais à la fin de cette ordonnance, il est mentionné que les dommages présents avant la signature de cette ordonnance[6]– Lire l’article de Reporterre du 21 avril 2022. ne sont pas pris en compte. Et que le responsable peut s’exempter de sa responsabilité en apportant la preuve que les victimes n’ont pas respecté à la lettre les consignes sanitaires, c’est-à-dire, qu’elles ne se sont pas coupé les ongles assez courts ou qu’elles n’ont pas suffisamment passé la serpillère. C’est un véritable permis de polluer et un mépris envers les habitants des territoires concernés !

Mais, au-delà de la réforme du code minier, se pose la question de la pertinence même de la réouverture des mines. Vu notre dépendance aux métaux, on ne peut effectivement pas s’en passer du jour au lendemain. Pour notre autonomie et dans une approche anticoloniale, on va devoir relocaliser. Mais les métaux sont une ressource épuisable et leur exploitation a des impacts socio-environnementaux. La vraie question c’est : des métaux pour quoi faire ? Pour faire une IRM dans un hôpital, c’est vital, oui ; pour faire un énième smartphone changé tous les ans ou des voitures électriques individuelles, non. La croissance verte est un non-sens[7]NDLR : Lire la tribune libre de François Jarrige, Relancer le PIB ? Généalogie d’une obsession, 14 février 2021.. Le métal doit être vendu à sa juste valeur, environnementale et sociale. Le plomb à l’époque a été vendu sans prendre en compte tout cela.

 

Si la société civile se mobilise et démontre son opposition, alors les actionnaires seront frileux et les capitaux repartiront aussi vite qu’ils sont arrivés !

 

Ensuite, il ne faut pas se leurrer, cela va être comme au temps de Germinal au XIXème siècle. Je crois difficilement que l’on puisse offrir des conditions de travail dignes dans les mines. Il est envisagé de peut-être robotiser[8]NDLR : Lire notre « Grand Entretien » avec Paul Jorion : « Se débarrasser du capitalisme est une question de survie », 7 octobre 2016., mais cela restera cosmétique. Ce sont des exploitants privés qui vont exploiter les ressources du pays, épuiser les gisements et laisser leurs déchets toxiques sur site, tout cela pour se faire du fric. Croire que l’extraction des métaux va être raisonnable, que l’on va extraire seulement ce dont on a besoin sans spéculer dessus, c’est une lubie. Les rendements annoncés aux investisseurs sont tellement élevés qu’ils attirent l’avidité de beaucoup d’actionnaires. La mine propre n’existe pas.

Si la société civile se mobilise et démontre son opposition, alors les actionnaires seront frileux et les capitaux repartiront aussi vite qu’ils sont arrivés ! Je n’ai plus d’espoir dans la volonté de l’État mais je l’ai en la mobilisation citoyenne. Tenir le rapport de force, c’est la seule issue ! Sans mobilisation citoyenne, le rouleau compresseur du capitalisme va tout écraser. Et pour se mobiliser, il faut que les gens soient au courant.

Propos recueillis par Victoria Berni, journaliste / Sciences Critiques.

 

 

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References

References
1 NDLR : Lire notre « Grand Entretien » avec Thierry Ribault : « La résilience est la nouvelle religion d’Etat », 14 juillet 2021.
2 – Voir le site Après-mine opérationnelle.
3 – Voir La mine de Ternand me plombe.
4 – Lire l’article du Monde du 13 août 2019.
5 – Voir l’ordonnance du 13 avril 2022 sur le site Vie publique.
6 – Lire l’article de Reporterre du 21 avril 2022.
7 NDLR : Lire la tribune libre de François Jarrige, Relancer le PIB ? Généalogie d’une obsession, 14 février 2021.
8 NDLR : Lire notre « Grand Entretien » avec Paul Jorion : « Se débarrasser du capitalisme est une question de survie », 7 octobre 2016.

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