« La science est une chose trop importante pour être laissée entre les mains des seuls savants. » (Carl E. Sagan)

L’Éducation nationale tombe dans le «solutionnisme algorithmique»

L’intelligence artificielle fait son entrée à l’école. En février, 200 000 lycéens utiliseront un logiciel interactif en français et en mathématiques. Une décision prise au détriment du principe de précaution.

Depuis l’irruption de l’agent conversationnel ChatGPT à la fin de l’année 2022, le flot des réactions et des débats autour de l’intelligence artificielle (IA) ne se tarit plus. Récemment, le gouvernement français a fait savoir qu’il aurait recours à un nouveau système basé sur l’IA dans le cadre de l’Éducation nationale. Dans une tribune parue le 1er janvier dernier dans le quotidien Libération, Marius Bertolucci, maître de conférences en sciences de gestion à Aix-Marseille Université, met en garde quant à l’arrivée prochaine d’un « service numérique de remédiation » au lycée.

 

Le principe de précaution devait prévaloir.

 

Lors d’une conférence de presse, le 5 décembre dernier, Gabriel Attal, alors ministre de l’Éducation nationale, a annoncé la mise à disposition en seconde d’une application reposant sur l’IA : MIA Seconde. Ce logiciel, développé par l’entreprise EvidenceB, emploie un algorithme d’apprentissage automatique pour proposer à chaque élève des exercices personnalisés en français et en mathématiques. Plus il accumule de données sur les élèves, plus il affine ses choix d’exercices. Selon le ministre, cet outil sera utilisé « à la maison ». Le professeur pourra consulter les progrès de chacun sur un tableau de bord.

 

INDIVIDUALISATION EXTRÊME
DE L’APPRENTISSAGE

 

Pour Marius Bertolucci, l’Education nationale vient de tomber « dans le solutionnisme algorithmique ». L’universitaire souligne que l’efficacité de ces logiciels n’a pas fait l’objet d’une validation scientifique, alors même que les études s’accumulent quant aux effets délétères des écrans. « Le principe de précaution devait prévaloir avant de modifier l’apprentissage de centaines de milliers de jeunes. »

Au-delà des risques cognitifs, MIA Seconde encourage encore un peu plus les interactions numériques à l’école, l’un des derniers lieux où le contact humain restait privilégié. « Pour des élèves soumis aux écrans depuis leur plus jeune âge, une nouvelle ligne de fracture s’ouvre entre eux et le monde qu’il soit social (leurs camarades) ou physique (le papier et les cahiers) », écrit l’universitaire.

 

une nouvelle ligne de fracture entre les élèves et le monde social et physique.

 

Marius Bertolucci ajoute que la disparition des devoirs communs revient à priver les adolescents d’une chance de rapprochement. Il affirme : « Cette vision technocratique de l’éducation pose la question de l’individualisation extrême de l’apprentissage fragmentant l’expérience collective de la classe. » La compétence et la sensibilité du professeur sont aussi remises en question, selon l’universitaire : « L’empathie disparaît au profit de l’algorithmie. L’enseignant se voit transformé en manager de ses homologues IA-enseignantes, supposées plus performantes. »

 

DES LOGICIELS SOUS
CONTRÔLE CITOYEN ?

 

Le maître de conférences appelle en conclusion l’Éducation nationale à développer ses propres logiciels sous contrôle des citoyens. « La société civile et ses associations ont un rôle à jouer crucial pour éviter que les dérives et les scandales ne se répètent quant à l’utilisation de l’IA dans le secteur public (reconnaissance faciale dans la police, algorithmes illégaux par la Caisse d’Allocations Familiales). Nos institutions sont l’affaire de tous », avance Marius Bertolucci.

En attendant un éventuel débat national sur la question, MIA Seconde sera mis à la disposition de 200 000 lycéens en février prochain, puis à l’ensemble des classes de seconde à la rentrée 2024.

Mathieu Dejeu, journaliste / Sciences Critiques.

 

 

 

Un commentaire

  1. Merci beaucoup pour l’article.

    L’IA s’infiltre très vite dans tous les secteurs de nos vies. Malheureusement, on prend peu de temps pour réfléchir sur son impact avant son utilisation.

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