Algorithme de la CAF : des associations dénoncent des «dérives» et une «maltraitance institutionnelle»
A l’œuvre depuis plusieurs années maintenant, la « dématérialisation » des services publics tend à dégrader les relations entre les citoyens et l’administration. Un exemple éloquent avec les Caisses d’allocations familiales (CAF). La situation est devenue si « inhumaine » que des associations interpellent le gouvernement.
Dans une lettre ouverte adressée le 6 février dernier au Premier ministre, Gabriel Attal, une trentaine d’associations dénoncent l’utilisation, par la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), d’un algorithme de ciblage et de profilage des bénéficiaires de prestations sociales. Ces associations, qui œuvrent à la défense des droits humains et des libertés fondamentales, considèrent que le recours à ce type de technologie « se traduit par des pratiques discriminatoires vis-à-vis de certains allocataires, et en particulier les plus vulnérables d’entre eux et les plus en difficulté » : les adultes handicapés, les femmes seules avec enfants, les bénéficiaires du Revenu de solidarité active (RSA), les personnes disposant de revenus irréguliers, etc.
Plus globalement, les associations-signataires pointent les « dérives liées à la dématérialisation » des services publics – comme les suspensions automatiques des droits sans respect des procédures contradictoires – et « l’opacité » qui les accompagne. Elles regrettent également l’« absence d’interlocuteurs physiques suffisants dans les accueils des CAF [Caisses d’allocations familiales, NDLR] » et « la déshumanisation des relations » entre les citoyens et l’administration publique.
« DÉSHUMANISATION »
Cet état de fait représente une « maltraitance institutionnelle », selon les associations. Une maltraitance « porteuse de multiples conséquences sur le plan matériel et psychologique pour tous ceux et celles qui sont marqués par des situations extrêmes, dont ne semblent pas avoir conscience les autorités de tutelle », écrivent-elles.
Face à ces constats, les associations à l’origine de la lettre ouverte demandent au gouvernement de mettre fin « instamment » à ces « situations de non-droit et de maltraitance ». Elles enjoignent la CNAF à un certain nombre d’actions. Parmi lesquelles, renoncer à l’utilisation des algorithmes de notation, de sorte à « réorienter les contrôles vers le conseil pour l’accès aux droits ». Elles demandent également à instaurer « un principe de libre choix » pour l’usager quant à son mode de relation avec les services publics – comme le préconise la Défenseure des Droits –, « afin que chaque allocataire puisse avoir accès à un interlocuteur physique en cas de difficultés ».
Des conséquences matérielles et psychologiques dont ne semblent pas avoir conscience les autorités de tutelle.
En plus d’exiger l’interdiction des suspensions automatiques des droits, les associations appellent enfin à contrôler, de manière indépendante, la légalité et la conformité des pratiques, des procédures et des outils informatiques de l’administration, vis-à-vis notamment du Code des relations entre le public et l’administration et du Règlement général sur la protection des données (RGPD).
A ce jour, une vingtaine d’associations et pas moins de 800 personnes ont rejoint le collectif à l’origine de la lettre ouverte. Ce dernier a sollicité une rencontre – physique – à Matignon avec Gabriel Attal. Une proposition restée, pour l’heure, sans réponse. Même par voie électronique…
Anthony Laurent, rédacteur en chef / Sciences Critiques.
24 mars 2024 à 10 h 14 min
Faisant fonction de travailleuse sociale auprès des sans-abris, j’ajouterais que cette maltraitance touche aussi les accompagnants qui s’arrachent les cheveux chaque jour face à des outils numériques régulièrement défaillants, absurdes voire carrément incohérents…
Merci pour cet article!