« La science est une chose trop importante pour être laissée entre les mains des seuls savants. » (Carl E. Sagan)

Le climat s’échauffe au CNRS

Le président-directeur général du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), Antoine Petit, a annoncé la création d’un label pour soutenir et valoriser une poignée de laboratoires d’excellence hexagonaux. Une décision qui a provoqué le courroux des chercheurs et des chercheuses, qui dénoncent une recherche publique à deux vitesses, « prélude au démantèlement annoncé » du CNRS, créé à la fin des années 1930.

Quelques mois seulement après la remise du rapport Millet, qui avait déjà fait couler beaucoup d’encre au sein de la communauté scientifique, le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) fait à nouveau parler de lui en ce début d’année 2025. Toujours dans sa quête – pour ne pas dire son obsession – de tirer son épingle du jeu dans la compétition académique internationale, le plus grand organisme public français de recherche scientifique vient d’annoncer, par la voix de son président-directeur général, Antoine Petit, la création du label « Key Labs ».

 

Le CNRS abandonnera-t-il, à terme, les unités de recherche non labellisées ?

 

Ce label doit permettre à l’institution de concentrer, durant une période de cinq ans renouvelable, l’essentiel de ses moyens – financiers, humains et matériels – sur « un nombre plus restreint d’unités [de recherche], celles qui peuvent légitimement prétendre à être qualifiée “de rang mondial” », explique le PDG du CNRS. Un quart des plus de 860 unités dont l’organisme a la tutelle ou co-tutelle seront labellisés dans un premier temps. Selon Antoine Petit, il s’agit des laboratoires « les plus à même de répondre rapidement aux exigences de la compétition internationale et aux enjeux de la nation, d’être les fleurons de la recherche française, attractifs pour les meilleurs scientifiques, notamment en concentrant les plateformes scientifiques et technologiques les plus performantes. »

 

UNE LEVÉE DE BOUCLIERS
DANS LA COMMUNAUTÉ SCIENTIFIQUE

 

Cette annonce n’a pas manqué de provoquer une véritable levée de boucliers dans la communauté scientifique, et ce à tous les échelons de la recherche hexagonale. Le CNRS abandonnera-t-il, à terme, les 75 % des unités non labellisées, vouées dès lors à survivre, avec des moyens et des ressources limités, dans la compétition mondiale, voire à disparaître ?

 

Une motion de défiance appelle à un « arrêt immédiat » du projet et à la démission du Président-directeur général du CNRS.

 

France Universités, qui rassemble les dirigeants des universités et des grandes écoles françaises, a exprimé sa « profonde inquiétude » et son « total désaccord » avec les déclarations « unilatérales » d’Antoine Petit. L’ex-Conférence des présidents d’université appelle même à un moratoire « visant à garantir un cadre de réflexion approfondi et collectif, permettant de redéfinir des priorités scientifiques nationales équilibrées. » Pour France Universités, il est avant tout urgent de définir les « priorités scientifiques nationales et leur déclinaison locale ». Illustration, parmi d’autres, du désamour actuel : ce 22 janvier, Dean Lewis, le président de l’université de Bordeaux, a annoncé qu’il mettait « en pause » ses échanges avec le CNRS concernant la liste des huit « Key Labs » qui avaient été pré-identifiés par l’organisme.

Dans le même temps, une « motion de défiance envers la présidence du CNRS », lancée le 10 janvier à l’instigation d’un collectif d’agents de la recherche publique, appelle à un « arrêt immédiat » du projet des Key Labs et à la démission d’Antoine Petit, « pour permettre une refondation collective de notre institution sur des bases conformes à ses missions fondamentales. » Le texte sera remis très prochainement à la ministre en charge de l’Enseignement supérieur et de la recherche, Élisabeth Borne. La motion a déjà été signée par plus de 7 000 scientifiques, tous statuts confondus (directeurs d’unités, chercheurs, doctorants, ingénieurs, techniciens, administratifs…).

 

« ABSURDE ET BRUTAL »

 

Pour le collectif de chercheurs et d’universitaires RogueESR, la décision du PDG du CNRS relève du « coup de force inédit ». Selon eux, « cette transformation absurde et brutale » que représente la création de ce nouveau label d’excellence, « imposée de manière unilatérale », constitue une étape de plus dans « le démantèlement en cours du CNRS par sa bureaucratie ».

De son côté, le Syndicat national des chercheurs scientifiques (SNCS-FSU) déplore « une tentative de s’ajuster à la politique de sous-investissement chronique de tous les gouvernements depuis plus de vingt ans dans la recherche publique. » Le SNCS-FSU va jusqu’à demander l’organisation d’une grande « conférence nationale », dont l’objectif serait de « proposer une organisation de la recherche qui soit partagée par l’ensemble des personnels. » Le syndicat rappelle que « seule l’évaluation par des pairs majoritairement élus devrait conduire la politique scientifique de l’établissement. » Il fait en outre savoir que « ce n’est ni la taille des laboratoires, ni le pourcentage des effectifs CNRS, ni la “reconnaissance internationale”, ni la compétition qui conduisent aux ruptures scientifiques, épistémologiques et éventuellement à l’innovation. Cette vision est celle, une fois de plus, des technocrates des ministères. »

 

La création des Key Labs constitue une étape de plus dans « le démantèlement en cours du CNRS par sa bureaucratie ».

 

Dès la fin de l’année 2024 et l’annonce officielle d’Antoine Petit, le 12 décembre, le SNCS-FSU avait emboîté le pas au conseil scientifique du CNRS. Chargé de « veiller à la cohérence de la politique scientifique du centre », ce dernier avait vivement regretté, par la voix de son président, Olivier Coutard, de ne pas avoir été consulté « en amont de la mise en place de cette politique structurante pour l’organisme ». Sans remettre véritablement en cause la stratégie arrêtée par la direction du CNRS, Olivier Coutard affirme, dans une déclaration diffusée à la suite d’une « séance extraordinaire » du conseil tenue le 18 décembre, vouloir aider l’organisme à « définir l’approche la plus adaptée ». « En particulier, les retours d’expériences étrangères en matière d’organisation et de pilotage de la recherche auraient permis de mieux appréhender les risques inhérents à l’approche retenue », écrit-il.

 

UNE POLITIQUE INÉGALITAIRE ASSUMÉE

 

En instituant les « Key Labs », la décision d’Antoine Petit préfigurerait-elle, voire accélèrerait-elle une recherche publique à deux vitesses ? En 2019 déjà, le PDG du CNRS avait défrayé la chronique en appelant de ses vœux une loi de programmation de la recherche « inégalitaire ». « Oui, inégalitaire, une loi vertueuse et darwinienne, qui encourage les scientifiques, équipes, laboratoires, établissements les plus performants à l’échelle internationale, une loi qui mobilise les énergies », avait-il alors affirmé, provoquant une première vague d’indignation et de protestations à son égard suite à sa nomination l’année précédente.

Anthony Laurent, rédacteur en chef / Sciences Critiques.

 

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