Un grand projet inutile et imposé au CERN
Le Centre européen de recherche nucléaire (CERN) projette de construire le plus grand et le plus puissant accélérateur de particules au monde. Une nécessité scientifique pour une poignée de décideurs, une aberration écologique et financière pour ses opposants, parmi lesquels des chercheurs. La controverse autour de ce nouveau méga-projet ne fait que commencer.
Les grands projets inutiles et imposés – expression popularisée par le mouvement écologiste dans les années 2010 – ne concernent pas uniquement l’aménagement du territoire. Si l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, le barrage de Sivens, la ligne ferroviaire Lyon-Turin, parmi d’autres, ont fait l’objet ces dernières années de vives protestations et de luttes virulentes – parfois victorieuses pour les opposants –, il en est de même pour les grands équipements de la recherche scientifique.
Un cas d’école, un des derniers en date, voire le dernier : le Centre européen de recherche nucléaire (CERN) souhaite construire, dans les vingt prochaines années, le « FCC » (acronyme pour Future Circular Collider), un méga-collisionneur de particules, dont l’objectif scientifique est double : mieux comprendre le Big Bang, l’origine de l’Univers, et mettre à l’épreuve le modèle standard de la physique des hautes énergies, qui prédit actuellement le comportement des particules élémentaires.
UN MÉGA-PROJET DE 16 MILLIARDS D’EUROS
Et à programme (scientifique) ambitieux, infrastructures (technologiques) pharaoniques et dispendieuses. Pour réaliser ces expériences de physique d’une grande technicité et très énergivores, un immense tunnel de plus de 90 kilomètres de circonférence – le collisionneur – doit être foré dans le sous-sol, entre 100 et 400 mètres de profondeur, à la frontière entre la France et la Suisse, en passant sous le Lac Léman. Il doit abriter deux équipements amenés à fonctionner jusqu’à la fin du siècle. Coût prévisionnel du projet : 16 milliards d’euros. Au moins.
Problème : pour de plus en plus de riverains, d’associations écologistes et même de chercheurs, le FCC « comporte des risques considérables ». Risques environnementaux, risques énergétiques, risques financiers… Depuis plusieurs mois maintenant, ils interrogent le bien-fondé d’un tel projet. « À l’heure de l’urgence écologique, est-il encore souhaitable de développer des infrastructures de recherche scientifique énergivores, coûteuses, délétères pour l’environnement et aux retombées scientifiques incertaines ? », écrivent les opposants dans une tribune collective qui doit être publiée très prochainement.
« UN PARADIGME OBSOLÈTE
DE CROISSANCE ILLIMITÉE »
Conscients des difficultés croissantes à convaincre financeurs et politiques – le FCC en est, pour l’heure, aux études de faisabilité (pour lesquelles ont déjà été mobilisés 100 millions d’euros) –, les dirigeants du CERN et, au-delà, les promoteurs du futur collisionneur, en France, en Suisse comme dans le reste de l’Europe, multiplient les promesses à l’intention à la fois de la communauté scientifique, des acteurs économiques locaux et du grand public : rayonnement touristique, retombées économiques, leadership scientifique mondial, etc. Selon eux, le futur équipement ne présenterait que des avantages.
Face à la controverse qui se fait jour, et aux pressions et mobilisations sociales, scientifiques et politiques que son projet fait désormais naître, le CERN finira-t-il par renoncer ? Ou s’enfermera-t-il, comme le dénoncent les opposants au FCC, « dans un paradigme obsolète de croissance illimitée des ressources, de l’énergie, et in fine de l’économie » ?
Anthony Laurent, rédacteur en chef / Sciences Critiques.
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