Pièces et Main-d’Œuvre (PMO) est un collectif créé en 2003, engagé dans une critique radicale de la recherche scientifique et du complexe militaro-industriel, se définissant comme un « atelier de bricolage pour la construction d’un esprit critique grenoblois ». A travers leurs enquêtes, leurs recherches et leurs écrits, ils s’opposent au système technicien et dénoncent ce qu’il a d’intrinsèquement mortifère. Leur dernier ouvrage, paru en septembre 2017, est le Manifeste des Chimpanzés du futur contre le transhumanisme (Editions Service compris), un appel à la résistance contre ce « néo-nazisme surgi des laboratoires ».
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Sciences Critiques − Au regard de vos enquêtes et de vos recherches menées depuis de nombreuses années, comment définissez-vous le transhumanisme et quelle est l’idéologie sous-jacente au développement exponentiel des NBIC (nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives) ?
Pièces et Main-d’Œuvre (PMO) − Sa volonté d’« améliorer » l’espèce humaine par les moyens de la science inscrit le transhumanisme dans la tradition eugéniste du milieu scientifique depuis les Lumières. On a donné des noms variés – « viriculture », « mégalanthropogénésie », « aristogénie » – à une même idée : l’homme moderne serait façonnable à loisir par ceux qui maîtrisent la science et les machines.
Pour les eugénistes d’après la Seconde guerre mondiale, les camps nazis et l’eugénisme en acte du Lebensraum, difficile de reprendre ce terme, mais pas question de renoncer à l’idée. Le techno-jésuite Teilhard de Chardin le réaffirme dans son Phénomène humain (publié en 1955) : il faut, dit-il, mettre « la main sur le Ressort même de l’Évolution ». Son ami, le biologiste anglais Julian Huxley − frère d’Aldous −, propose en 1957 le mot de « transhumanisme ». Un nouveau nom pour un projet inchangé.
Le transhumanisme est un projet de maîtrise totale du monde et de l’humain.
Les transhumanistes d’aujourd’hui revendiquent l’héritage teilhardien. Comme leurs ancêtres eugénistes, ils veulent en finir avec la part animale, naturelle, de l’homme, jugée imparfaite et échappant à leur volonté. Comme le dit le transhumaniste américain James Hughes : « L’objectif du transhumanisme est de remplacer le naturel par le planifié.»
Le transhumanisme est un projet de maîtrise totale du monde et de l’humain. Or, une telle maîtrise n’est possible qu’en remplaçant la naissance par la fabrication, la vie par le fonctionnement, le naturel par l’artifice, le vivant par la machine – en détruisant notre humanité. C’est un anthropocide que fomentent les ennemis de l’humain, au nom de leur volonté de toute-puissance.
Si cette toute-puissance a pu jusqu’à récemment rester à l’état de fantasme, le développement des technologies convergentes − les NBIC − lui offre désormais des espoirs de réalisation. Les progrès technologiques récents, soutenus par des investissements publics et privés massifs dans le monde entier, fournissent les outils de l’homme auto-conçu – automachiné − que les transhumanistes nomment « augmenté ». Le transhumanisme est l’autre nom de l’innovation et de la croissance, du stade actuel du développement technologique.
Par les manipulations génétiques ou par l’hybridation avec les dispositifs machiniques − implants, prothèses, organes artificiels, interfaces homme-machine −, les transhumanistes entendent se doter de nouvelles fonctionnalités, vaincre la maladie, la vieillesse et la mort.
Qu’adviendra-t-il des humains devenus chimpanzés du futur ?
Pour qui la maîtrise et la possède, la technologie se met au service de l’auto-divination. La technocratie, classe détentrice des moyens/machines – c’est le même mot en grec « mékhané » − au stade technologique du capitalisme, a seule cette maîtrise et cette possession. Où l’on retrouve la pulsion eugéniste de tri entre les « supérieurs », ou « augmentés », et les inférieurs, c’est-à-dire les humains naturels.
Les transhumanistes autoproclamés « de gauche » réfutent cette perspective en prônant une augmentation égalitaire, pour toussétoutes, oubliant ceux qui, comme nous, restent attachés à leur part animale et incontrôlée. Occultant également le fait que les promoteurs de « l’espèce supérieure » et candidats à leur propre augmentation obéissent à une logique guerrière de l’évolution dont ils veulent prendre le contrôle. Le moins hypocrite, le cybernéticien anglais Kevin Warwick, l’a ainsi résumé : « Ceux qui décideront de rester humains et refuseront de s’augmenter auront un sérieux handicap. Ils constitueront une sous-espèce et formeront les chimpanzés du futur »[1]– « Kevin Warwick, l’Homo Machinus », Libération, 11 mai 2002. /
On sait ce qu’il est advenu des chimpanzés. Il leur reste, selon les primatologues, 25 à 50 ans « d’espérance de vie » sur cette planète, où leur biotope a été dévasté. Vae victis ! Le projet bruyamment tacite des transhumanistes, c’est à terme la relégation, l’asservissement et l’élimination des inadaptés de la sous-espèce.
Qu’adviendra-t-il des humains devenus chimpanzés du futur dont l’habitat (« l’anthropotope »), ce mélange de nature et de culture humaine, est en cours de destruction ? Le transhumanisme nous impose ce dilemme : renoncer à notre humanité ou disparaître.
Comme vous le décrivez dans votre manifeste, les transhumanistes « ne veulent pas vivre, mais fonctionner. Tout vouloir, tout décider, tout maîtriser : un désir absolutiste ». Comment comprendre cette volonté de toute-puissance ? Pourquoi ces « progrès » technologiques nourrissent-ils tant de fantasmes ?
La volonté de toute-puissance est un désir infantile et primitif, qui, si l’on en croit Freud, remonte à la petite enfance, voire avant. Elle est liée à ce que Romain Rolland nomme le « sentiment océanique » de fusion avec le Grand Tout – en l’occurrence avec la mère, nourricière et protectrice, bain de plaisir et de béatitude sans partage.[2]– Sigmund Freud, Malaise dans la civilisation, 1929. /
Dans les mois et les années suivant sa naissance, l’enfant découvre le non-moi extérieur auquel il se heurte, et qui frustre de plus en plus la satisfaction immédiate de ses désirs et pulsions. Son vœu est donc de revenir au bonheur perdu, de nier, d’abolir cette extériorité hostile, de réincorporer le monde en lui afin d’y exercer sans limite la tyrannie de ses plaisirs.
L’homme primitif découvre hélas qu’il n’y a pas de retour possible à la chaude caverne maternelle − « matérielle », « matricielle », tous ces mots provenant d’une même racine « matr- ». Mais, à défaut, il peut concevoir un projet d’asservissement absolu du monde extérieur, ramené entièrement à sa personne et à la gratification de ses envies. La Mère Terre, la Mère Monde, si l’on veut.
La volonté de toute-puissance est un désir infantile et primitif.
Cette « volonté de puissance » − de pouvoir, jouissance, prestige, longévité, immortalité, etc. − se trouve un modèle dans la figure divine, le plus souvent paternelle. Le Père tout-puissant, bienfaiteur, protecteur et redoutable, étant le premier dieu de l’enfant. Il lui faut donc, soit bénéficier de ses grâces, par les œuvres et les rites propitiatoires, soit se faire dieu lui-même, à l’imitation du Père modèle.
C’est le récit de toutes les mythologies, nulle part plus clair, pour les lecteurs de culture judéo-chrétienne, que dans la Genèse ; avec la promesse divine d’avoir part aux fruits de la connaissance et de la vie − mais un jour, à la fin des temps − quand l’homme, créé « à l’image et à la ressemblance de Dieu », aura mérité cette récompense par sa collaboration à l’œuvre divine. C’est-à-dire par la culture et la transformation du Jardin en éco-ville planétaire et intelligente. « Dieu les bénit, et Dieu leur dit : Soyez féconds, multipliez, remplissez la terre, et assujettissez-la ; et dominez sur les poissons de mer, sur les oiseaux du ciel, et sur tout animal qui se meut sur la terre. »[3]– Genèse I,28. /
On ne peut s’empêcher d’ailleurs de faire un parallèle entre la sortie et la perte du monde maternel, et la sortie et la perte du jardin primitif, quand les chasseurs-cueilleurs, se vivant comme une espèce parmi d’autres, immergés dans leur fusion avec la nature, devinrent agriculteurs, défricheurs et sédentaires : une espèce différente des autres. Voyez le livre de Jean-Paul Demoule sur la « révolution néolithique ».[4]– Jean-Paul Demoule, Les Dix millénaires oubliés qui ont fait l’histoire – l’agriculture, la guerre, les chefs, Fayard, 2017. /
Aide-toi, le ciel t’aidera. Pour abréger un développement qui est maintenant un lieu commun, « l’homme », « à l’image et à la ressemblance de Dieu », se fit créateur, artisan, ingénieur, scientifique, entrepreneur etc., produisant au fur et à mesure les mékhané, c’est-à-dire les machines et les moyens de la puissance. L’efficacité – laïque, technique −, c’est-à-dire l’attribut du verbe divin (« Dieu dit »), supplanta la figure divine, d’abord dans les monastères où naquirent les manufactures, avant de se transformer en usines, laboratoires, centres de recherches et de production.[5]– Pierre Musso, La Religion industrielle, Fayard, 2017. /
Savoir, c’est pouvoir. La technologie, c’est-à-dire l’application de la science aux moyens de la puissance, nous a menés à ce moment où l’homme auto-machiné équivaut à l’homme divinisé et le remplace dans les imaginaires.
Pour les ambitieux métaphysiques, croyants et scientifiques, il est bien possible que Dieu nous ressuscite au jour du jugement, et nous partage sa gloire, sa félicité et son éternité. En attendant, rien n’interdit de collaborer à son projet. Mieux, il s’agit là d’une œuvre pie, un devoir et un exercice spirituels.
Ce qui nourrit ces imaginations et leur donne un noyau de réalisme, c’est en effet la fameuse convergence des technologies. La combinaison des nanotechnologies, biotechnologies, cybernétique et neurotechnologies démultiplie leurs puissances respectives, sans qu’on puisse supposer de limite à cet emballement de puissance.
Ce qui nourrit ces imaginations et leur donne un noyau de réalisme, c’est la convergence des technologies.
Plus précisément, nul ne peut imaginer ce qui résultera des développements combinés de la connexion ubiquitaire et du traitement des mégadonnées, de l’essor de « l’intelligence artificielle » et des algorithmes[6]− NDLR : Lire la tribune libre de Cédric Sauviat, Pourquoi résister à l’Intelligence artificielle ?, 23 mai 2018. / , des manipulations génétiques et de la reproduction artificielle de l’humain – mais aussi de tout ce qui vit −, de la fusion de l’homme avec la Mère Machine, au moyen des implants cérébraux. Une machine co-extensive au monde et à la Terre, suivant le paradigme dominant du vivant et de la nature machines.
« Je ne reconnais aucune différence entre les machines que font les artisans et les divers corps que la nature seule compose, écrit Descartes ; sinon que les effets des machines ne dépendent que de l’agencement de certains tuyaux, ou ressorts, ou autres instruments, qui, devant avoir quelque proportion avec les mains de ceux qui les font, sont toujours si grands que leurs figures et leurs mouvements se peuvent voir, au lieu que les tuyaux ou ressorts qui causent les effets des corps naturels sont ordinairement trop petits pour être aperçus de nos sens. Et il est certain que toutes les règles des mécaniques appartiennent à la physique, en sorte que toutes les choses qui sont artificielles, sont avec cela naturelles. »[7]– René Descartes, Principes de la philosophie, 1644. /
Ayant enfin aboli toute extériorité hostile ou rétive, le petit homme assouvit sa volonté de toute-puissance et de fusion avec le Grand Tout à ses ordres et à sa dévotion. Mais déjà cette volonté de puissance s’exaspère et culmine dans ce que Freud nomme « l’instinct de mort ».
Et comment nommer autrement l’aspiration affichée à télécharger le contenu de son cerveau sur le réseau, ou à élaborer une intelligence mécanique tellement supérieure à celle de l’homme que ses promoteurs en parlent comme d’un « dieu en construction ».
S’ils y arrivaient, ils auraient reproduit une entité extérieure, altérité toute-puissante et dont rien ne garantit la bienveillance.
Quelles sont les mesures d’acceptabilité sociale mises en œuvre par les partisans du transhumanisme ? Par quels moyens souhaitent-ils parvenir à légitimer la diffusion croissante des technologies convergentes ?
A vrai dire, les transhumanistes n’ont guère d’efforts à fournir pour promouvoir les nécrotechnologies. Celles-ci étant le moteur de l’innovation, de la croissance et de l’économie, pas un gouvernement n’envisage de freiner leur expansion. Au contraire, s’emploient-ils tous à favoriser le développement des technologies convergentes sur leur territoire afin de rester compétitifs.
C’est ainsi qu’Emmanuel Macron veut faire de la France un leader de l’intelligence artificielle, dans une Europe qui par ailleurs finance, programme et organise les secteurs jugés prioritaires de la recherche : les NBIC précisément. La Chine, les Etats-Unis, le Japon, Israël ou la Russie, pour ne citer qu’eux, ne raisonnent pas autrement. Aussi, est-ce s’aveugler que de concentrer l’attention sur les « Gafam » (Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft), censés incarner les excès du libertarisme et du marché.
Le transhumanisme, comme produit de la rationalité économique, est l’autre nom de la croissance.
Le transhumanisme, comme produit de la rationalité économique, est l’autre nom de la croissance – du capitalisme, si l’on préfère − à son stade actuel.[8]− NDLR : Lire la tribune libre de Sarah Dubernet, Arnaque transhumaniste, arnaque productiviste, 29 octobre 2016. / Ce dont se félicitent ses promoteurs. Quand le génie génétique, la reproduction artificielle, les prothèses et les interfaces hommes-machines seront disponibles, le transhumanisme réel aura vaincu, disent-ils en substance.
En attendant, les anthropophobes s’emploient à convaincre l’opinion que ce progrès-qu’on-n’arrête-pas est celui qu’elle a toujours désiré. Ils maintiennent ainsi la fausse identité entre progrès scientifique et technologique et progrès social et humain. Non seulement les deux ne sont pas corrélés, mais ils ont démontré leur antagonisme depuis des décennies.
Pourquoi aurions-nous tant besoin de nouvelles vagues de progrès technologique, après un siècle de raz-de-marée exponentiel ? C’est pourtant le sempiternel slogan des élus et décideurs grenoblois – pour ne parler que de la cuvette laboratoire – afin de justifier les millions d’argent public sacrifiés aux idoles des technologies convergentes.
A l’heure où toutes les contradictions éclatent, il faut redire, après les penseurs écologistes de la première moitié du XXème siècle, que le confort, la santé, le bien-être et l’espérance de vie d’une fraction de l’humanité, durant une fraction de l’histoire humaine, sur une fraction de la planète, ont été payés par le reste de l’humanité et par la Terre elle-même, au point de mettre en péril la survie de l’espèce. Rien qu’un surcroît de technologie ne puisse régler, selon les transhumanistes, au mépris de toute l’expérience passée et de toute logique rationnelle.
Il y a évidemment un monde entre soigner/réparer et améliorer/augmenter.
C’est donc en avançant sous le masque de bons médecins que les promoteurs du cybernanthrope espèrent duper la population. En agitant les promesses de la santé, « comme on l’a toujours fait », selon les éléments de langage proposés par le biogérontologue transhumaniste Aubrey de Grey.
Après tout, assurent les manipulateurs, il n’y a pas de différence entre une paire de lunettes et des prothèses connectées. « Ce n’est que » la poursuite d’un mouvement naturalisé, impossible à arrêter, prétendu désiré par tous. Il y a évidemment un monde entre soigner/réparer et améliorer/augmenter, entre des techniques de soin qui favorisent l’autonomie, la prise en main de la prévention par chacun, et le design d’un corps sur-mesure dépendant de technologies hétéronomes, de leurs concepteurs et vendeurs. Mais il faudrait pour le comprendre que subsiste une opinion publique − et donc les conditions d’une opinion publique −, plutôt que des chaînes d’info en continu où une clameur chasse l’autre.
Ainsi, l’imaginaire du « Surhomme », de l’homme automachiné, progresse-t-il via les reportages racoleurs, les pseudo-débats éthiques[9]− NDLR : Lire notre « Grand Entretien » avec Jacques Testart : « Il faut prendre le mal à la racine », 30 mai 2017. / ou les festivals branchés : « Implant Party » (puçage sous-cutané de volontaires pour être connectés avec leur environnement) organisés par Futurs en Seine à Paris, invitations des transhumanistes à la Fête de la Science à Grenoble ou au Forum européen de bioéthique de Strasbourg, exposition « Humain demain » à Toulouse, colloque universitaire « Le devenir cyborg du monde » à Bordeaux, etc.
Cette infiltration des thèses anthropophobes dans l’esprit public ne soulève guère de protestations – hormis quelques manifestations de Chimpanzés çà et là. Fataliste ou indifférente, la majorité semble soumise à la défaite des humains. C’est là où nous nous en séparons. A moins que notre existence et notre conscience séparées, « en marge », ne nous aient préparés à ce refus immédiat et minoritaire.
Vous écriviez, en 2009, dans un précédent ouvrage, intitulé A la recherche du nouvel ennemi : « De même que toutes les technologies sont “duales”, civiles et militaires, la civilisation des laboratoires militaires a pour complément la militarisation des laboratoires civils, dont les travaux sont exploités par l’armée, quand ils ne travaillent pas directement pour elle. » A ce sujet, quels sont les liens entre le transhumanisme et le monde militaire ?
Faire l’inventaire des liens entre le transhumanisme et le monde militaire revient à faire celui des liens entre les laboratoires et l’armée. Nous avions pointé, voici plus d’une décennie, le droit de regard et de préemption que la Direction Générale de l’Armement (DGA) s’arrogeait sur les thèses en nanotechnologies des doctorants de Minatec.[10]– Pièces et Main-d’Œuvre, Aujourd’hui le nanomonde. Nanotechnologies : un projet de société totalitaire, Éditions L’Échappée, 2008. /
Nous sommes revenus à maintes reprises sur l’avidité des militaires pour les technologies convergentes NBIC, précisément celles qui actualisent le projet transhumaniste. Voyez Minatec et l’armée : le rapport qui tue[11]– « L’armement du futur : pression sur la recherche. Présence militaire dans les nanotechnologies », rapport d’Antonin Reigneaud, 2006 (Observatoire des transferts d’armements). / ou La nano-guerre par ceux qui la préparent [12]− Lire le texte La nano-guerre par ceux qui la préparent. / ou encore l’article de The Atlantic, « L’armée repousse les limites de la performance humaine ».[13]− Lire l’article de The Atlantic, « L’armée repousse les limites de la performance humaine ». /
On enfoncerait là une porte ouverte si la fausse conscience des chercheurs ne les poussait à nier ou occulter ces liens avec l’armée et l’industrie, pour maintenir la fiction de la « recherche pure », « fondamentale » et désintéressée[14]− NDLR : Lire les tribunes libres du Groupe Oblomoff, Pourquoi il ne faut pas sauver la recherche scientifique ?, 4 mars 2015, et d’Isabelle Stengers, Que serait une science responsable ?, 10 … Continue reading – quoique − finalement, « au service de l’humanité ». Ce qui suppose des buts et des effets concrets.
La science, l’industrie et l’armée n’apparaissent plus comme des activités séparées.
Mais faut-il parler de liens ou de compénétration sur le modèle du « lobby scientifico-militaro-industriel » − la science découvre, l’armée et l’industrie exploitent ses découvertes à leurs fins propres ?
Jusqu’à la deuxième guerre mondiale, il s’agissait de personnels séparés et spécialisés, même si le pilotage étatique et les commissions mixtes accordaient leurs activités respectives. Aujourd’hui, ces personnels présentent un haut degré d’intégration, d’homogénéité et d’interchangeabilité.
La science, l’industrie et l’armée n’apparaissent plus comme des activités séparées, mais comme les aspects d’une même activité à laquelle un même personnel peut travailler, successivement ou simultanément. Le chercheur se fait chef d’entreprise et conseiller ou chef de projet militaire. Le militaire siège aux conseils d’administration de l’entreprise et de l’institut scientifique, ainsi que dans les commissions publiques. Le chef d’entreprise, par ailleurs scientifique, participe aux discussions en matières de recherches, de technologies et d’innovations stratégiques.
Eric Schmidt, président exécutif d’Alphabet (maison-mère de Google), est le nouveau directeur du Defense Innovation Board, au sein du département de la Défense. Le roboticien transhumaniste Ray Kurzweil, co-fondateur de l’Université de la Singularité, est à la fois expert pour Google et conseiller spécial de l’armée américaine. Et mon tout forme la technocratie.
Dans la mesure où l’armée et l’industrie partagent avec le transhumanisme le même primat de l’efficacité − performance, productivité, rationalisation technicienne, optimisation, etc. −, il va de soi que le guerrier et le travailleur[15]– Ernst Jünger, Le Travailleur (Der Arbeiter, 1931). / ne seront pas moins augmentés que l’homme augmenté.
La machine militaire intègre déjà au fur et à mesure de leur apparition les dernières innovations en matière de nanotechnologies, biotechnologies, informatique, intelligence artificielle, robotique et génétique : exosquelettes, casques de cognition « augmentée », molécules dopant l’attention et l’éveil, implants, prothèses connectées, nanomatériaux, sans oublier les drones et l’intelligence artificielle.
Quant aux « armes autonomes », elles sont techniquement disponibles et aux dernières nouvelles les « discussions » quant à une législation sur leur usage sont en cours à l’Organisation des Nations-Unies (ONU).
La machine militaire et l’appareil industriel sont déjà des machines : fonctionnelles, rationnelles, efficaces. Le travailleur et le guerrier sont déjà des hommes augmentés ; des rouages fonctionnels, rationnels, efficaces, avec les moyens artisanaux des époques antérieures, l’élite et l’avant-garde de l’augmentation humaine.
Cet emballement perpétuel substitue l’hétéronomie de la machine à l’autonomie du vivant.
C’est-à-dire que cette augmentation de puissance de l’humanité-machine se paie d’une diminution de puissance des humains-machines toujours plus connectés − disciplinés − et dépendants de la Mère Machine pour leur fonctionnement dépersonnalisé.
Et, en fin de compte, ce que cette machine produit, c’est elle-même, toujours plus puissante, toujours plus efficace. Ici, il n’y a pas de pourquoi ?, juste du comment ?. L’auto-production circulaire de moyens/machines (mékhané) épuise le peu de sens de cet emballement perpétuel qui substitue l’hétéronomie de la machine à l’autonomie du vivant.
Face aux désastres en cours, vous lancez un « Appel aux chimpanzés du futur », en évoquant notamment l’audience accrue des mouvements écologistes, qui « n’est pas forcément bon signe. Il n’y a pas de fumée sans feu. » Cette fumée, « toujours plus épaisse depuis 1972, émane de la terre brûlée par les industriels, elle signale l’incendie mais en aucun cas ne l’éteint. Elle n’est pas le déluge salvateur. » Quel serait, selon vous, ce déluge qui sauve ? Comment mieux enquêter, révéler les objectifs, dénoncer les collusions ? Comment encourager l’esprit et les perspectives critiques ? Quelles actions mener ?
Tout d’abord, que reste-t-il à sauver ? L’empire de la destruction n’a cessé de s’étendre depuis le néolithique[16]– Jean-Paul Demoule, Les Dix millénaires oubliés qui ont fait l’histoire – l’agriculture, la guerre, les chefs, Fayard, 2017. / , fortifiant sans cesse les bases scientifiques et matérielles − industrielles − de sa puissance pour se lancer à l’aube du XIXème siècle dans une offensive générale − finale ? − contre le vivant. Ce que depuis Chaptal, le chimiste et entrepreneur, ministre de Napoléon Ier, on a nommé par analogie « la révolution industrielle », alors qu’il s’agissait d’une accélération verticale, ininterrompue et peut-être exponentielle, débutée au Moyen-âge, et même avant.[17]– Pierre Musso, La Religion industrielle, Fayard, 2017. /
Depuis ce moment, tous les indicateurs statistiques − économiques, démographiques, croissance, production, consommation, circulation, communications, pollutions, destructions… − ont le graphisme d’un tir de missile filant toujours plus vite au zénith. Beaucoup s’en réjouissent et nomment cela « le progrès ».[18]− NDLR : Lire la tribune libre d’Alain Gras, Qu’est-ce que le progrès technique ?, 26 août 2015. /
Propos recueillis par Edouard V. Piely, journaliste / Sciences Critiques.
> Photo de Une : Pxhere 12-29-2016 / Licence CC
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References
↑1 | – « Kevin Warwick, l’Homo Machinus », Libération, 11 mai 2002. / |
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↑2 | – Sigmund Freud, Malaise dans la civilisation, 1929. / |
↑3 | – Genèse I,28. / |
↑4 | – Jean-Paul Demoule, Les Dix millénaires oubliés qui ont fait l’histoire – l’agriculture, la guerre, les chefs, Fayard, 2017. / |
↑5 | – Pierre Musso, La Religion industrielle, Fayard, 2017. / |
↑6 | − NDLR : Lire la tribune libre de Cédric Sauviat, Pourquoi résister à l’Intelligence artificielle ?, 23 mai 2018. / |
↑7 | – René Descartes, Principes de la philosophie, 1644. / |
↑8 | − NDLR : Lire la tribune libre de Sarah Dubernet, Arnaque transhumaniste, arnaque productiviste, 29 octobre 2016. / |
↑9 | − NDLR : Lire notre « Grand Entretien » avec Jacques Testart : « Il faut prendre le mal à la racine », 30 mai 2017. / |
↑10 | – Pièces et Main-d’Œuvre, Aujourd’hui le nanomonde. Nanotechnologies : un projet de société totalitaire, Éditions L’Échappée, 2008. / |
↑11 | – « L’armement du futur : pression sur la recherche. Présence militaire dans les nanotechnologies », rapport d’Antonin Reigneaud, 2006 (Observatoire des transferts d’armements). / |
↑12 | − Lire le texte La nano-guerre par ceux qui la préparent. / |
↑13 | − Lire l’article de The Atlantic, « L’armée repousse les limites de la performance humaine ». / |
↑14 | − NDLR : Lire les tribunes libres du Groupe Oblomoff, Pourquoi il ne faut pas sauver la recherche scientifique ?, 4 mars 2015, et d’Isabelle Stengers, Que serait une science responsable ?, 10 avril 2017. / |
↑15 | – Ernst Jünger, Le Travailleur (Der Arbeiter, 1931). / |
↑16 | – Jean-Paul Demoule, Les Dix millénaires oubliés qui ont fait l’histoire – l’agriculture, la guerre, les chefs, Fayard, 2017. / |
↑17 | – Pierre Musso, La Religion industrielle, Fayard, 2017. / |
↑18 | − NDLR : Lire la tribune libre d’Alain Gras, Qu’est-ce que le progrès technique ?, 26 août 2015. / |
6 décembre 2018 à 16 h 24 min
Superbe article réactionnaire.
Il y a un sacré amalgame entre les différents courants du transhumanisme.
Beaucoup de gens favorables au transhumanisme ne sont pas des personnes qui veulent s’implanter des puces dans le cerveau pour accéder à youtube ou bien qui veulent modifier la nature humaine. C’est des gens qui veulent juste palier la maladie. Alors avec ce genre de vision, autant arrêter la vaccination, les médicaments car tout le monde n’a pas accès à ses soins ou que vivre plus longtemps.
Ce collectif c’est du néo-néo-luddisme? un collectif d’anarcho-primitivistes?
Un bel exemple de la méthode hypercritique.
19 juillet 2018 à 3 h 02 min
Franchement, les commentaires ici sont extrêmement déprimants. Entre poncifs technophobes simplistes et misandrie sous-jacente, essentialisent la guerre (vous savez, la fameux sexisme insinuant qu’il y a “les valeurs masculines”, et “les valeurs féminines”, on est loin de la critique adulte, intelligible et constructive. On se rapproche de Disneyland et du complotisme. Mais hélas, le climat qu’inspirent les articles ne porte pas tellement à autre chose non plus, il faut l’admettre.
14 juillet 2018 à 17 h 42 min
C’est ce que je me dis: la lutte des classes n’existe pas. c’est une pure vue de l’esprit de théoriciens du XIXéme siècle ……:
12 juillet 2018 à 20 h 13 min
Un article précieux-précis. Rien ne porte à l’optimisme, le technolibéralisme (votre terme de nécrotechnologie est excellent) semble avoir gagné, il est irrattrapable. La seule faille que je vois, le seul et mince espoir: les femmes. Tous ces gens, ces dirigeants, ces techno-éco-nécro sont pour l’immense majorité des hommes. Si elles s’éveillaient vraiment… alors…
1 juillet 2018 à 5 h 52 min
Les apprentis-sorciers ont toujours été la négation du darwiniste : en effet, nos magiciens-charlatans dégénérés d’hier et d’aujourd’hui nous montre qu’en réalité l’homme ne vient pas du singe, mais y va tout droit.
Ca n’est pas en changeant un système inepte par un autre système aussi inepte qu’on trouvera des solutions à la guerre.
Pour avoir une chance minime d’éradiquer ce fleau, le seul remède est le retour à la nature et à ses lois, seules capables d’une harmonie universelle.
Par conséquent, si la guerre existe, il faut savoir d’une part si elle a toujours existée, et si non il est nécessaire d’en déterminer les causes.
Aussi, c’est dans l’histoire de l’évolution physiologique de l’homme que nous trouvons l’origine et la cause de la guerre.
La lutte est d’instinct masculin.
C’est parce que la masse masculine est avide de mouvements, de luttes et de déplacements qu’elle suit les conquérants ; l’action violente, brutale, développant les instincts profonds de la nature masculine, cela les grise, c’est pour cela qu’ils aiment la guerre.
Si l’homme aime les combats c’est parce qu’il possède des facultés motrices qui ont besoin d’emploi. C’est pour avoir le plaisir de batailler, bien plus que pour défendre telle ou telle cause, pour venger tel ou tel affront. Le motif de la bataille lui importe peu. C’est la bataille elle-même qu’il aime et qu’il cherche. Et ce qui le prouve c’est que le pugilat est, pour lui, un jeu amusant.
Et ne voyons-nous pas, à chaque instant, les jeunes garçons se livrer sous nos yeux à des combats qui ont les motifs les plus futiles ou qui n’ont même pas de motif du tout ? L’instinct qui les pousse est le même que celui qui pousse les animaux à se poursuivre et à se battre, sans que leurs combats, qui sont leurs jeux, aient aucun motif. Du reste, les jeux du cirque, les combats de taureaux, les anciens tournois, simulacres de guerre, et tous les jeux qui simulent une bataille, prouvent bien que, pour l’homme, la lutte est un plaisir, presqu’un besoin.
Donc la guerre a eu, pour principe, la satisfaction de l’instinct masculin.
C’est lorsque les hommes vieillissent et perdent leurs facultés motrices, si exubérantes dans la jeunesse, qu’ils changent de manière de voir. Ils reviennent alors à des idées plus pacifiques, l’expérience leur a montré les conséquences désastreuses de la guerre à l’âge où la lutte n’est plus, pour eux, un besoin physiologique. Alors, seulement, ils s’aperçoivent que les batailles n’ont jamais conclu aucun différend mais en ont, au contraire, créé de nouveaux, qui restent à l’état de menace dans les nations, attendant l’occasion qui doit faire naître de nouvelles guerres.
Supposons deux nations, ou deux hommes, se battant pour prouver, chacun, qu’ils ont raison. Après la bataille si c’est le vaincu qui avait raison ce n’est pas parce qu’il aura été terrassé qu’il aura moins raison. La victoire ne fait qu’affirmer la Force et lui donner le pouvoir en condamnant la raison même, le droit même.
Donc l’instinct de l’homme est de condamner la raison et d’affirmer la raison.
Chaque fois que l’homme a eu le pouvoir il s’est servi de sa puissance pour lutter contre quelque chose ; généralement contre ce qu’il venait renverser. Il aime à manifester sa force pour la faire connaitre et pour se faire craindre. Dans les petites choses comme dans les grandes, dans le petit royaume de la famille comme dans les grands Etats, l’homme fait abus du pouvoir, il blesse la raison en soumettant ceux ou celles qui la représentent à des capitulations humiliantes, à des condescendances avilissantes. C’est la force morale humiliée par la force brutale.
Donc, la puissance qui se base sur la Force est toujours une autorité illégitime.
Nous ne voulons pas dire, cependant, que l’homme n’est jamais raisonnable, mais il y a des moments dans la vie de tout homme où la raison est obscurcie. C’est la conséquence de ses conditions sexuelles, la passion le domine, l’instinct triomphe de la raison.
La loi morale faisait partie de l’enseignement donné dans les mystères, parce que la vie morale était tout dans cette société antique. Le lien qui unissait les hommes à la femme était la base de la domination de soi-même qui élève l’homme.
Lien : https://livresdefemmeslivresdeverites.blogspot.com/2017/07/le-bien-et-le-mal.html
Cordialement.
12 juillet 2018 à 17 h 14 min
La guerre serait naturelle et n’aurait d’autres causes que la nature de l’homme qu’il s’agirait de moraliser. Ce discours est directement issu de nos mythes religieux.
Que faites vous du fait que l’homme est avant tout un être social, que sans société il ne survit pas et qu’au sein des sociétés se forme des rapports de classes, des rapports de force ?