« La science est une chose trop importante pour être laissée entre les mains des seuls savants. » (Carl E. Sagan)

Le Groupe international pour l’évolution du comportement : un faux GIEC au service du capitalisme vert ?

Le Groupe international pour l’évolution du comportement : un faux GIEC au service du capitalisme vert ?

Aider la population à adapter son mode de vie à l’urgence climatique, c’est la mission que se donne le Groupe international pour l’évolution du comportement (GIECO), une sorte de Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) qui travaille, depuis 2019, à nous aider à changer nos comportements. Une idée séduisante qui ne va pas sans poser de sérieuses questions scientifiques et éthiques.

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N 2023, on en était au sixième rapport du GIEC. Hélas, on s’aperçoit bien qu’il ne se passe pas grand-chose… », constate pour Sciences Critiques Alvin Ramgobeen, directeur général de l’Alliance pour le Groupe International d’Experts sur les Changements de comportement (GIECO)[1]– On le retrouve aussi sous l’appellation « Groupe International pour l’Évolution du Comportement ». . Ce dernier de poursuivre : « La prise de conscience que permettent ces rapports sur le climat n’est pas suivie d’actes. Les scientifiques du climat ne sont pas suffisants pour amener la population à prendre en charge le problème climatique ».

D’où le lancement du GIECO en 2019[2]– IBPC en Anglais pour International Panel of Behavior Change. C’est une association internationale de droit français. qui se rêve comme l’équivalent dans le champ des « sciences du comportement » de ce que le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) est aux sciences du climat. « Ce que le GIEC a mis 30 ans à faire, le GIECO va le faire en 3 ans », déclare emphatique Alvin Ramgobeen[3]– Qui occupe son poste bénévolement comme tous les membres de l’Alliance. Il est par ailleurs data scientist pour l’entreprise informatique Inetum. . Et ce par la publication de vastes rapports de synthèse visant à regrouper les connaissances des domaines scientifiques concernés. Le premier (près de 3 000 pages annoncées) était à l’origine prévu pour le printemps 2024[4]– Il s’intitule « Facteurs de changement de comportement et de non-changement dans les temps de transition ». Un premier rapport concernant les politiques publiques durant le Covid-19 est … Continue reading. Pour ce faire, le GIECO, dans une approche interdisciplinaire, vise à faire travailler ensemble universitaires et spécialistes de disciplines comme les neurosciences (et ses nombreuses spécialités), la biologie et la génétique du comportement, l’éthologie ou encore le béhaviorisme.

 

Première rencontre internationale du GIECO hébergée dans les locaux du programme pour l’environnement de l’ONU à Paris – février 2020 / Crédit GIECO.

 

Le but annoncé ? « Proposer des mesures concrètes, à destination de la société civile [entreprises, États, Citoyens], afin de faciliter le changement des comportements en vue d’un développement plus durable, équitable et désirable [des sociétés] », selon le manifeste de lancement du GIECO signé par près de 1 000 scientifiques (issu de 76 pays et recoupant 36 disciplines scientifiques). Un texte par ailleurs signé par des institutions scientifiques et académiques françaises telles que le Centre à l’énergie atomique (CEA), l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS), l’Institut Pasteur ou Sciences-Po, auxquelles s’ajoutent des associations tels que NégaWatt ou le think tank Shift Project, qui tous deux visent à « décarboner l’économie »[5]– La liste complète des signataires est disponible sur : www.ipbc.science. par une «  transition énergétique ».

 

On arrive au bout d’un système économique basé sur le pétrole à gogo.

 

« Nos études doivent être le plus neutre et net possible », abonde Stéphane Labranche, coordinateur scientifique du GIECO, enseignant à Sciences-Po Grenoble, qui se définit comme « sociologue du climat » ou « climatologue de la société ». « Aujourd’hui, notre idée, c’est de dire qu’en comprenant correctement les comportements humains – non pas seulement individuels mais collectifs et structurels –, on pourrait améliorer les efforts d’efficacité de transition [écologique] ». Céline Butin, chargée de communication au sein du comité de pilotage de l’Alliance pour le GIECO, abonde : « Il nous faut trouver les facteurs de changement du comportement en faveur du développement écologique et durable ».

« On arrive au bout d’un système économique basé sur le pétrole à gogo, poursuit Alving Ramgobeen empruntant à une rhétorique écologiste. On a conçu une économie infinie dans un système fini et vécu dans l’illusion. Là, les générations futures vont se prendre un mur qui arrive à grande vitesse. Mais en même temps, la planète est en train de comprendre que c’est le “Facteur Humain”[6]– C’est-à-dire la « contribution humaine à un événement ». qui bloque. Et cela tombe bien : le GIECO arrive ».

 

COMMENT TOUT A COMMENCÉ

 

Le GIECO s’inscrit dans le sillon tracé par les travaux du médecin comportementaliste Jacques Fradin[7]– Sollicité, Jacques Fradin n’a pas souhaité donner suite à nos demandes d’entretien. . Ce dernier fonde à Paris en 1987, l’Institut de Médecine Environnementale (IME) qui se veut une approche à la croisée de la médecine et des sciences de l’environnement. Auteur de plusieurs livres de neurosciences, il va progressivement chercher à comprendre les usages qui peuvent être faits de ses dernières dans l’entreprise à travers de nouvelles pratiques de management (appelé neuro-management). C’est en ce sens qu’il co-fonde en 2008 l’Institute of NeuroCognitivism, basé à Bruxelles[8]– Sa vocation étant de « favoriser le développement de l’Intelligence Adaptative aux niveaux des individus, des organisations et, plus largement, de notre société. ». .

« Pour Fradin, pris par l’urgence écologique, l’effort des scientifiques n’était pas suffisant et avait des angles morts pour s’attaquer au problème du climat. C’est pour cela qu’il a voulu fonder un GIECO », se rappelle Alvin Ramgobeen qui a été interpellé par l’usage qu’il pouvait avoir des travaux de Jacques Fradin dans son activité de consulting en entreprise. Il va alors le mettre en garde et lui proposer ses services : « Si vous restez entre scientifiques, on ne va pas aller assez vite pour constituer et diffuser le savoir scientifique dans la population. Il y a urgence à financer ces travaux pour avoir un produit d’experts comestible pour le plus grand nombre. »

Si le GIECO s’est d’ores et déjà adonné à des actions de lobbying auprès des instances de l’Organisation des Nations unies (ONU) pour s’en faire reconnaître, nous assure un de ses membres, il n’a pour autant pas cherché à se faire financer par l’institution internationale à l’instar de son grand frère le GIEC : « Nos travaux pourraient déplaire à des Etats membres de l’ONU, analyse Stéphane Labranche. Il s’agit d’être indépendant ». D’où un recours aux financements du secteur privé.

 

INDÉPENDANT DES ÉTATS,
DÉPENDANT DES ENTREPRISES ?

 

Encore en phase de lancement et de recherche de légitimité, le GIECO est en pleine effervescence. Pour l’aider, le Groupement s’adosse à l’Alliance pour le GIECO, association qui rassemble pour l’instant une quinzaine d’acteurs, dont le cabinet de notaire Chevreux, des cabinets de conseils pour la « transition écologique » des entreprises (R3, Ylios), le Grand Défi[9]– Inspiré de la Convention Citoyenne sur le climat, il a réuni 100 représentants d’entreprises pour faire « émerger 100 propositions pour accélérer la transition écologique de … Continue reading, ou la Fabrique des transitions[10]– Fédération de collectivités territoriales et d’acteurs de la société civile impliqués dans la « transition écologique ». Présentation sur : www.fabriquedestransitions.net. . Amélie Rouvin, membre du comité de pilotage de l’Alliance pour le GIECO[11]– Ex-responsable environnement du groupe Veolia, elle est désormais coach et sophrologue à son compte. en charge des relations institutionnelles, précise : « En tout, ces financeurs ont soutenu notre activité à hauteur de 100 000 euros ». Mais les ambitions économiques de l’Alliance sont grandes. Selon Ramgobeen, l’Alliance serait à la recherche de 30 millions d’euros pour la période 2024-2027 afin de « débloquer du temps aux scientifiques ».

 

Liste des membres fondateurs – Alliance GIECO / Capture d’écran GIECO.

 

En ce sens, il assure que des discussions seraient en cours avec les laboratoires pharmaceutiques Boiron, la MACIF, EDF ou encore la Société Générale. De potentiels futurs donateurs de l’Alliance pour GIECO, association reconnue d’utilité publique. Double avantage pour ses dernières : négocier un accès privilégié aux scientifiques qui composent le Groupe et la possibilité de défiscaliser une partie des dons qui seraient alors financer par le contribuable[12]– À hauteur de 66 %. .

« Notre idée, c’est de faire comme l’industrie nucléaire française qui a fédéré un grand nombre d’industriels et de petites sociétés pour s’implanter. L’Alliance pour le GIECO veut fédérer quant à elle un grand nombre d’entreprises autour de nouvelles techniques de management plus sociales et écologiques. Cela, non plus en France, mais dans le monde, projette Alvin Ramgobeen. On va donner vie à un tissu économique planétaire totalement nouveau. On se dit qu’on sera un petit peu à l’origine des GAFAM pour le Facteur humain ».

 

COMPRENDRE LE CERVEAU,
OPTIMISER L’ORGANISATION SOCIALE

 

Que peut-on raisonnablement attendre des futurs travaux des scientifiques rassemblés au sein du GIECO ? Quelles perspectives politiques pourraient-ils participer à dégager ? S’il est encore tôt pour le dire, Stéphane Labranche, apporte tout de même quelques éléments : « Il faut optimiser les procédures d’organisation sociale, par la prise en compte des défaillances de l’humain dans les procédures. C’est crucial pour conditionner la réussite des politiques publiques d’écologie ».

Pour cela, le sociologue du climat pense qu’il faut s’inspirer du système de procédures de l’aviation mis en place pour minimiser les probabilités d’accident dû à des défaillances humaines. Une procédure par la suite appliquée dans les sous-marins puis dans les salles d’opération chirurgicale que le scientifique aimerait adapter plus largement au sein de la société.

 

On commence à comprendre qu’un message catastrophiste suscite de l’angoisse et que l’angoisse est un très bon moteur de déni.

 

Pour Stéphane Labranche et les membres du GIECO, c’est notamment par une compréhension scientifique du fonctionnement du cerveau que cette « optimisation des procédures d’organisation » pourra opérer : « Les recherches en neuro-cognition montrent qu’il y a deux fonctionnements du cerveau. Le premier, c’est la réaction immédiate (la récompense ou le danger immédiat ressenti). Le deuxième, c’est celui qui est capable de planification, de long terme et de penser à grande échelle. Avec le cerveau, il est possible de basculer le court-termisme (premier cerveau) en long-termisme (deuxième cerveau). »

Le chercheur indépendant poursuit : « On commence à comprendre qu’un message catastrophiste suscite de l’angoisse et que l’angoisse est un très bon moteur de déni. Vous voyez bien les implications de politique publique, de conscientisation et de sensibilisation que cela peut avoir », préférant à la « culpabilisation » qu’il voit à l’œuvre dans les rapports du GIEC, des incitations positives et bienveillantes.

 

Capture d’écran de la page d’accueil du site de l’Alliance pour le GIECO.

 

Alvin Ramgobeen nous résume, quant à lui, l’« Approche neurocognitive et comportementale » (ANC) mise au point par le docteur Jacques Fradin qui infuse au sein des membres de l’Alliance, en précisant bien que : « C’est un modèle qui reste expérimental, car il manque encore de confirmations cliniques ». Selon l’ANC, le cerveau humain se compose de quatre niveaux intriqués : l’instinctif, le grégaire et l’émotionnel auquel s’ajoute le « cortex pré-frontal ». « C’est la partie géniale de notre cerveau, abonde Ramgobeen, elle s’est développée pour gérer la complexité, la nouveauté, la nuance de sorte à faire face à un environnement humain qui change sans cesse. C’est l’organe qui nous semble être la clef de sortie pour traiter le complexe. Il faut que les gens et notamment les dominants[13]– Alvin Ramgobeen qualifie ainsi, entre autre, les chefs d’entreprise. éduquent leur pré-frontal ! » clame-t-il.

 

UNE VISION SCIENTISTE DU MONDE ?

 

Pour le philosophe et psychanalyste Miguel Benasayag[14]– Auteur de Cerveaux augmentés (humanité diminuée ?) (Éditions Delcourt – 2023) et de Fonctionner ou exister ? (Éditions du Pommier – 2018). , cette approche neurocognitive assimile le cerveau à un disque dur : « Qui, suite à des erreurs de programmation – les biais cognitifs – doit être reprogrammé ». « Il y a là une vision algorithmique du monde, une vision calculante basée sur des modèles de prédictibilité. C’est l’approche simpliste et naïve de l’ingénieur dans lequel il y a un problème (le problème écologique) et une solution (la compréhension de son cerveau) ».

Une vision qui plonge pour partie ses racines dans la biologie évolutionniste du XIXème siècle et dans l’anthropométrie, avant de se formaliser au début des années 1980, en pleine contre-révolution néolibérale. C’est un célèbre neurobiologiste, Jean-Pierre Changeux, qui dans L’Homme neuronal – publié en 1983 – va chercher à défendre deux thèses. Primo : la pensée des êtres humains est assimilable aux neurones qui composent le cerveau. Deuxio : la partie neuronale du cerveau fonctionne comme un ordinateur. Il peut être modifié et programmé à souhait. Une approche qui tend à réduire les êtres humains à leur cerveau selon Benasayag : « Le cerveau devient non l’unique, mais la principale explication de l’histoire et du fonctionnement des sociétés » déplore-t-il.

 

Plus on va s’enfoncer dans ce genre d’approche, plus on va provoquer des comportements destructeurs.

 

Aujourd’hui, l’approche neurocognitive et comportementaliste a su trouver un écho médiatique important. Dernier exemple en date : les ouvrages du journaliste Sebastien Bohler, auteur du best-seller Le Bug Humain (publié en 2019) pour qui la dévastation socio-écologique s’origine dans l’organisation et la programmation de notre cerveau, en conséquence de quoi l’humain a une tendance innée à la surconsommation[15]– Nous pourrions aussi évoquer les travaux du neuropsychologue Stanislas Dehaene, professeur au Collège de France. . Sebastien Bohler est aussi le rédacteur en chef de Cerveau & Psycho, une revue qui est sur le point de rejoindre la liste des soutiens de l’Alliance pour le GIECO.

« En vérité, soupire Benasayag, plus on va s’enfoncer dans ce genre d’approche, plus on va provoquer des comportements destructeurs. Plus on va chercher à rationaliser la vie des êtres humains, plus on va susciter le contraire et faire ressortir une négativité déchaînée avec la multiplication de cas de violences et de barbarie ».

En 2022, dans une tribune publiée dans Le Monde, des chercheurs en neurosciences et en sciences sociales s’inquiètent : « Cette thèse est très forte et a des conséquences politiques très préoccupantes : la nature humaine, ou plus précisément notre programmation biologique, conditionnerait le champ des possibles concernant l’organisation socio-économique. Le modèle de croissance économique serait le seul compatible avec le fonctionnement cérébral humain. Cela disqualifie les projets politiques de décroissance ou de stabilité basés sur la délibération démocratique. Cela déresponsabilise également les individus : leur comportement destructeur de l’environnement n’est “pas de leur faute” […][16]– Pourquoi détruit-on la planète ? Les dangers des explications pseudo-neuroscientifiques, 07 juillet 2022. Une version augmentée et en accès libre est consultable sur les blogs de Mediapart. ».

 

INCITATION DOUCE
ET CHAMANISME D’ENTREPRISE

 

Dans un savant mélange de neurosciences et de développement personnel New Age, Amélie Rouvin poursuit l’analyse : « Notre cerveau fonctionne par économie d’énergie. Sur les 35 000 décisions prises chaque jour, 99 % sont prises de manière automatique. Nous avons tous, par exemple, des biais d’autorité ou de conformité qui nous conditionnent. Il s’agit pour nous d’ouvrir la boite noire de notre cerveau, de soulever le capot moteur. » Cela afin de : « Donner aux gens les clefs compréhension de leur fonctionnement pour qu’ils puissent changer leurs comportements en faveur de l’écologie ».

Pour ce faire, Amélie Rouvin évoque l’intérêt des membres de l’Alliance pour le GIECO pour les recherches dans le domaine de l’ergonomie et plus particulièrement du nudge : dispositifs d’incitations douces à des changements de comportements. Exemple bien connu : le cendrier de rue avec lequel on peut répondre à une question en y déposant son mégot afin d’éviter de le jeter au sol. Des techniques éprouvées à partir de 2020 à grande échelle en France durant la crise politico-sanitaire du Covid-19 pour favoriser le port du masque ou la diffusion de traitements pharmaceutiques.

« Ce qui est génial, soutient Amélie Rouvin, c’est de s’auto-nudger pour changer de comportement. Par exemple, en adoptant des gestes quotidiens pour réduire sa consommation énergétique… » Ou bien en élaborant des dispositifs de prise de parole censés permettre l’empathie envers les autres et l’environnement. Exemple ? « On a des dirigeants d’entreprises qui osent commencer leur réunion par une météo interne [tour de parole invitant chacun à évoquer son état émotionnel ponctuel pour favoriser l’empathie ou la compréhension des participants – NDLR]. Ce sont ses micro-actions qui font les grandes révolutions ».

 

Capture d’écran de la page d’accueil du site de l’Alliance pour le GIECO.

 

En ce sens, Amélie Rouvin est à l’initiative de l’Université du Facteur humain qui organise des fresques du Facteur humain, formation de trois heures qui invite chacun à : « Savoir prendre soin de soi, des autres et de son environnement en mobilisant ses ressources cognitives. Que les gens ne soient plus drivés [pilotés] par automatisme mais deviennent des acteurs d’eux-mêmes. »

« Selon eux, critique Miguel Benasayag, si les humains détruisent, c’est forcément parce qu’ils ont des biais cognitifs. L’a priori, c’est qu’il y a une mauvaise programmation des humains. Il n’y a pourtant pas de biais cognitif : il y a une histoire et une culture chez chacun de nous qui explique pour partie nos comportements ». Et d’ajouter : « Leur vision est ultra-naïve parce qu’elle considère que personne dans la société ne veut le mal de personne. Si le mal est fait, c’est parce qu’il y a un biais cognitif qu’il s’agit de porter à la conscience pour le maîtriser et en finir avec le mauvais comportement en question. Il y a une évacuation des rapports sociaux propre à l’économie capitaliste. »

Approche que critique aussi le journaliste et biologiste Nicolas Chevassus-au-Louis[17]– Dans un article intitulé « Le nouvel impérialisme neuronal », publié dans la Revue du Crieur 2016/1 (N° 3). PDF disponible en ligne. : « L’idée que le comportement humain s’explique en définitive par le fonctionnement du cerveau, reléguant au second plan l’historique, le social ou le culturel, est en phase avec le tournant individualiste qui marque nos sociétés depuis une trentaine d’années. »

 

LES LEURRES DE LA DÉCROISSANCE

 

Pour Jean-Michel Hupé, chercheur au CNRS en écologie politique et membre de l’Atelier d’écologie politique de Toulouse (Atecopol) : « « Il y a sans doute des personnes de bonne foi dans cette Alliance, qui veulent défendre une forme de décroissance à leur manière » avant de préciser que : « L’approche psychologique est importante, mais si elle n’est pas liée à une analyse sociologique et un positionnement politique, on tombe rapidement dans une approche dépolitisante et des positions politiques réactionnaire[18]– L’Atecopol refusera de signer le manifeste du GIECO. ».

Si, pour Stéphane Labranche, qui précise quelque peu la perspective politique du GIECO : « Le constat sur lequel on est tous d’accord, c’est que le capitalisme et l’hyper-consommation sont en train d’épuiser les réserves énergétiques de la Terre. » Pour autant, « l’objectif du GIECO n’est pas de sortir du capitalisme, c’est de comprendre le fonctionnement et les opérations de l’organisation humaine. Ensuite, c’est aux acteurs de décider ce qu’ils vont vouloir faire de nos travaux. J’insiste là-dessus : ne nous voulons pas être militant, nous voulons être scientifique ».

Alvin Ramgobeen détaille alors un programme de rationalisation du capitalisme : « Jusque-là, le capitalisme n’était pas conscient des dégâts auxquels il était à l’origine. Il faut porter ses dirigeants à cette conscience. Il ne faut pas les attaquer sinon ils vont se crisper et se mettre en défense. Le GIECO est là pour cela. » Même son de cloche pour Amélie Rouvin « S’il y a besoin de questionner la croissance, il faut dire que la classe politique et économique est à la fois le problème et la solution. Évidemment, ces personnes [les dirigeants] ont des angles morts. Mais si on leur apporte de l’information, cela peut aider à une meilleure connaissance et une meilleure action ».

 

Il s’agirait avant tout de participer à adapter les sociétés au dérèglement climatique en éludant une réflexion profonde sur les rapports sociaux à l’origine de cette situation.

 

Pour cette dernière, nul soutien aux écologistes : « La colère qu’ils renvoient au monde est contre-productive », déplore-t-elle en appelant au retour en force de l’action étatique au travers de « quatre piliers de transformation ». À savoir, un État régulateur (ex : en taxant les énergies polluantes), un État incitatif (ex : pour favoriser l’achat de marchandise « éco-responsables »), un État exemplaire (verdissement de la commande publique) et un État sensibilisateur (à travers des études et campagnes de sensibilisation).

Loin de la neutralité scientifique revendiquée par le coordinateur scientifique du GIECO, Stéphane Labranche, il s’agirait avant tout de participer à adapter les sociétés (États, entreprises et citoyens pris individuellement) au dérèglement climatique en éludant une réflexion profonde sur les rapports sociaux à l’origine de cette situation. Et ce, à grand renfort d’argent de petites sociétés comme de grandes multinationales. Pour Miguel Benasayag, nous pourrions penser que ces travaux participeront à l’avenir à « la mise en place d’une ingénierie sociale diffuse qui serait à l’humain, ce que la smart city est à la ville », soit une gestion infantilisante et désincarnée des humains justifiée par une compréhension réductionniste de leur cerveau.

Toujours est-il que pour Alvin Ramgobeen, le GIECO manque d’une figure médiatique marquante pour s’imposer : « On attend encore notre [Jean-Marc] Jancovici[19]– Ingénieur polytechnicien, fondateur du ShiftProject. Il est une figure médiatique qui a participé à remettre en débat l’utilisation du nucléaire à des fins qui se voudraient « … Continue reading ! ». Gageons qu’il ne manquera pas d’émerger. Et qu’il faudra désormais suivre de près ce nouveau groupement scientifique.

Gary Libot, journaliste / Sciences Critiques.

References

References
1 – On le retrouve aussi sous l’appellation « Groupe International pour l’Évolution du Comportement ».
2 – IBPC en Anglais pour International Panel of Behavior Change. C’est une association internationale de droit français.
3 – Qui occupe son poste bénévolement comme tous les membres de l’Alliance. Il est par ailleurs data scientist pour l’entreprise informatique Inetum.
4 – Il s’intitule « Facteurs de changement de comportement et de non-changement dans les temps de transition ». Un premier rapport concernant les politiques publiques durant le Covid-19 est d’ores et déjà disponible en ligne.
5 – La liste complète des signataires est disponible sur : www.ipbc.science.
6 – C’est-à-dire la « contribution humaine à un événement ».
7 – Sollicité, Jacques Fradin n’a pas souhaité donner suite à nos demandes d’entretien.
8 – Sa vocation étant de « favoriser le développement de l’Intelligence Adaptative aux niveaux des individus, des organisations et, plus largement, de notre société. ».
9 – Inspiré de la Convention Citoyenne sur le climat, il a réuni 100 représentants d’entreprises pour faire « émerger 100 propositions pour accélérer la transition écologique de l’économie et des entreprises. » Plus d’information : www.legranddefi.org.
10 – Fédération de collectivités territoriales et d’acteurs de la société civile impliqués dans la « transition écologique ». Présentation sur : www.fabriquedestransitions.net.
11 – Ex-responsable environnement du groupe Veolia, elle est désormais coach et sophrologue à son compte.
12 – À hauteur de 66 %.
13 – Alvin Ramgobeen qualifie ainsi, entre autre, les chefs d’entreprise.
14 – Auteur de Cerveaux augmentés (humanité diminuée ?) (Éditions Delcourt – 2023) et de Fonctionner ou exister ? (Éditions du Pommier – 2018).
15 – Nous pourrions aussi évoquer les travaux du neuropsychologue Stanislas Dehaene, professeur au Collège de France.
16 – Pourquoi détruit-on la planète ? Les dangers des explications pseudo-neuroscientifiques, 07 juillet 2022. Une version augmentée et en accès libre est consultable sur les blogs de Mediapart.
17 – Dans un article intitulé « Le nouvel impérialisme neuronal », publié dans la Revue du Crieur 2016/1 (N° 3). PDF disponible en ligne.
18 – L’Atecopol refusera de signer le manifeste du GIECO.
19 – Ingénieur polytechnicien, fondateur du ShiftProject. Il est une figure médiatique qui a participé à remettre en débat l’utilisation du nucléaire à des fins qui se voudraient « écologiques ».

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