« La science est une chose trop importante pour être laissée entre les mains des seuls savants. » (Carl E. Sagan)

Y’a-t-il des «antiscience» ?

Y’a-t-il des «antiscience» ?

En matière de climat comme d’Organismes génétiquement modifiés (OGM), on oppose volontiers les « anti-science » aux « pro-science ». C’est une erreur. Organiser le débat de cette manière, c’est confondre plusieurs niveaux d’analyse, et se condamner à ne pas pouvoir avancer.

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> Fabrice Flipo, philosophe des sciences et des techniques, maître de conférences à Télécom-École de Management, chercheur au Laboratoire de Changement Social et Politique (LCSP) de l’Université Paris 7-Denis Diderot. / Crédit DR.

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IRONS le fil du changement climatique, puisque c’est d’actualité, et prenons la controverse initiée par Philippe Verdier, responsable du service Météo à France Télévisions. M. Verdier se scandalisait dans Valeurs Actuelles de ce que l’objectif des 2°C étaient « politiques ».

Ils sont politiques, en effet, pourquoi se scandaliser ? Parce que M. Verdier, affirmant que « c’est politique », voulait dire que l’objectif ne comportait rien de rationnel, que ce n’était fondé que sur des préférences arbitraires, et non sur de la science. En substance : on nous dit que 2°C, c’est grave, mais rien ne vient l’objectiver, on pourrait tout aussi bien viser 3°C.

Et M. Verdier d’ajouter, dans le même magazine, se posant en victime, qu’il serait désormais interdit de dire tout haut que les changements climatiques ont aussi des effets positifs. Une forme de censure serait donc à l’oeuvre. Raphaël Enthoven sur Europe 1 n’a pas manqué de prendre la défense de M. Verdier au nom de la liberté d’expression.

Le problème est que c’est ne rien comprendre à l’enjeu. De la science au politique, la route n’est pas droite. Entre les deux se trouve ce qu’on appelle l’expertise.

L’enjeu est assez simple à comprendre. Si l’on suit Karl Popper, qui fournit une approximation commode du réel, la science consiste en un jeu dialectique d’hypothèses − ou théories − et de réfutations. La liberté de la recherche implique que les hypothèses les plus farfelues aient droit de cité, tant qu’elles ne sont pas réfutées. Et cela peut être long, pour différentes raisons : disponibilité − technique, politique, financière − des outils qui permettraient d’établir la preuve, complexité du problème et des causalités à l’œuvre, etc.

De la science au politique, la route n’est pas droite. Entre les deux se trouve ce qu’on appelle l’expertise.

Des théories, tout ou partiellement fausses, ont donc normalement cours en science. Même dans le domaine apparemment plus simple de la physique, où l’objet étudié est stable et sans opinion politique. La mécanique relativiste a mis un certain temps pour être prise au sérieux, quand elle a émergé. Thomas Kuhn [1]− Thomas Kuhn, La structure des révolutions scientifiques, Flammarion, collection Champs, 1962. / a bien montré que les hypothèses ou paradigmes sont un ensemble de thèses qui résistent à leur remise en cause, en mettant en avant, à juste titre, tel ou tel contre-argument.

RÉDUIRE OU NON LES GAZ A EFFET DE SERRE

Les scientifiques vivent donc dans un monde où le temps ne compte pas, et où tout est réversible. Les théories ont potentiellement l’éternité pour être mises à l’épreuve. C’est tout le contraire dans le domaine politique où le temps qui s’écoule engendre des causes et des conséquences qui sont irréversibles. Nous ne sommes plus dans le laboratoire, dispositif inventé précisément pour séparer l’activité scientifique de la vie en société.

Dans le cas du changement climatique, par exemple, nul ne peut se soustraire à la question de savoir s’il faut continuer à émettre des gaz à effet de serre (GES) ou s’il faut au contraire les diminuer. Les décisions engagent une éthique de la responsabilité au sens de Max Weber, tout particulièrement en ce qui concerne les individus en lesquels la société place sa confiance, et attend en retour des résultats. Que les responsables n’agissent pas comme attendu et ils seront légitimement mis en question dans leur fonction.

Les scientifiques vivent dans un monde où le temps ne compte pas, et où tout est réversible. C’est tout le contraire dans le domaine politique.

Savoir s’il faut réduire les émissions ou non engage toutes sortes de questions qui ne sont pas simplement climatiques ou « scientifiques » : combien les réductions vont-elles coûter ? Qui va payer ? Qui va gagner des marchés ? Qui va en perdre ? Quels doivent être les choix techniques ? Les politiques salariales ? Les réglementations ? Faut-il dédommager le manque à gagner ou considérer que cela fait partie des risques qui sont à supporter ? Comment évaluer les pertes irréversibles telles que les espèces qui disparaissent ou les populations qui seront déplacées ?

D’autres questions portent sur les procédures qui peuvent permettre de donner des réponses solides à ces problèmes : qui est habilité à prendre les décisions ? Comment se forme le consensus ? Comment se règlent les différends ?

La science peut donner des éléments sur toutes ces questions. Elle peut nous instruire et nous éclairer, mais elle ne peut pas décider à notre place. Face à la décision, les scientifiques redeviennent de simples citoyens. Ce que nous apprend la science est de l’ordre des faits. Or, les faits relèvent de l’être et non du devoir-être : ils ne nous disent pas directement ce que nous devons faire.

La distinction théorique est bien connue. Elle est un peu plus complexe en pratique. Les faits et les théories, sanctionnés ou non par les scientifiques, sont pris dans un ensemble complexes d’enjeux et d’intérêts. Qu’une étude prouve la dangerosité des Organismes génétiquement modifiés (OGM) [2]− Voir notre Grand Entretien avec Gilles-Eric Séralini : « Une révolution est en route », septembre 2015. / engage immédiatement des conséquences sur les autorisations de mise sur le marché, la mobilisation des mouvements sociaux ou la mise à l’agenda médiatique pouvant se traduire, entre autres choses, par quelques démissions ou licenciements pour faute, du côté des responsables.

L’expertise sur des questions controversées est à rapprocher de l’enquête de police dans une affaire de tueur en série ou de terrorisme : le moindre élément est interprété comme étant à charge ou à décharge de tel ou tel individu ou organisation, et tout le monde reste suspendu à la validation des faits. Le concept de « preuve » possède d’ailleurs les deux sens, scientifique et juridique.

La science peut nous instruire et nous éclairer, mais elle ne peut pas décider à notre place. Face à la décision, les scientifiques redeviennent de simples citoyens.

A ceci s’ajoute la complexité de la science elle-même. Il n’y a de science sans méthode et sans discipline, ce qui implique nécessairement un rétrécissement du champ de l’observation. La sociologie voit les rapports humains mais se trouve incompétente sur les mécanismes du climat. De son côté, la climatologie a méthodologiquement fait le choix de ne saisir les êtres humains que sous l’angle des émissions qu’ils produisent, ce qui est évidemment extrêmement réducteur. A ceci s’ajoute les batailles entre hypothèses et écoles, qui divergent entre elles et cherchent mutuellement à se réduire au silence, selon le processus de conjectures et de réfutations théorisé par Popper, et complexifié par Kuhn.

Les hypothèses de travail peuvent être liées aux convictions profondes des scientifiques, en tant que citoyens. Le choix des questions et de l’angle pertinent peut être divers. Il conduit toujours à éclairer certains aspects d’un problème tout en occultant d’autres dimensions. Or, c’est à la totalité du réel, dans sa complexité, qu’a affaire la décision politique. Elle ne peut se prévaloir d’aucune impasse. S’il existe des doutes, un responsable a l’obligation de s’informer. La clause d’ignorance involontaire ou invincible ne peut pas être invoquée sans de solides justifications.

LA QUESTION CLIMATIQUE EST COMPLEXE

La spécificité de la question climatique est d’être suffisamment complexe pour devoir faire appel à des dizaines de spécialités, pour être saisie dans ses principales dimensions. Le problème est à la fois très simple et très complexe.

L’expertise sur des questions controversées est à rapprocher de l’enquête de police dans une affaire de tueur en série ou de terrorisme.

Très simple, au sens où le mécanisme est limpide, sur le principe. Des gaz laissent passer le rayonnement solaire, lequel réchauffe la terre. Cette énergie repart ensuite dans l’espace sous forme infrarouge. Or, les gaz à effet de serre sont partiellement opaques à cette longueur d’onde. La chaleur ne peut donc pas s’évacuer aussi rapidement qu’elle est entrée. Les gaz à effet de serre agissent comme les couvertures que l’on met sur le corps : ils ne produisent pas d’énergie, ils empêchent que l’énergie disponible ne sorte. Et l’augmentation de la température qui en résulte change l’écoulement des fluides − liquides et gazeux − à l’échelle planétaire. Tout cela relèverait presque entièrement d’une seule discipline : la mécanique des fluides. Tout se complique ensuite.

Un premier problème est que les fluides sont très difficiles à modéliser, en dehors de cas-limites. Les équations sont extrêmement complexes. L’unique solution est de proposer une vision simplifiée. Un second enjeu est que ces gaz sont en interaction étroite avec la biosphère et l’activité des sociétés humaines, d’où une très grande complexité dans les causes et les conséquences, qui sont extrêmement nombreuses et contradictoires.

La production scientifique accumule les faits et les hypothèses sur des milliers d’aspects différents du problème, sans chercher à les hiérarchiser ou à les synthétiser. Comment savoir lesquels sont pertinents ? Comment les agréger ? Comment trancher entre des théories concurrentes ? C’est le rôle de l’expertise de le déterminer. En l’absence d’expertise crédible, rien ne vient cadrer le débat, qui peut alors partir dans tous les sens, sans qu’il n’en sorte jamais rien de bien concluant.

Les climatosceptiques franchissent la ligne qui sépare la science de la politique.

Les sceptiques ont le beau rôle, dans ce contexte. Il suffit de prendre l’un des innombrables enjeux et de pointer que les scientifiques sont en désaccord entre eux. Rien de plus facile. Le problème est que jeter le doute sur les données ne permet pas de conclure, quant à la décision politique.

Ceux qu’on appelle les « climatosceptiques »[3] − Voir notre Grand Entretien avec Laure Noualhat : « Les climatosceptiques se moquent de la vérité scientifique », octobre 2015. / n’en ont que faire : du doute ils concluent à la nécessité de continuer à émettre des gaz à effet de serre. En agissant ainsi toutefois, ils franchissent la ligne qui sépare la science de la politique, ce qui revient à dire qu’ils se posent en expert. Sont-ils légitimes ? Leur expertise est-elle de qualité ? C’est toute la question que l’on devrait se poser.

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Un scientifique n’est spécialiste que d’une discipline qui ne couvre peut-être pas l’ensemble des dimensions pertinentes du problème. Il peut confondre ses hypothèses de travail avec des certitudes, par exemple omettre de mentionner l’existence, dans son champ, d’écoles concurrentes à la sienne. Il peut être tenté de jouer sur le prestige de la blouse blanche et se poser comme un savant, c’est-à-dire quelqu’un doté d’une grande culture, alors que sa compétence est peut-être étroitement spécialisée. La science procède depuis plus d’un siècle par une division du travail toujours plus poussée, ce qui implique, en retour, de limiter fortement le champ de l’investigation. Le scientifique peut enfin être animé de convictions politiques propres.

Croire pouvoir déduire une décision politique de la seule science, sans passer par l’expertise, s’appelle le scientisme.

Claude Allègre a joué de toutes ces ficelles : le prestige de la blouse blanche, une supposée compétence dans un champ où il n’a jamais publié, et des convictions politiques fortement affichées, au point de créer une fondation dédiée à en soutenir l’action.

Croire pouvoir déduire une décision politique de la seule science, sans passer par l’expertise, s’appelle le scientisme. Croire pouvoir se passer de science et affirmer que tout est politique est l’extrême opposé. L’expertise est un filtre entre le politique et le scientifique.

PLURALISME, TRANSPARENCE DES PROCÉDURES
ET PERTINENCE

L’expertise est chargée d’une tâche extrêmement lourde. Elle doit lire tout ce qui est disponible sur la question, déterminer ce qui est à prendre en compte et ce qui doit être laissé de côté, en termes de pertinence ou de délimitation du problème, croiser les différentes informations, évaluer les apports des uns et des autres, etc.

Une expertise de qualité se construit. Elle doit comporter trois qualités essentielles : le pluralisme, la transparence des procédures et la pertinence. Le pluralisme est essentiel. Toutes les thèses en présence doivent pouvoir être entendues. Tous les intérêts doivent pouvoir s’exprimer, mettre en lumière les aspects de la question qui leur semblent importants. Une prise en compte exhaustive implique que les experts ne soient pas engagés dans la défense d’un point de vue bien précis, ou que si tel est le cas le processus fasse droit à tous les experts, permettant d’argumenter tous les points de vue.

Une expertise de qualité se construit.

La transparence des procédures garantit une lisibilité pour le reste de la société, qui est destinataire de la procédure d’expertise, qui en attend les résultats, la synthèse, pour prendre des décisions qui soient mieux fondées. La pertinence, enfin, consiste à circonscrire les limites du problème. Elle écarte les informations qui sont sans rapport avec la question.

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Deux erreurs sont fréquemment commises à propos de l’expertise. Elles sont toutes les deux utilisées par les contestataires pour faire passer leur propre version des faits, et des orientations politiques à prendre. La première erreur est de dire que l’expertise viole les règles du débat scientifique, par exemple, qu’elle prend partie dans un débat scientifique qui n’est pas achevé. La seconde erreur est à l’inverse de prétendre que l’expertise se soustrait aux exigences du politique, au motif par exemple que les experts ne sont pas élus.

Pourquoi s’agit-il d’erreurs ? Parce que l’expertise est entre la politique et la science, et ne relève à proprement parler ni de l’un, ni de l’autre, tout en présentant certains traits de l’une ou de l’autre. C’est sur ce point que les lecteurs de cet article doivent porter toute leur attention, pour ne pas être abusés dans l’avenir.

Si l’expertise ne respecte pas les règles de la science, c’est parce qu’elle doit appuyer la décision publique. Elle ne décide pas, elle éclaire la décision.

Si l’expertise ne respecte pas les règles de la science, c’est parce qu’elle doit appuyer la décision publique. Son travail ne se comprend qu’en rapport avec ce but. Elle ne décide pas, elle éclaire la décision. Pour éclairer la décision, elle doit choisir, au risque de se tromper, quelles sont les connaissances sur lesquelles la décision peut s’appuyer, et quelles sont celles que l’on peut se permettre de négliger. Si l’expertise doit trancher, c’est parce que le politique doit décider.

Un exemple peut l’illustrer. Les climatosceptiques cherchent parfois à mettre en doute les résultats du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) au motif que celui-ci ne met pas en avant l’importance de la vapeur d’eau, qui compte pour 55 % de l’effet de serre. Une grossière erreur, en apparence, qui laisserait planer le doute sur l’ensemble.

La réponse du GIEC est tout-à-fait limpide, pourtant : la vapeur d’eau est bien un gaz à effet de serre, mais rien ne vient attester de l’emprise de l’activité humaine sur la vapeur d’eau. C’est donc un aspect qui n’est pas jugé pertinent pour la décision. Si la vapeur d’eau est laissée de côté, c’est parce qu’elle ne joue pas de rôle dans la décision, pas parce qu’elle n’est pas un gaz à effet de serre. C’est en fonction du but que l’on comprend la sélection et la validation. Le GIEC n’est pas un chercheur, il n’écrit pas d’articles dans les revues scientifiques, il ne fait pas de la science mais de l’expertise.

La seconde critique est que le GIEC serait « politique », à l’opposé. C’est la critique de Philippe Verdier et d’innombrables personnes avant lui. Cette raison est souvent mise en avant au motif que le GIEC accrédite ce que certains partis politiques, notamment écologistes, disent depuis un certain temps. Il serait donc « écologiste ».

Le GIEC n’est pas un chercheur, il n’écrit pas d’articles dans les revues scientifiques, il ne fait pas de la science mais de l’expertise.

Pourtant, le GIEC ne prend pas de décision. Il n’en a jamais pris et n’en prendra jamais. Il s’est refusé à se prononcer sur la question à laquelle les États lui demandaient de répondre, de manière pressante : quel niveau de réchauffement faut-il ne pas dépasser ? Il a considéré que cette question était politique, et ne relevait pas de son mandat.

Bien sûr, un organisme expert peut être manipulé. Le travail d’enquête consiste alors à vérifier si l’organisation est construite de telle manière à ce que des écologistes avérés puissent exposer leurs idées sans être inquiétés. Sinon tout ce que l’on peut dire est que les faits mis en avant par le GIEC accréditent en effet des thèses qui servent à certains intérêts pour justifier leurs parti-pris politiques, sans toutefois aboutir à un programme politique précis.

Par exemple, le GIEC peut conclure à l’examen d’une bonne centaine de rapports sur les énergies renouvelables que le potentiel technique existe pour alimenter l’humanité entière avec ces dispositifs. Il ne va jamais définir de manière précise la politique à mettre en œuvre, car il sortirait de son mandat.

SCIENCE ET POLITIQUE
DOIVENT ÊTRE DISTINGUÉS

Le GIEC a été créé par les États, pour faire face au cas particulièrement complexe des changements climatiques. C’est un organisme expert. Compte-tenu des multiples dimensions du problème, le GIEC implique plusieurs centaines de scientifiques issus de différentes disciplines et de différentes parties du monde. Aucun individu ne peut maîtriser l’ensemble des informations que brasse le GIEC – pas même les membres du GIEC eux-mêmes.

Le GIEC laisse de côté de nombreuses questions, par exemple, le rôle des idéologies politiques ou les rapports de force.

Tout le monde est contraint de procéder par délégation. C’est donc à la qualité de ses procédures de délégation et de confrontation que l’on peut évaluer la fiabilité de ses informations. En l’occurrence, l’organisme est composé de scientifiques nommés par des États aux intérêts souvent radicalement opposés : la condition de pluralisme est globalement respectée. La transparence est assurée par le haut degré de méfiance des États envers les autres, ainsi que par la société civile et les dizaines de milliers de lecteurs des rapports finaux.

On peut, en revanche, discuter de la pertinence, au sens où le GIEC laisse de côté de nombreuses questions, par exemple, le rôle des idéologies politiques ou les rapports de force. La domination des scientifiques du Nord a longtemps été dénoncée par les pays en développement, la nomination de l’actuel président, Rajendra Pachauri, est le symbole d’évolutions sur ce point.

Les procédures de fonctionnement du GIEC indiquent que ses résultats sont consensuels et ne peuvent être que prudents. L’alarmisme lui est interdit par les États les plus enclins à pousser cette opinion. Sa légitimité est donc forte.

Face à cela qui sont MM. Verdier ou Allègre ? Le premier, en se présentant comme responsable de la météo à France Télévisions, engage son employeur, qui n’est autre que le service public de l’information. Il est vrai que si M. Verdier était M. Tout-le-monde, aucun éditeur n’aurait publié son livre. Le problème est que son employeur a des obligations.

Émettre des gaz à effet de serre a des implications politiques, économiques, sociales, qui dépassent de très loin ce qu’un scientifique peut savoir.

Comme le soulignait Jean Baechler dans sa somme sur la démocratie[4]− Jean Baechler, Démocraties, Calmann Lévy, collection Liberté de l’esprit, 1977. / , si toutes les opinions sont permises, en démocratie, la véracité est une vertu de ce régime comme le mensonge l’est des régimes autocratiques. Mentir, au moins par omission, en ne laissant passer que les vérités qui ne dérangent pas, est une question de survie, pour un régime autoritaire. M. Verdier a donc manqué à ses obligations professionnelles.

Science et politique doivent être soigneusement distingués. Ce qui est trompeur est le double sens du mot « science ». Il désigne, d’une part, ce que l’on sait, que l’on peut tenir pour acquis. Mais la science est aussi une activité de recherche où se confrontent des théories divergentes, qui ne sont pas encore tranchées. Les scientifiques peuvent librement confronter leurs idées.

Mais le politique ne peut attendre que les scientifiques soient d’accord pour décider. Émettre des GES ou ne pas en émettre est une décision qui ne peut être différée. Émettre des GES a des implications politiques, économiques, sociales, etc., qui dépassent de très loin ce qu’un scientifique peut savoir, ou même un groupe d’experts tel que le GIEC. C’est à la société qu’il appartient de pouvoir peser les risques. Penser pouvoir passer directement de la science à la décision est ce qu’on appelle le scientisme.

Les Organisations non gouvernementales (ONG) aussi affirment volontiers que « la science », sous-entendu le GIEC, a « prouvé » le changement climatique, et donc qu’il faut agir. C’est pourtant la même erreur de raisonnement.

C’est à la société qu’il appartient de pouvoir peser les risques.

Pour avoir la seule preuve empirique indiscutable du changement climatique, nous devons émettre les GES pendant encore quelques décennies, et mesurer la température. Bref, mener une expérience grandeur réelle avec la planète et ses habitants, ce qui pose évidemment des problèmes éthiques et politiques. On ne gagne rien à faire des raccourcis.

Fabrice Flipo

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References

References
1 − Thomas Kuhn, La structure des révolutions scientifiques, Flammarion, collection Champs, 1962. /
2 − Voir notre Grand Entretien avec Gilles-Eric Séralini : « Une révolution est en route », septembre 2015. /
3  − Voir notre Grand Entretien avec Laure Noualhat : « Les climatosceptiques se moquent de la vérité scientifique », octobre 2015. /
4 − Jean Baechler, Démocraties, Calmann Lévy, collection Liberté de l’esprit, 1977. /

Un commentaire

  1. Un point important que tu sembles négliger c’est que, si Verdier nous fait peur, c’est parce que, dans le contexte actuel, il a la capacité de convaincre une bonne partie de l’opinion publique – avec la complaisance directe et indirecte de décideurs néolibéraux.

    Outre le fait qu’il dispose, grâce à la télévision, d’une large audience, il a cette capacité pour au moins deux bonnes raisons concordantes :

    – Les gens sont fatigués de voir leurs possibilités matérielles être réduites par des politiques de restriction qui ne sont pas toujours socialement ou écologiquement très justifiées (qui le sont plutôt par une économie néolibérale qui concentre toute la richesse vers les sommets)

    – Les grandes institutions d’Etat, dont fait partie la recherche, les ont suffisamment roulés dans la farine ces dernières décennies pour qu’ils tendent à adhérer aux opinions qui les contestent (voire tous les scandales technoscientifiques).

    Le GIEC fait sans doute figure d’exception en termes de probité, mais qui du « commun » le garantirait ?

    Mon expérience de chercheur ne m’a pas vraiment appris que « les scientifiques peuvent librement confronter leurs idées ». D’ailleurs, des travaux comme ceux de Khun, Latour et d’autres en font mention. L’appareil de recherche est lourd, sujet à de rudes batailles, d’autant plus quand l’industrie est, comme aujourd’hui, derrière.

    Bref, ce qui pose problème c’est surtout la perte de confiance – le divorce, comme on dit – entre la science et la société civile – les experts (GIEC mis à part) faisant généralement le lien toxique entre les deux.

    Et ce soupçon de la société civile est généralement sain dans la mesure où la technoscience – porteur du paradigme social dominant – est l’un des enjeux principaux du pouvoir.

    Courtillot est bien à l’IPGP, non ? Qui croirait à sa malhonnêteté et à son incompétence qui ne l’ai connu personnellement ou qui maîtriserait sa science ? Ceux qui font confiance à ses adversaires ?

    A mon avis, chaque cas est à analyser isolément….

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