[Retour à la Une*] En démystifiant l’activité scientifique, le « critique de science » permet aux citoyens de développer l’audace nécessaire pour pouvoir porter des jugements sur les institutions et leurs productions. Par là, il œuvre à la nécessaire mise en démocratie de la technoscience.
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JUSQU
‘AU XVIIème siècle, la science occidentale s’est développée grâce à des individus autonomes et relativement indépendants des pouvoirs − pourtant, même Léonard de Vinci faisait des ménages en dessinant des canons…La dispersion des acteurs, et leur impact encore faible sur la vie quotidienne, ne suscitait pas encore de réactions importantes dans la société.
Puis de petites équipes ont bénéficié des moyens fournis par la puissance publique, aussi bien dans l’industrie que dans le domaine médical, et, finalement, c’est la création du Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), en 1939, qui a marqué les débuts de la science de masse.
Après les deux guerres mondiales, la technoscience, avec ses gaz de combat puis sa bombe atomique, perdait son image d’activité forcément noble au service du bien commun, mais c’est dans la foulée de Mai-68 que sont apparues de nouvelles représentations sociales de la science et du progrès.
Comme l’indique Mathieu Quet, les années 1970 ont vu naître, et vivre brièvement, des revues de réflexion sur les relations entre sciences et société, ouvrant la voie à la critique des technologies et accompagnant la naissance de l’écologie. Citons Survivre (1970-75) fondée par le mathématicien hors norme Alexandre Grothendieck récemment disparu, Labo contestation (1970-73) écrit par des techniciens et étudiants ou, plus académique, Impascience (1975-77).[1]− Voir le portail de réflexion et de documentation Science et Société : http://science-societe.fr. /
La relève, fut assurée par Alliage, revue placée sous le signe Art et Science fondée en 1989 par Jean-Marc Lévy-Leblond, enseignant-chercheur en physique théorique et pionnier de ce mouvement, dont un ouvrage emblématique[2]− Jean-Marc Lévy-Lebond, (Auto)critique de la science, Seuil, 1973. / avait réunit des textes fondateurs sous un titre annonçant nommément la critique de la science.
Parmi d’autres textes de la même époque, on peut citer le bref Manifeste pour la maîtrise de la science (1988), dans lequel des chercheurs scientifiques de disciplines variées s’inquiétaient de l’autonomie croissante des technosciences.
L’expérience m’a montré que l’on ne peut pas impunément se prétendre critique de science au contraire de critique de cinéma ou de littérature… Comme si « la science » ne pouvait pas être examinée sous tous les angles, au même titre que les autres activités humaines. Comme si critiquer signifiait médire, singulièrement pour qualifier cette activité.
UNE CRITIQUE NÉCESSAIRE
La science occidentale constitue un savoir-pouvoir exceptionnel grâce à son protocole rationnel pour l’acquisition permanente de connaissances. Nul ne peut nier sérieusement son apport à nos civilisations et à la compréhension du monde.
Pourtant, et toujours du point de vue rationnel qui doit demeurer celui de la science, on ne peut pas défendre la science sans la critiquer. Et d’abord en observant que la belle démarche pour découvrir et comprendre le monde est débordée presque toujours par la volonté utilitaire de maîtriser et mettre en marché depuis que la science est devenue technoscience.
Être chercheur ne devrait pas empêcher de demeurer citoyen et donc responsable des conséquences de ses actes.
Nombre de chercheurs, s’étonnant d’être mis en cause alors qu’ils remplissent leurs missions qui sont de chercher, publier et breveter, proclament : « Libre à la société de s’emparer ou de refuser mes résultats ! ». En oubliant que ces résultats, largement financés par l’impôt, sont désormais presque toujours issus de travaux ciblés dès l’origine, pour lesquels les citoyens auraient pu donner un avis en amont.
Le critique de science révèle ainsi l’indifférence de la plupart des scientifiques quant aux effets économiques, écologiques ou éthiques de leurs activités, en même temps que la condescendance avec laquelle ils considèrent la population, supposée incapable de comprendre, de porter un jugement sur l’activité scientifique, ou plutôt technoscientifique.
Être chercheur ne devrait pas empêcher de demeurer citoyen et donc responsable des conséquences de ses actes.
Jean Bricmont, physicien belge suspecté de sympathies ultra-droitières et président d’honneur de l’Association française pour l’information scientifique (AFIS) − voir plus loin −, reconnaît que « le mouvement de critique des sciences a eu le mérite de souligner le caractère élitiste et autoritaire de la communauté scientifique, de mettre en question son indifférence par rapport aux questions politiques et morales et de susciter dans le public un doute légitime face à la volonté de résoudre les problèmes sociaux principalement par des moyens technologiques. » [3]− http://www.dogma.lu/txt/JB_Critique-Science.htm. /
Mais, c’est pour reprendre une leçon ressassée quand il poursuit : « Pensons à ce que seraient les famines et les épidémies, la population mondiale étant ce qu’elle est, sans les progrès réalisés en médecine et en agronomie. » Sans prendre en compte ce que le relatif confort occidental doit aussi aux luttes sociales (droit du travail, hygiène, congés payés…) et à une économie mercenaire (colonisation, énergies extractives…).
il est légitime et urgent de soumettre la technoscience à l’examen critique.
Puisque l’Anthropocène est essentiellement la conséquence de l’exercice d’une puissance technologique sans frein, il est légitime et urgent de soumettre la technoscience à l’examen critique.
Cette démarche va, bien sûr, à l’encontre de l’idéologie scientiste qui transparaît, par exemple, dans le titre d’une revue (« Pour la science ») ou le rituel d’une célébration (« Fête de la science »), idéologie désormais menaçante avec l’irruption du transhumanisme, qui voudrait adapter l’espèce humaine à un monde en ruine plutôt que préserver une Terre où l’homme pourrait s’épanouir.
L’industrie des illusions va bon train. Alors que, dans les années 1960, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) promettait « la santé pour tous en 2000 », des maladies nouvelles nous assaillent sans que nombre d’anciennes n’aient reculé, mais des sorciers en blouse blanche[4]− Laurent Alexandre, La mort de la mort, JC Lattès, 2011. / prévoient que nous vivrons bientôt 200 ans… avant de devenir immortels.
Cette croyance en une croissance illimitée de la durée de vie laisse croire que la courbe de longévité se poursuivra au rythme d’un mois par an, alors que sa régression a commencé aux Etats-Unis, lesquels avaient une petite avance pour les pollutions environnementales, responsables de graves maladies chroniques…
Qu’à cela ne tienne ! On nous annonce la médecine P4 (personnalisée, préventive, prédictive et… participative), dont les effets seront forcément magiques puisque votre carte génétique individuelle sera disponible sur votre iPhone pour 100 euros.
il est temps de s’interroger sur ce que pourraient être les progrès authentiques, ceux qui améliorent la vie des humains sans nuire à la planète et aux êtres vivants.
Comme si la connaissance d’une molécule chimique protégeait automatiquement de tous les aléas. Au nom de la biologie synthétique, des chercheurs s’appliquent à construire des « briques du vivant » très simplifiées et contrôlables qu’il suffirait ensuite d’empiler pour obtenir des êtres vivants plus compétitifs !
D’autres chercheurs, qui croient assumer la complexité du vivant, veulent construire des machines à évolution pour accélérer le hasard en créant des versions variées et inédites de notre génome…
Au-delà de ces projets, largement mystificateurs, il est temps de s’interroger sur ce que pourraient être les progrès authentiques, ceux qui épargnent les ressources naturelles, n’engendrent pas de pollutions notables, avancent avec précaution, créent ou respectent la convivialité, bref améliorent la vie des humains sans nuire à la planète et aux êtres vivants.
Les populations doivent réaliser ces choix plutôt que les scientifiques, fussent-ils « experts », et des procédures doivent être validées pour que les citoyens décident effectivement du bien commun.[5]− Jacques Testart, L’humanitude au pouvoir. Comment les citoyens peuvent décider du bien commun, Seuil, 2015. /
QUE VISE LE CRITIQUE DE SCIENCE ?
On peut concevoir cette critique de deux façons différentes : soit il s’agit d’une attitude intellectuelle, académique, pour dénoncer des manquements à l’objectivité ou à la rationalité dont se rendent coupables des scientifiques.
Soit ce qui est visé est la conséquence, constatée ou prévisible, de l’activité technoscientifique, soumise à des finalités économiques ou militaires.
En fait, les deux démarches se rencontrent souvent comme, par exemple, dans la critique des plantes génétiquement modifiées (PGM), laquelle fustige, d’une part, l’incompréhension des équilibres naturels et la mystification de nos pouvoirs sur le génome − voir le Téléthon −, et, d’autre part, les effets indésirables sur la vie paysanne, la biodiversité, la santé animale et humaine…[6]− Jacques Testart, A qui profitent les OGM ?, CNRS Éditions, 2013. /
les chercheurs ne sont pas des demi-dieux.
Il existe, bien sûr, des articles scientifiques entachés d’erreurs ou même entièrement falsifiés, une tendance inquiétante qui s’aggrave avec l’obligation de trouver ce qui fut promis par le contrat désormais rituel passé entre le chercheur et la puissance publique ou privée qui le finance.
Mais le critique de science ne s’attache pas particulièrement à la dénonciation de ces atteintes à la déontologie scientifique, sauf pour en démontrer la relation avec le nouveau système de recherche compétitive qui conduit à des comportements contraires à la démarche scientifique.
Entre autres exemples, on connaît le cas de ce chercheur coréen prétendant abusivement avoir obtenu des lignées de cellules souches à partir du clonage d’embryons humains.[7]− Jacques Testart, « L’affaire Hwang Woo-suk ou les dérives de la science-spectacle », Le Monde, 4 janvier 2006. /
Ce fut l’occasion pour le critique de science d’affirmer que les chercheurs ne sont pas des demi-dieux, que le système pousse très fort à la performance et à la compétition, que les moyens financiers accordés aux laboratoires sont à la mesure de leurs succès, et que la formule « publier ou périr » n’a jamais été aussi pertinente.
La critique ne doit pas se limiter aux sciences « dures » car les sciences humaines et sociales ont désormais une fonction importante de facilitation des projets en vue de leur « acceptabilité ».
Et, contrairement aux représentants outragés de l’institution, de s’interroger sur l’obtention des ovules du personnel féminin de son laboratoire pour réaliser des clones, abus de pouvoir permis par l’imagerie d’une science puissante et bienveillante à laquelle tous doivent contribuer sans réserves.
La critique ne doit pas se limiter aux sciences « dures » car les sciences humaines et sociales ont désormais une fonction importante de facilitation des projets en vue de leur « acceptabilité ».
Finalement, le critique de science est un vigile des effets de la recherche et de l’innovation sur la vie de la population.
QUI PEUT PRÉTENDRE AU RÔLE
DE CRITIQUE DE SCIENCE ?
Ceux qui sont intervenus comme critiques de science au cours de ces quarante dernières années appartenaient au monde de la recherche, un label permettant de jouir d’une certaine légitimité, bien nécessaire quand on s’attaque à une forteresse imbue de ses prérogatives.
Un « brevet de scientificité » semble aussi approprié s’il s’agit de porter un jugement sur la qualité scientifique d’une démarche ou d’un résultat mais ne devrait pas être requis pour l’examen critique d’innovations qui influencent la vie de tout le monde.
Dans ce cas, assez répandu, le bien commun est menacé (santé, environnement, qualité de vie…) et n’importe quel citoyen est habilité à en juger.
Le critique de science est un vigile aux aguets, ne revendiquant aucune spécialité, sauf celle de servir la démocratie.
Ainsi, l’association pour une Fondation des Sciences Citoyennes (FSC), créée en 2002, est ouverte à tous, scientifiques ou non, car, « face à la marchandisation des savoirs et du vivant, de nombreuses mobilisations et initiatives amorcent un sursaut démocratique et un nouveau pacte social pour une science citoyenne, responsable et solidaire. Loin de se réduire à une “montée des croyances irrationnelles” ou à un manque d’information ou de “culture scientifique”, elles démontrent qu’une science pour tous doit se construire avec tous, dans le dialogue avec des savoirs jusqu’ici dévalorisés. »
Une façon de dénier la validité des jugements critiques sur le progrès consiste à les ranger dans la catégorie du « pessimisme », comme si le degré d’enthousiasme procuré par un fait importait davantage que la réalité de ce fait ! C’est que l’explication par un trait caractériel supposé permet de déminer la critique en lui ôtant son objectivité.
C’est aussi ce qui arrive aux lanceurs d’alerte, critiques ponctuels de la technoscience, le plus souvent isolés et soumis à des attaques indignes. Notons que l’évolution récente de la législation ne permet toujours pas de protéger le lanceur d’alerte, ni d’assurer l’examen du contenu de cette alerte.
Ceux qui se livrent à une certaine critique de la technoscience sont le plus souvent focalisés sur un seul thème. C’est le cas du lanceur d’alerte ponctuelle qui peut être un chercheur, un salarié ou toute personne consciente d’un danger menaçant la communauté.
C’est aussi le cas de certains militants (associatifs, syndicalistes, politiques) menant une action collective contre une dérive de la recherche ou de l’innovation.
Le critique de science, pour sa part, est un vigile aux aguets, ne revendiquant aucune spécialité, sauf celle de servir la démocratie.
DÉRIVES DE LA CRITIQUE ?
Le critique de science est souvent attaqué comme défenseur des « pseudo-sciences », terme vague qui vise aussi bien des savoirs qui échappent à la rationalité occidentale que des comportements ésotériques.
Il est compréhensible que l’arrogance de la science officielle entraîne certains à lui préférer tout ce qui n’en relève pas, au risque d’avaliser des pratiques qui ont le charme de la magie.
Il est compréhensible que l’arrogance de la science officielle entraîne certains à lui préférer tout ce qui n’en relève pas, au risque d’avaliser des pratiques qui ont le charme de la magie.
Une récente information illustre l’ambiguïté de ce qui peut être accepté comme relevant de la connaissance : le gouvernement indien vient de nommer un ministre chargé de la « promotion des médecines et pratiques traditionnelles, ayurvéda, yoga, unani, siddha et homéopathie. »[8]− Le Monde, 10 novembre 2014. /
De quoi faire bondir les vigiles du rationalisme occidental ! Pourtant, le premier ministre indien a estimé que « le yoga avait acquis une reconnaissance mondiale pour ceux qui veulent vivre sans stress et choisissent d’avoir une approche holistique de la santé » et que l’ayurvéda parviendra à atteindre une reconnaissance similaire « si elle est présentée de façon correcte comme un mode de vie… ».
Cette affirmation nous rappelle le dialogue de sourds en Europe autour de l’homéopathie par exemple : d’efficacité jamais démontrée selon les critères de notre médecine… mais d’intérêt évident pour certaines personnes qui « choisissent d’avoir une approche holistique » de leur santé.
En revanche, la valorisation de l’astrologie pour guider la décision, comme chez le président français François Mitterrand ou le président états-unien Ronald Reagan ne relève que de la magie, ou de la mystification.
Un cas original, en ce qu’il se réclame de la science pour justifier l’irrationnel, est celui d’une étude scientifique − publiée dans une revue à comité de lecture − qui prétend que la prière effectuée par un tiers, et même à l’insu du patient, est favorable au succès d’une intervention biomédicale, cette analyse répondant pourtant à tous les canons de notre science !
Cette information a donné lieu à des commentaires crédules sur un site de patients : « J’ai lu dans un site de gynécologie, quelque chose qui pourrait vous aider. Des chercheurs ont étudié les effets de la prière sur le taux de gestation des femmes traitées par FIV [Fécondation In Vitro, NDLR]. La prière pourrait donc améliorer les résultats de la FIV. Ils ont même fait un tableau. Je résume. Le taux de grossesse cumulées sur 4 cycles est de 50 % avec prière, et 26 % sans prières. .. ».
Sur un autre site, un rabbin explique : « Jusqu’à présent, il n’y avait pas eu d’études sur l’implication de la prière dans la réussite des traitements contre l’infertilité, et c’est pourquoi les chercheurs de l’Université de Colombia ont décidé de mener cette prospection… Nous proposons donc au lecteur de participer à cette mitsva et de prier pour tous les couples qui n’ont pas d’enfants. »
Les savoirs traditionnels sont aussi respectables, et souvent plus pertinents, que les productions de nos laboratoires modernes.
Retenons que, selon l’un, la vérité pourrait apparaître par la mise en tableau de résultats douteux et que, selon l’autre, toute croyance mérite une démonstration scientifique !
Cette croyance que la méthode scientifique conduit nécessairement à une vérité indiscutable conduit à omettre la précaution dans l’interprétation des résultats, en ne tenant pas compte des conditions du protocole comme de l’estimation seulement statistique et non reproduite de l’expérience.
Pourtant, selon Karl Popper, on ne peut que débusquer l’erreur mais pas démontrer la vérité.
Par ailleurs, combien de travaux scientifiques n’accèdent pas à la publication ? On publie plus facilement sur la thérapie génique, aux succès rarissimes, que sur « la mémoire de l’eau », aux résultats inconstants mais statistiquement significatifs.
C’est l’absence d’explication irréfutable, plutôt que l’absence d’effets constatés, qui justifie le rejet par les grands journaux scientifiques d’articles proposés par de nombreuses équipes.
Mais, les savoirs traditionnels ne peuvent être répudiés au prétexte qu’ils ne furent pas acquis selon les normes de la méthodologie scientifique : ces savoirs que véhiculent des corps de métier (paysans, marins, forgerons…) et qui appartiennent à notre patrimoine sont aussi respectables, et souvent plus pertinents, que les productions de nos laboratoires modernes.
LE CRITIQUE DE SCIENCE
SOUS LA CRITIQUE SCIENTISTE
La contestation du progrès, qui n’est pas le refus global de toutes les productions techniques, rencontre souvent des jugements hostiles et sommaires.
Cette contestation serait le fait d’esprits obscurantistes, voire réactionnaires, qui voudraient qu’on « retourne à la bougie dans la caverne… ».
Croire que la science aura réponse à tout, aura raison de tout, c’est demeurer dans l’inconséquence des anciens magiciens, dans l’obscurantisme, fut-ce avec la bonne conscience de servir la science, en réalité la religion scientiste.
L’absurdité de telles proclamations est montrée par le niveau d’éducation des esprits critiques, supérieur à celui des naïfs consommateurs de progrès − par exemple dans les enquêtes sur l’acceptation des plantes transgéniques − mais aussi par des travaux historiques.
Ainsi, François Jarrige[9]− François Jarrige est maître de conférences en histoire contemporaine à l’université de Bourgogne (Centre Georges Chevrier). / montre « au contraire que ce sont souvent les techniciens, ceux qui savaient manier les outils et qui possédaient des savoir-faire complexes, qui contestèrent le changement technique. C’est précisément parce qu’ils comprenaient la technique et les enjeux des changements en cours qu’ils protestèrent. »[10]− François Jarrige, Face au monstre mécanique. Une histoire des résistances à la technique, Imho, 2009. /
De façon prévisible, ce mouvement rencontre l’hostilité des tenants d’une science immaculée et au-dessus de toute critique, comme l’Union Rationaliste ou surtout l’Association Française pour l’Information Scientifique (AFIS), qui condamne régulièrement la renaissance de l’irrationnel, assimile toute critique à un complot, et finalement accuse les « pseudo-sciences » d’impact négatif sur la compétitivité économique, méritant par là la bénédiction des industriels de la technoscience…
Un observateur écrit que « la politique de communication des firmes mises en cause a consisté à dénoncer les “théories du complot” les mettant en cause, et à chercher des alliés dans des regroupements informels ou organisés défendant une certaine vision “scientiste”, dénonçant les “pseudo-sciences” et une vision “religieuse” de l’écologie. L’AFIS est une des pièces centrales de ce dispositif… ».
Croire que la science aura réponse à tout, aura raison de tout, c’est demeurer dans l’inconséquence des anciens magiciens, dans l’obscurantisme, fut-ce avec la bonne conscience de servir la science, en réalité la religion scientiste.
L’AFIS compte aussi des membres ou « parrains scientifiques » discrets, peut-être attirés et dupés parce qu’ils craignent justement les comportements obscurantistes que l’AFIS prétend combattre !
Aujourd’hui, l’obscurantisme est surtout chez les ténors de l’AFIS, incapables de comprendre que l’homme fait basculer le monde dans une hostilité irréversible − le fameux Anthropocène −, et qui s’obstinent à soutenir ce mouvement mortifère.
EN CONCLUSION
Ce qui singularise le critique de science est sa volonté de comprendre et révéler des mécanismes communs aux développements indésirables de la science quand elle est livrée à des intérêts particuliers, ou à une idéologie sans partage.
Aujourd’hui, les intérêts du capitalisme sont déterminants dans la nuisance des activités scientifiques mais la « science prolétarienne » avait aussi suscité des oppositions, de même nature que celles qu’impose toujours le scientisme.
En démystifiant l’activité scientifique, le critique de science permet aux citoyens de développer l’audace nécessaire pour pouvoir porter des jugements sur les institutions et leurs productions. Par là, il œuvre à la nécessaire mise en démocratie de la technoscience.
Jacques Testart
*Parce que les écrits, même sur Internet, ne restent pas toujours, nous avons entrepris en 2024 de republier 30 des textes (tribunes libres, « Grands Entretiens », reportages, enquêtes…) que nous avons mis en ligne depuis février 2015. Cette tribune libre a été publiée pour la première fois le 16 février 2015.
> Dessin : Frédéric Michaud
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References
↑1 | − Voir le portail de réflexion et de documentation Science et Société : http://science-societe.fr. / |
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↑2 | − Jean-Marc Lévy-Lebond, (Auto)critique de la science, Seuil, 1973. / |
↑3 | − http://www.dogma.lu/txt/JB_Critique-Science.htm. / |
↑4 | − Laurent Alexandre, La mort de la mort, JC Lattès, 2011. / |
↑5 | − Jacques Testart, L’humanitude au pouvoir. Comment les citoyens peuvent décider du bien commun, Seuil, 2015. / |
↑6 | − Jacques Testart, A qui profitent les OGM ?, CNRS Éditions, 2013. / |
↑7 | − Jacques Testart, « L’affaire Hwang Woo-suk ou les dérives de la science-spectacle », Le Monde, 4 janvier 2006. / |
↑8 | − Le Monde, 10 novembre 2014. / |
↑9 | − François Jarrige est maître de conférences en histoire contemporaine à l’université de Bourgogne (Centre Georges Chevrier). / |
↑10 | − François Jarrige, Face au monstre mécanique. Une histoire des résistances à la technique, Imho, 2009. / |
18 février 2023 à 12 h 51 min
Critiquer, juger, pourquoi pas, mais en se basant sur quelles valeurs ?
Une critique qui n’expose pas ses valeurs n’a pas plus de poids qu’une étude scientifique qui ne partage pas ses données.
5 novembre 2021 à 22 h 14 min
La Science
La Science est la plus simple négation du hasard. Simple car numérisable, comme Pythagore l’avait introduite. Ainsi, en mélangeant trois constantes universelles principales, chacun peut vérifier qu’on obtient une longueur fixe de 13.8 milliards d’années-lumière (voir Wikipédia, section analyse dimentionnelle, exemple cosmologique). Or le consensus scientifique officiel actuel est que l’Univers serait âgé de 13.8 milliards d’années, donc éminemment variable.
L’attitude scientifique est donc d’admettre que ça ne peut être du hasard, et donc que le système scientifique a confondu une longueur avec un temps, défaut classique des formalistes qui mélangent tout.
Tous ceux qui contestent cette conclusion, en particulier les meneurs du système scientifique officiel, ou leur représentant telle que l’AFIS, les soi-disants pourfendeurs des pseudo-sciences sont des inconscients anti-scientifiques. On ne peut pas vraiment parler d’imposture ou de trahison, car un Tartuffe est conscient de ses méfaits.
6 octobre 2015 à 16 h 40 min
bonjour
excellent article , j’ai pris bcp de plaisir à le lire , merci ^^
cordialement