« La science est une chose trop importante pour être laissée entre les mains des seuls savants. » (Carl E. Sagan)

Second avertissement à l’humanité

Second avertissement à l’humanité

En 1992, les plus grands scientifiques du monde lançaient un « avertissement à l’humanité » pour en finir avec la destruction de l’environnement. Vingt-cinq ans plus tard, force est de constater que nous n’avons pas tenu compte de leur alerte. Et bientôt, il sera trop tard. Des actions urgentes peuvent être mises en œuvre pour que l’humanité prenne le chemin de la soutenabilité. Mais le temps presse…

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> William J. Ripple, Christopher Wolf, Mauro Galetti, Thomas M. Newsome, Mohammed Alamgir, Eileen Crist, Mahmoud I. Mahmoud et William F. Laurance, écologues, chercheurs en sciences environnementales et biologiques aux Etats-Unis, en Australie, au Brésil, au Bangladesh et au Nigéria.

I

L Y A vingt-cinq ans, l’Union of Concerned Scientists (UCS), et plus de 1 500 scientifiques indépendants − y compris la majorité des lauréats de prix Nobel dans les sciences − ont publié, le 18 novembre 1992, l’« Avertissement des scientifiques du monde à l’humanité » (« World Scientists’ Warning to Humanity », en anglais).

Ces chercheurs « préoccupés » ont enjoint l’humanité d’en finir avec la destruction de l’environnement, en insistant sur le fait qu’« un changement radical dans notre relation à la Terre et à la vie sur Terre s’avère nécessaire pour éviter la misère humaine à grande échelle. »[1]NDLR : Lire notre « Grand Entretien » avec Sebastian Vincent Grevsmühl, « Il est urgent de repenser nos imaginaires », 29 juin 2016. /

Dans leur appel, les auteurs affirmaient que le développement des activités humaines avaient atteint les limites du monde naturel. Ils se disaient en effet préoccupés par les dégâts, imminents ou potentiels, infligés à la planète, impliquant la couche d’ozone stratosphérique, les réserves d’eau douce et halieutiques, la vie dans les océans, les forêts, la biodiversité, le climat[2]NDLR : Lire notre « Grand Entretien » avec Laure Noualhat, « Les climatosceptiques se moquent de la vérité scientifique », 4 octobre 2015. / et les populations humaines.

Ces lanceurs d’alerte internationaux avaient indiqué que des changements fondamentaux étaient nécessaires, de toute urgence, pour éviter que les dommages causés par nos modes de vie ne deviennent irréversibles.

Ils craignaient déjà que l’humanité n’exploite les écosystèmes terrestres au-delà de leurs capacités à se régénérer eux-mêmes.

Des changements fondamentaux sont nécessaires, de toute urgence, pour éviter que les dommages causés à la Terre par nos modes de vie ne deviennent irréversibles.

Ils avaient alors décrit comment nous nous approchons de plus en plus rapidement des limites planétaires ; limites au-delà desquelles la Terre endurent des dégradations substantielles et irréversibles.

Les scientifiques co-signataires de l’appel avaient notamment plaidé pour la stabilisation de la population humaine, en décrivant comment la pression démographique sur la Terre − accrue par une augmentation de la population mondiale de 35 % depuis 1992, soit deux milliards de personnes supplémentaires − est si forte qu’elle peut entraver les efforts entrepris dans le sens d’un avenir soutenable.[3]− Crist E., Mora C., Engelman R., 2017. The Interaction of Human Population, Food Production, and Biodiversity Protection. Science 356 : 260–264. /

Ils avaient également imploré de réduire les émissions de gaz à effet de serre, d’éliminer les combustibles fossiles, de limiter la déforestation et de stopper l’effondrement de la biodiversité.

 

 

À l’occasion du 25ème anniversaire du lancement de l’« Avertissement des scientifiques du monde à l’humanité », nous portons aujourd’hui un regard rétrospectif, en examinant les données scientifiques disponibles[4]NDLR : Lire la tribune libre de Vincent Devictor, Qu’est-ce que l’écologie scientifique ?, 26 novembre 2016. / , afin d’évaluer la réponse humaine qui en a été donnée.

Depuis 1992, à l’exception de la stabilisation de la couche d’ozone stratosphérique, l’humanité n’a pas réussi à faire les progrès nécessaires pour résoudre les défis environnementaux qui s’imposent à elle. Et, de façon alarmante, la plupart d’entre eux deviennent chaque jour plus incontournables.

Depuis 1992, l’humanité n’a pas réussi à faire les progrès nécessaires pour résoudre les défis environnementaux qui s’imposent à elle. Des défis qui deviennent chaque jour plus incontournables.

Parmi ces défis, l’évolution du changement climatique est particulièrement troublante, voire potentiellement catastrophique, en raison de la hausse des gaz à effet de serre, provoquée par la combustion des ressources fossiles (pétrole, charbon et gaz)[5]− Hansen J. et al., 2013. Assessing “Dangerous Climate Change” : Required Reduction of Carbon Emissions to Protect Young People, Future Generations and Nature. Plos One 8 : e81648. / , la déforestation[6]− Keenan R.J., Reams G.A., Achard F., de Freitas J.V., Grainger A., Lindquist E., 2015. Dynamics of Global Forest Area : Results From the FAO Global Forest Resources Assessment, 2015. Forest … Continue reading et la production agricole − en particulier l’élevage des ruminants pour la production de viande.[7]− Ripple W.J., Smith P., Haberl H., Montzka S.A., McAlpine C., Boucher D.H. 2014. Ruminants, Climate Change and Climate Policy. Nature Climate Change 4 : 2-5. doi:10.1038/nclimate2081. /

En outre, les activités humaines sont à l’origine d’une nouvelle extinction massive d’espèces animales − la sixième en environ 540 millions d’années −, au cours de laquelle de nombreuses formes de vie actuelles pourraient être anéanties ou, tout du moins, condamnées à la disparition d’ici la fin de ce siècle.

 

UN IMPÉRATIF MORAL

 

L’humanité reçoit désormais un deuxième avertissement, comme le montrent les tendances alarmantes qui viennent d’être mentionnées.

Nous nous condamnons nous-mêmes en faisant le choix d’une consommation matérielle intense − quoique géographiquement et démographiquement inégale − et en ne prenant pas conscience que la croissance rapide et continue de la population est le principal moteur de nombreuses menaces écologiques et même sociales.

L’humanité ne prend pas les mesures urgentes nécessaires pour préserver la biosphère.

A défaut de limiter, de façon adéquate, la croissance de la population, de réévaluer les impacts d’une économie enracinée dans la croissance, de réduire les gaz à effet de serre, de développer les énergies renouvelables, de protéger les habitats naturels, de restaurer les écosystèmes, de mettre fin à la défaunation et de lutter contre les espèces exotiques envahissantes, l’humanité ne prend pas les mesures urgentes nécessaires pour préserver la biosphère.

Étant donné que la plupart des dirigeants politiques ne restent pas insensibles à une forte pression populaire, les scientifiques, les « leaders d’opinion » et les citoyens en général doivent se battre pour que leurs gouvernements prennent des mesures immédiates.[8]NDLR : Lire la tribune libre de François Veillerette et Christian Vélot, Promouvoir la recherche participative, 8 février 2017. /

Il s’agit d’un impératif moral pour les générations actuelles et futures, que ce soit pour l’espèce humaine comme pour les autres espèces.

Avec la multiplication d’initiatives citoyennes organisées, l’opposition obstinée peut être vaincue et les dirigeants politiques forcés de faire le bon choix.[9]NDLR : Lire notre « Grand Entretien » avec Jacques Testart, « Il faut prendre le mal à la racine », 30 mai 2017. /

Il est également temps de remettre en question et de modifier nos comportements individuels, y compris en limitant notre propre reproduction − idéalement, pour assurer le remplacement de la population tout au plus − et en diminuant drastiquement notre consommation de combustibles fossiles, de viande et de bien d’autres ressources.

Le déclin mondial rapide des produits toxiques appauvrissant la couche d’ozone montre que nous pouvons infléchir positivement le cours des choses lorsque nous agissons de manière décisive.

Le déclin mondial rapide des produits toxiques appauvrissant la couche d’ozone montre que nous pouvons infléchir positivement le cours des choses lorsque nous agissons de manière décisive. Nous avons aussi fait des progrès significatifs dans la réduction de la pauvreté extrême et de la faim dans le monde.[10]− Voir le site de la Banque Mondiale. /

D’autres progrès remarquables sont également à signaler, comme la baisse rapide du taux de fécondité dans de nombreuses aires géographiques − attribuable aux investissements engagés dans l’éducation des filles et des femmes[11]−  Voir le site des Nations-Unies. / −, le recul prometteur de la déforestation dans certaines régions et la croissance rapide du secteur des énergies renouvelables.

Nous avons beaucoup appris depuis 1992. Mais la rapidité avec laquelle se mettent en oeuvre les changements nécessaires dans les politiques environnementales, les comportements humains et la résolution des inégalités sociales et économiques mondiales est encore loin d’être suffisante.

 

Les transitions vers un développement durable − ou vers la soutenabilité − sont diverses. Elles exigent toujours une pression politique de la part de la société civile, ainsi que des arguments fondés sur des preuves solidement établies[12]NDLR : Voir notre reportage : La Marche pour les sciences : « une main tendue vers la société », 2 mai 2017. / , un leadership politique et une compréhension fine des mondes politique et financier.

Des actions et des étapes urgentes peuvent être mises en œuvre pour que l’humanité prenne le chemin de la soutenabilité, comme :

> Prioriser la mise en place de réserves naturelles interconnectées, bien financées et bien gérées, pour protéger de façon significative les habitats floristiques et faunistiques terrestres, marins, d’eau douce et aériens ;

> Maintenir les services écosystémiques de la nature en stoppant la destruction des forêts, des prairies et des autres habitats naturels ;

> Restaurer les espaces de vie des plantes à grande échelle, en particulier les paysages forestiers ;

> Re-naturaliser des régions avec des espèces natives pour rétablir les processus et les dynamiques écologiques ;

> Elaborer et adopter des instruments politiques adéquats pour remédier à la défaunation, au braconnage ainsi qu’à l’exploitation et au trafic d’espèces menacées ;

Les transitions vers la soutenabilité sont diverses.

> Réduire le gaspillage alimentaire grâce à l’éducation et à de meilleurs réseaux d’approvisionnements et de distribution ;

> Promouvoir des changements de comportement alimentaire, surtout vers des aliments à base de plantes ;

> Réduire davantage les taux de fécondité en veillant à ce que les femmes et les hommes aient accès à l’éducation et aux services volontaires de planification familiale, en particulier là où ces ressources manquent encore ;

> Renforcer l’éducation en plein air pour les enfants et la connaissance générale des milieux naturels ;

> Réorienter les investissements financiers et diminuer la consommation matérielle ;

> Concevoir et promouvoir de nouvelles technologies vertes et adopter massivement des sources d’énergie renouvelable, tout en supprimant progressivement les subventions aux énergies fossiles ;

> Réformer notre économie pour réduire les inégalités socio-économiques et veiller à ce que les prix, la fiscalité et les dispositifs incitatifs tiennent compte des coûts réels que les modes de consommation imposent à notre environnement ;

et enfin,

> Estimer une taille de population humaine scientifiquement défendable et soutenable à long terme, tout en rassemblant les nations et les dirigeants pour soutenir cet objectif vital.

 

 

Pour éviter une misère généralisée et une perte de biodiversité catastrophique, l’humanité doit adopter des pratiques alternatives plus soutenables sur le plan environnemental que les pratiques actuelles.

Bientôt, il sera trop tard pour dévier de notre trajectoire mortifère. Et le temps presse…

Cet impératif a bien été formulée par les plus grands scientifiques du monde il y a 25 ans. Mais, à bien des égards, nous n’avons pas tenu compte de leur avertissement.

Bientôt, il sera trop tard pour dévier de notre trajectoire mortifère. Et le temps presse…

Nous devons reconnaître, dans nos vies quotidiennes comme au sein de nos institutions gouvernementales, que la Terre est notre seul et unique habitat.

William J. Ripple, Christopher Wolf, Mauro Galetti, Thomas M. Newsome, Mohammed Alamgir, Eileen Crist, Mahmoud I. Mahmoud et William F. Laurance

> Post-Scriptum : pour co-signer ce second « Avertissement des scientifiques du monde à l’humanité », vous pouvez vous rendre directement sur le site qui lui est consacré : Alliance of World Scientists (de l’Oregon State University).

> Photo de Une : Max Pixel / Licence CC.

 

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References

References
1 NDLR : Lire notre « Grand Entretien » avec Sebastian Vincent Grevsmühl, « Il est urgent de repenser nos imaginaires », 29 juin 2016. /
2 NDLR : Lire notre « Grand Entretien » avec Laure Noualhat, « Les climatosceptiques se moquent de la vérité scientifique », 4 octobre 2015. /
3 − Crist E., Mora C., Engelman R., 2017. The Interaction of Human Population, Food Production, and Biodiversity Protection. Science 356 : 260–264. /
4 NDLR : Lire la tribune libre de Vincent Devictor, Qu’est-ce que l’écologie scientifique ?, 26 novembre 2016. /
5 − Hansen J. et al., 2013. Assessing “Dangerous Climate Change” : Required Reduction of Carbon Emissions to Protect Young People, Future Generations and Nature. Plos One 8 : e81648. /
6 − Keenan R.J., Reams G.A., Achard F., de Freitas J.V., Grainger A., Lindquist E., 2015. Dynamics of Global Forest Area : Results From the FAO Global Forest Resources Assessment, 2015. Forest Ecology and Management, 352 : 9-20. /
7 − Ripple W.J., Smith P., Haberl H., Montzka S.A., McAlpine C., Boucher D.H. 2014. Ruminants, Climate Change and Climate Policy. Nature Climate Change 4 : 2-5. doi:10.1038/nclimate2081. /
8 NDLR : Lire la tribune libre de François Veillerette et Christian Vélot, Promouvoir la recherche participative, 8 février 2017. /
9 NDLR : Lire notre « Grand Entretien » avec Jacques Testart, « Il faut prendre le mal à la racine », 30 mai 2017. /
10 − Voir le site de la Banque Mondiale. /
11 −  Voir le site des Nations-Unies. /
12 NDLR : Voir notre reportage : La Marche pour les sciences : « une main tendue vers la société », 2 mai 2017. /

6 Commentaires

  1. Avertissement aux scientifique: cessez de travailler pour les États, les entreprises, les armées, et d’une manière générale cessez de travailler à renforcer la puissance des classes dominantes.
    Ce n’est pas une “humanité” abstraite qui pourri la planète, mais bien le capitalisme que les classes dominantes de tous les nations qui le font tourner. Et là dedans, vous avez votre responsabilité – que vous ne voulez pas assumer – en fournissant des armes aux exploiteurs des peuples et de la nature.

  2. Comme si le développement scientifique n’avait rien à voir avec les catastrophes écologiques….l’antienne de la bombe démographique et la fin du monde. Stratégie du choc et des peurs…

  3. LA SEULE CHOSE QUI COMPTE C’EST DE «REMBOURSER» LES DETTES ! L’humanité vit sous la dictature des banques. C’est pour ça que nous allons tous périr et rien ne peut empêcher ça. C’est très con mais c’est ainsi.

  4. C’est déjà trop tard, hélas ! L’épuisement des ressources est désormais inévitable, quoi que l’on fasse. Nous allons manquer rapidement de plomb, de zinc, d’argent, d’or, etc., sans oublier évidemment l’épuisement du pétrole pour un peu plus tard. Voir ici pour le calendrier prévisionnel : https://www.consoglobe.com/epuisement-des-ressources-naturelles-et-demographie-cg

    Face à la pénurie, le modèle de société occidental est condamné. On pourrait s’en réjouir si cet effondrement, quelle que soit la forme qu’il prendra, ne devait toucher d’abord les plus pauvres avec des conséquences probablement terribles.

    Mais, de même qu’il a été impossible d’élever à la conscience ceux pour qui la recherche du profit et la sacro-sainte croissance sont le seul horizon, il sera difficile de les amener à prendre conscience de la nécessité de se préparer à une vie frugale et compatible avec l’écologie de notre planète. Là est désormais le véritable défi, pas de sauver cette civilisation décadente et moribonde.

  5. Louable intention que cet appel de ces scientifiques de renom.

    Pour cela il faudrait déjà renoncer à un dogme tout puissant qui est celui de la croissance infinie, de la croissance à tout prix.
    Il faudrait également accepter une bonne fois pour toute que les”technologies vertes”et le “développement durable” sont des sophismes de premier ordre et qu’ils sont tout simplement la nouvelle appellation du capitalisme.

    La crise écologique, qui affecte la totalité du monde vivant, a son origine dans la civilisation occidentale que l’on érige partout comme un modèle parfait.

    Sauf à repenser fondamentalement nos besoins, notre rapport avec les espaces sauvages et les êtres vivants ainsi que nos relations avec le reste de l’humanité, il n’y aura absolument pas d’amélioration.

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