« La science est une chose trop importante pour être laissée entre les mains des seuls savants. » (Carl E. Sagan)

Accueillir les scientifiques américains : un vœu pieux

Accueillir les scientifiques américains : un vœu pieux

Alors que la recherche publique en France traverse une crise de financement profonde, les annonces pour accueillir des chercheurs américains exilés sous l’ère Trump se multiplient. Seulement, sans moyens ni politique scientifique claire, l’initiative, très médiatisée – notamment par Emmanuel Macron et Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne – ne bénéficiera pas aux plus menacés.

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C

HOOSE France for Science ». Le message d’Emmanuel Macron lancé depuis la Sorbonne le 5 mai dernier était très clair. La France a l’ambition de se placer en résistante face au délabrement de la recherche américaine. Menacés par l’administration Trump, les scientifiques d’outre-Atlantique voient leurs fonds coupés, leurs universités mises à l’écart, leurs données supprimées. Ils risquent même d’être arrêtés, voire expulsés, au nom de la lutte contre le terrorisme.

La France et l’Europe seraient-elles donc des havres de paix, où les chercheurs américains pourraient trouver non seulement un emploi, mais aussi une liberté académique qui fait défaut dans leur pays ? « C’est très peu crédible, considère Julien Gossa, maître de conférences à l’Université de Strasbourg, qui suit de près les évolutions de la vie universitaire. Ce sont des effets d’annonce et rien de plus. Il n’y a aucun plan pour notre système éducatif et scientifique. »

 

UNE MAIN (VIDE) TENDUE

 

Pourtant, sur le papier, les initiatives s’affichent comme concrètes. Sur le portail France 2030, le gouvernement a lancé un formulaire de candidature pour les chercheurs qui voudraient rejoindre les recherches en santé de l’Inserm, les études spatiales du CNES, ou encore le département « énergies décarbonées » du CEA. L’Université de Toulouse avait, quelques semaines auparavant, lancé un appel, promettant une dizaine de postes. À Aix-Marseille également, l’Université a ouvert un appel à candidatures, rapidement suspendu après une salve de plusieurs centaines de prétendants pour quelques dizaines de places seulement.

De plus, la demande est réelle du côté des États-Unis. Un appel similaire avait déjà été lancé par Emmanuel Macron au début du premier mandat de Donald Trump, en 2017, et à destination des chercheurs en environnement. Mais aujourd’hui, les scientifiques états-uniens sont bien davantage en danger et prompts à changer de vie pour échapper à ce qu’ils subissent dans leur pays. Avec le soutien promis par le président français, et relayé par Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, tous les voyants semblent au vert.

 

Ce sont des effets d’annonce et rien de plus. Il n’y a aucun plan pour notre système éducatif et scientifique.

 

Problème : l’Europe, et la France en particulier, connaissent des problèmes structurels, c’est le moins que l’on puisse dire. « Le financement des universités n’est pas en grande forme, résume Enora Bennetot-Pruvot, directrice adjointe en charge de la gouvernance à l’Association des universités européennes. L’impact de la crise de 2008 a été très fort dans toute l’Europe. Depuis la pandémie de Covid, on a vu d’importants efforts et une volonté de la part des politiques de limiter les dégâts. Mais aujourd’hui, les perspectives sont très négatives. En raison de la crise géopolitique, il y a un manque de confiance de la part des établissements qui s’attendent à plus de pression budgétaire et, au mieux, à une stagnation des financements. »

 

> Le Président de la République, le lundi 5 mai 2025 dans l’amphithéâtre de la Sorbonne, à l’occasion du lancement de l’initiative “Choose Europe for Science”, qui a pour objectif d’inciter les chercheurs et les entrepreneurs publics et privés du monde entier à choisir l’Europe et la France pour travailler. (Crédit : Ministère des affaires étrangères)

 

La Conférence des praticiens et praticiennes de l’enseignement supérieur et de la recherche (CPESR) arrive à la même conclusion. Dans leur baromètre 2024, qui mesure le « moral des troupes », seulement 10 % des personnes interrogées se disent optimistes sur l’amélioration de leurs conditions de travail. Et seuls 30 % considèrent que leur métier est valorisé.

 

« C’EST IRRESPONSABLE »

 

Et si la main tendue aux scientifiques étatsuniens pouvait redonner foi en la recherche européenne ? « C’est intéressant que l’Europe se positionne ainsi, analyse Enora Bennetot-Pruvot. Il y a un message positif et c’est une chance pour nous de le saisir pour redonner la priorité à l’ESR [Enseignement supérieur et Recherche, NDLR]. Mais c’est dans un contexte difficile pour les universités. »

En effet, comme le pointe L’Humanité, si Emmanuel Macron a bien annoncé le déblocage de 100 millions d’euros pour financer des programmes d’accueil, d’autres mesures, à contre-courant celles-là, ont été annoncées ces dernières semaines : « Un décret du 25 avril dernier a supprimé 493,3 millions d’euros en autorisations d’engagement et 386,8 millions d’euros en crédits de paiement pour les secteurs de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. La loi de finances pour 2025 a, quant à elle, déjà amputé d’environ un milliard d’euros les ressources du secteur, qui atteignent les 31 milliards. »

 

En France, le gouvernement annule des milliards d’euros de crédits visant l’écologie, le réchauffement climatique et les adaptations nécessaires de l’agro-industrie.

 

Le collectif RogueESR ajoute également : « “Choose France for Science” était déjà concomitante avec la divulgation d’une division par deux des crédits alloués au programme PAUSE. Une semaine plus tard, le gouvernement a annoncé une nouvelle annulation de 600 millions d’euros de crédits 2025, répartis en 225 millions d’euros sur la mission “Investir pour la France de 2030” et 387 millions d’euros sur la mission “Recherche et enseignement supérieur”. Le reste des annulations de crédits (3,1 milliards d’euros au total) vise l’écologie, le réchauffement climatique, les adaptations nécessaires du tissu agro-industriel. »

 

> Le programme PAUSE a permis d’accueillir 680 scientifiques et artistes forcés à l’exil depuis son lancement, en 2017. (Crédit : PAUSE)

 

Censé accueillir les scientifiques en exil, le programme PAUSE était au cœur du projet présidentiel. Mais il ne bénéficie pas du coup de pouce actuel. Habitué à gérer des situations « sensibles », il cherche à organiser la venue de chercheurs étrangers, en se chargeant également de l’arrivée de leur famille, ce qui implique de trouver des logements ou encore des écoles bilingues pour les enfants. « C’est irresponsable de promettre ainsi l’accueil à des chercheurs étrangers, enrage Julien Gossa. Emmanuel Macron a engagé la réputation de la France mais il va y avoir des espoirs déçus. »

Pour Enora Bennetot-Pruvot, cette agitation n’améliore pas la situation : « On multiplie les sources de financement, mais ça devient plus complexe, ce qui ne contribue pas à un climat serein. Ainsi, sans financement structurel des établissements, les universités ne peuvent pas développer des stratégies sur le long terme. »

 

ATTIRER LES STARS,
PAS LES EXILÉS

 

De leur côté, les scientifiques français ne sont pas dupes. Ils étaient nombreux à se mobiliser déjà depuis plusieurs mois derrière la bannière « Stand up for Science »[1]– Lire la tribune libre d’Igor Babou, Stand Up for Science : Quand la science néglige son autocritique, 12 juin 2025.. Un collectif monté en soutien à leurs collègues aux États-Unis, mais qui a aussi fait émerger des ressentiments et des critiques en France, pour alerter sur le sous-financement hexagonal.

 

Il n’y a aucune idée d’humanisme.

 

Et la liberté académique ? Sur la plateforme France 2030 figurent bien les recherches climatiques du CNRS, mais aussi et surtout les programmes sur l’intelligence artificielle (IA) de l’Inria, ou encore les infrastructures numériques du CEA. Or, ces domaines de recherche sont beaucoup plus avancés aux États-Unis. Plus encore, les chercheurs américains qui travaillent sur ces sujets ne sont pas menacés. « Nous ne cherchons pas à accueillir des exilés avec ces annonces, estime Julien Gossa. Les chercheurs sur l’IA ou la pétrochimie bénéficient toujours d’importants financements aux États-Unis. En revanche, ils sont nombreux à être inquiétés du côté des sciences humaines et sociales (SHS). Mais, à l’évidence, ce n’est pas la priorité. »

 

 

Au contraire, toute l’action de l’État semble être dirigée vers la recherche appliquée. Dans le jargon universitaire, on parle de recherche à TLR (Technology Readiness Level, ou niveau de maturité technologique élevé). Ce qui exclut de fait la recherche fondamentale et la quasi-totalité des sciences humaines et sociales. La France, comme l’Europe, décident plutôt d’investir pour leur souveraineté technologique, ce qui vise bien souvent à combattre les grandes puissances étrangères sur leur propre terrain.

« Mais nous n’en avons pas les moyens, déplore Julien Gossa. Nous n’avons aucune chance de concurrencer les Etats-Unis ou la Chine sur l’IA, même en embauchant quelques chercheurs étrangers qui, du coup, ont de meilleurs postes chez eux et ne sont pas inquiétés. En revanche, si nous le voulions, nous pourrions devenir leader dans les SHS, ou même dans les sciences de l’environnement. »

 

Toute l’action de l’État semble être dirigée vers la recherche appliquée. Ce qui exclut de fait la recherche fondamentale et la quasi-totalité des sciences humaines et sociales.

 

Dans une interview publiée sur le site du CNRS, son directeur général délégué à la science, Alain Schul, détaille : « Un nouveau dispositif devrait permettre au CNRS d’attirer des scientifiques de très haut niveau, des “stars” de la recherche mondiale, sur des “chaires internationales”. Nous mettrons sur la table un budget conséquent pour payer leur salaire et leur fournir un environnement stimulant. »

Il ajoute : « Il ne s’agit bien sûr pas d’accueillir tout le monde. Nous concentrons nos efforts pour faire venir en France des chercheurs et des chercheuses de très haute qualité, des jeunes scientifiques prometteurs ou des têtes de ponts, qui pourront apporter une vraie valeur ajoutée et enrichir les communautés de recherche françaises. »

Pour Julien Gossa, le message est on ne peut plus clair : « Il n’y a aucune idée d’humanisme [derrière ces discours, NDLR]. Ce n’est pas un appel pour sauver des chercheurs en danger, mais bel et bien pour profiter d’une fuite des cerveaux. Mais c’est vain, et irresponsable, pour ceux qui craignent vraiment pour leur emploi, voire pire. »

Hugo Ruher, journaliste / Sciences Critiques.

 > Illustration de Une : dessin au pastel représentant des émigrants attendant de partir pour les États-Unis, à la fin du XIXe siècle. (Crédit : Eugeen van Mieghem / Wikicommons)

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References

References
1 – Lire la tribune libre d’Igor Babou, Stand Up for Science : Quand la science néglige son autocritique, 12 juin 2025.

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