« La science est une chose trop importante pour être laissée entre les mains des seuls savants. » (Carl E. Sagan)

La sociologie contre le néolibéralisme

La sociologie contre le néolibéralisme

Quelles sont les tâches de la sociologie, et plus largement, de la science sociale, face à l’accélération des mutations contemporaines ? Pour nous, la réponse est claire. La science sociale doit retrouver le sens de l’engagement. Il ne fait guère de doute que le néolibéralisme aujourd’hui impose partout ses évidences. Ne pas le comprendre serait condamner la sociologie à la marginalisation et à l’insignifiance.

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> Christian Laval, professeur de sociologie à l’Université Paris Ouest-Nanterre La Défense, chercheur associé à l’Institut de recherches de la Fédération Syndicale Unitaire. / Crédit DR.

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’UTILITARISME prolongé, transformé et radicalisé par le néolibéralisme est le trait dominant de l’époque que nous vivons.

L’utilitarisme, en tant qu’il est la doctrine de l’homme identifié à son intérêt individuel, est le socle sur lequel s’est édifiée la société moderne.

Cette position a été celle de la sociologie classique au moins jusqu’à Marcel Mauss, comme je l’ai montré dans L’Ambition sociologique[1]− Christian Laval, L’Ambition sociologique. Saint-Simon, Comte, Tocqueville, Marx, Durkheim, Weber, « Folio essais », Gallimard, 2012. / .

Elle a été abandonnée par une grande partie des sociologues contemporains, pour ne pas parler de ceux qui se sont ralliés, plus ou moins honteusement, aux propositions de l’action rationnelle de l’individu isolé.

La promotion absolutiste de l’intérêt privé qui a accompagné, depuis la fin des années 1970, l’extension de la sphère marchande de l’économie a affaibli le sentiment de solidarité entre groupes, remis en question les mécanismes de redistribution mis en place depuis la fin du XIXème siècle, entamé le sens de la continuité historique.

Le savoir sur le social est tout sauf neutre socialement. Le sociologue est un savant engagé.

Les conceptions qu’on pouvait croire solides comme celles de « partage des fruits de la croissance », l’idée que le progrès économique et la justice sociale devaient aller de pair, la légitimité même des devoirs de la société à l’égard des pauvres, des malades, des chômeurs et des personnes âgées, etc., toutes ces problématiques ont été les unes après les autres mises en question par des politiques de réduction de l’entraide entre groupes d’âge et entre classes sociales.

L’éducation elle-même n’est plus protégée par ces érosions, comme on le voit à la double crise qui la caractérise : la crise d’égalité entre groupes sociaux et la crise de réciprocité entre générations.

Le néolibéralisme est ainsi devenu une durable entreprise, consciente et instrumentée, de remodelage des liens sociaux, qui vise à accélérer les mutations sociales et subjectives entamées depuis plusieurs siècles en Occident.

 

QUEL ENGAGEMENT ?

 

Quelles sont alors les tâches de la sociologie contemporaine, et plus largement, de la science sociale, face à l’accélération de ces mutations ? Pour nous, la réponse est claire. La science sociale doit retrouver le sens de l’engagement qui fut celui de la sociologie classique. Cet engagement que signifie-t-il ?

 

 

Le sociologue est un savant engagé. L’histoire de la discipline, du moins avant la professionnalisation académique qu’elle a connue, d’abord aux Etats-Unis puis en Europe après la Seconde Guerre mondiale, en témoigne.

L’engagement politique et social a été le lot de presque tous les sociologues, dans les commencements du moins de cette discipline. Qui penserait aujourd’hui reprocher à Émile Durkheim son engagement pour Alfred Dreyfus. Et qui jetterait la pierre à son neveu, le sociologue et le militant socialiste Marcel Mauss ?

Le problème est en réalité inverse : que pourrait bien signifier un désengagement social et politique de la sociologie ?

Dès le début, les « fondateurs » de la sociologie ont été mus par une ambition contestatrice.

Cette question ne se réduit pas à la manière dont l’a posée Pierre Bourdieu, lorsqu’il prônait le « scholarship with commitment », expression rendue en français par le « savoir engagé ».

Par ce terme, Bourdieu désignait une intervention intentionnelle des savants dans le champ politique, c’est-à-dire hors de l’espace académique, sous la forme d’une parole publique d’un nouveau type consistant à produire et à diffuser des connaissances respectant les critères scientifiques et politiquement efficaces[2]− Cf. Pierre Bourdieu, « Pour un savoir engagé », Contrefeux 2, Raisons d’agir, 2006, p. 33-41. / .

Or, l’engagement de la sociologie commence bien avant cette « sortie » dans le champ politique. Il est plus radical, du fait de la prise de distance, constitutive de la position sociologique elle-même, avec les représentations spontanées de la réalité sociale.

Toute connaissance sociale est conquise non pas sur l’inconnu, mais sur le mal connu. Et ce mal connu du savoir partagé sur le social tient à la vie sociale elle-même, aux relations entre les hommes, aux représentations qu’ils partagent ou qui les partagent.

En d’autres termes, le savoir sur le social est tout sauf neutre socialement. Il est une dimension du social lui-même. Il est, en quelque sorte, une composante de la « réalité sociale ».

Ce qui signifie aussi que toute véritable connaissance scientifique s’inscrit dans un champ polémique, celui où s’affrontent différentes versions du savoir sur le social, et plus précisément, qu’elle est contestation de la représentation conventionnelle dominante du social.

Dès le début, les principaux auteurs que l’on considère comme des « fondateurs » de la sociologie ont été mus par une ambition contestatrice.

Ils ont refusé d’adhérer au nouveau savoir du social qui se présentait alors comme seul scientifique, celui de l’économie politique et de l’utilitarisme. Et ceci au nom même de la science, et non pas au nom des valeurs traditionnelles ou de la religion.

Concevoir l’être humain comme être social et symbolique constitue un mode de résistance à la domination de la représentation économique de la société.

La définition sociologique de l’être humain comme être social, tourné vers autrui, lié à un ensemble de relations, plus ou moins instituées, qui lui préexistent, participe de cette ambition et de ce refus des fatalités.

Concevoir l’être humain comme être social et symbolique constituait un mode de résistance à la domination de la représentation économique de la société, comme on le voit bien chez Auguste Comte, guidé par l’idée selon laquelle la société est fondamentalement solidarité entre les groupes et continuité entre les générations, et non rencontre des intérêts sur un marché.

La sociologie, pour le dire autrement, est partie de postulats anthropologiques qui, en tant que tels, étaient incompatibles avec la définition de « l’homme économique ».

 

LE POINT DE VUE SOCIOLOGIQUE
CONTRE LA CONVENTION ÉCONOMIQUE

 

Faire œuvre de science n’a jamais empêché les sociologues classiques d’évaluer les risques et les tensions du monde social. Ils se sentaient, au contraire, convoqués par une même tâche : alerter leurs contemporains sur les dangers, les dérives, les pathologies qui leur paraissaient contenus dans le mouvement historique dans lequel les sociétés modernes étaient engagées.

Il n’est pas sûr que leur prise de position sur ces évolutions ait été une suite de leur « découverte ». Il est probable que cela a plutôt été l’inverse.

Une fameuse remarque de Max Weber, bien oubliée par les faux dévots de la « neutralité axiologique », s’applique assez bien à l’ensemble des fondateurs. On se souvient que, pour lui, les partis pris éthiques et politiques, ce qu’il appelle les « évaluations pratiques », sont féconds, en ce qu’ils suscitent des problématiques nouvelles, condition du dépassement des conformismes et des « évidences partagées ».

Il n’y a pas de doute qu’un anarchiste peut être un bon connaisseur du droit.

C’est d’autant plus vrai que les pratiques et les « réalités » étaient pour lui imprégnées de valeurs non reconnues comme telles.

La science, dit Weber, « fait de ce qui est évident par convention un problème ». Ce qui suppose un point de vue critique, distant, voire une rupture radicale, avec le savoir conventionnel sur le monde. C’est ce qu’il nomme le « point archimédien » de la connaissance scientifique.

Dans un passage décisif, qui ne peut plaire aux sociologues conservateurs, il affirme : « Il n’y a pas de doute qu’un anarchiste peut être un bon connaisseur du droit. Et s’il l’est, le point archimédien, pour ainsi dire, où il se trouve placé […] peut lui donner l’occasion de découvrir dans les intuitions fondamentales de la théorie courante du droit une problématique qui échappe à tous ceux pour lesquels elles sont par trop évidentes. En effet, le doute le plus radical est le père de la connaissance. »[3]− Max Weber, « Essai sur le sens de la “neutralité axiologique” dans les sciences sociologiques et économiques », Essais sur la théorie de la science, Pocket, p. 375-376. /

Quel est le point archimédien du sociologue aujourd’hui ? Est-il si différent de celui des classiques ?

L’un des plus graves problèmes posés aux sociétés occidentales est l’affaissement du lien social, ce qu’avait fort bien vu Alexis de Tocqueville, quand il constatait la fermeture sur soi des individus et le gel morbide des relations humaines.

 

 

Aujourd’hui, si l’on met à part les adeptes les plus fervents du néolibéralisme[4]− Prenant le contre-pied de l’optimisme d’un John Stuart Mill, Milton Friedman, dans Free to Choose, n’allait-il pas jusqu’à la froide affirmation que les hommes n’avaient nul besoin de … Continue reading, on ne peut échapper au constat selon lequel l’intérêt privé − surtout quand il s’identifie à l’accumulation de richesse privée et à la prolifération de signes distinctifs de consommation − ne suffit pas à faire société.

Le doute le plus radical est le père de la connaissance.

L’absence ou la faiblesse de la référence collective à un système de valeurs capables de faire sortir les individus du cercle étroit des considérations immédiates et des calculs privés est un problème qui revient régulièrement dans les questionnements les plus spontanés.

Et il n’y a pas que la compétition généralisée entre individus qui angoisse et déprime. La crise des rapports entre générations telle qu’elle se manifeste dans l’éducation, la perte du sens de la continuité historique qui lui est liée, sont, dans la vie sociale courante, très fortement ressenties. C’est en quoi, d’ailleurs, l’ambition sociologique reste en phase avec les affects de nos contemporains.

 

L’OUBLI D’UNE AMBITION

 

La sociologie actuelle, pour des raisons d’ailleurs complexes, a beaucoup trop délaissé cette ambition contestatrice de la sociologie classique. Elle a eu même parfois tendance à « pactiser » avec le savoir dominant sur le social et avec l’utilitarisme, même s’il y a eu des exceptions remarquables − on y reviendra.

Alors même que certaines des études les plus pertinentes et des critiques les plus vives de l’utilitarisme étaient venues d’auteurs français au XIXème et au début du XXème siècle, le fil du questionnement s’est interrompu au milieu du XXème siècle.

La préoccupation des sociologues s’est détournée, pendant plusieurs décennies, du rapport au passé de leur discipline le plus lointain, à sa préhistoire comme à sa relation conflictuelle avec les représentations économiques dominantes. « L’oubli des fondateurs », ou, ce qui revient au même quant aux effets, leur embaumement, a certainement des causes multiples qu’il n’est pas lieu ici d’analyser dans le détail.

Retenons quelques éléments significatifs. Raymond Aron a été élève et disciple d’Élie Halévy, l’auteur de l’une des études les plus importantes sur l’utilitarisme au début du XXème siècle[5]− Élie Halévy, La Formation du radicalisme philosophique (3 tomes), Presses Universitaires de France (PUF), réédition 1995. / . Cependant, Aron illustre par son oeuvre elle-même le déplacement d’attention d’une grande partie des sociologues jusque dans son immense travail d’historien de la pensée sociologique.

La sociologie actuelle a beaucoup trop délaissé l’ambition contestatrice de la sociologie classique.

S’il s’est lui-même désigné comme un « descendant attardé » de l’école française de sociologie politique, dont Halévy a été, à ses yeux, un éminent représentant, il a peu tiré du travail de ce dernier sur l’utilitarisme et sur Jeremy Bentham, préférant s’inspirer de Tocqueville pour dégager les principes d’une sociologie libérale opposée au marxisme.

Aron, en réalité, a donné la clé de ce déplacement. C’est la Guerre froide qui est devenue le motif de préoccupation théorique essentiel et le nouveau facteur essentiel de partage de la sociologie mondiale.[6]− Cf. Raymond Aron, Introduction à Les étapes de la pensée sociologique, Gallimard, rééd. coll.Tel, 1976, p.9 et ss. /

En somme, la « tradition sociologique » contestatrice du savoir dominant a été occultée par une guerre entre sociologues, qui a abouti à creuser un fossé idéologique toujours plus profond entre Marx et Tocqueville, entre Durkheim et Weber.

Cette opposition entre une sociologie dite libérale et une sociologie marxiste, ou supposée l’être, ne pouvait conduire qu’à la méconnaissance d’une ambition commune.

Sans que cette guerre idéologique ne s’apaise complètement, une autre tendance est apparue, qui a encore plus éloigné de cette primordiale interrogation.

Après 1945, la modernisation du capitalisme fordiste et le déploiement administratif qui l’a accompagnée ont entraîné une demande sociologique nouvelle. Comme l’avait bien anticipé Weber, le temps de la professionnalisation est arrivé. Les exigences techniques, sociales, épistémologiques et parfois politiques de l’enquête ont accaparées l’attention.

Si les fads and foibles de la « quantophrénie »[7]NDLR : Lire la tribune libre du collectif Pièces et Main-d’oeuvre (PMO) : « Les deux cultures », ou la défaite des humanités, 25 septembre 2016. / , dénoncée par Pitirim Sorokin aux Etats-Unis[8]− Pitirim Sorokin, Tendances et déboires de la sociologie américaine, Aubier-Montaigne, 1959. / , ont gagné le vieux continent, cette vague empiriste a provoqué des questionnements fort louables sur le rapport de ces travaux avec la demande sociale et politique.

De façon originale, le travail d’observation et de description empiriques n’a pas été en France entièrement soumis à la logique administrative ou marchande, mais a donné lieu à une série d’enquêtes d’inspiration critique.

La guerre entre sociologues a abouti à creuser un fossé idéologique toujours plus profond.

Parmi les multiples orientations de ce travail sociologique, celle qu’a animée Pierre Bourdieu n’a pas voulu séparer la connaissance du monde social, la critique de la domination et la constitution d’une théorie sociologique ambitieuse.

Empirie, théorie et critique étaient réunies dans un corpus conceptuel solide capable de résister au risque de la pure instrumentalisation administrative et marchande, et aux dogmatismes divers des « philosophies sociales » anciennes et modernes.

L’idéal sociologique proclamé était celui, bachelardien, de la « coupure épistémologique » avec la philosophie académique pétrifiée et la sociologie spontanée de l’opinion.

Si Bourdieu a longtemps privilégié la critique des modes idéalistes de légitimation de l’ordre social, il n’en a pas pour autant abandonné la critique de l’économisme, laquelle a même été remise au premier plan dans le combat qu’il a mené dans les années 1990 contre le néolibéralisme.

 

 

Cela ne doit pas cacher l’échec de la sociologie à renverser la tendance dominante. Parallèlement aux politiques néolibérales prônées d’abord dans les pays anglo-saxons, la doctrine et les idéaux d’un utilitarisme radicalisé sont revenus en force dans les sciences sociales.

Contrairement à la prédiction de Aron, l’homo œconomicus n’a pas été remplacé par l’homo sociologicus[9]− Raymond Aron, op.cit, p.17. / . Le premier a plutôt eu tendance à absorber le second.

La science économique[10]NDLR : Lire la tribune libre de Didier Harpagès : L’économie est-elle une science ?, 18 mai 2015. / mainstream a même considérablement renforcé ses positions. Elle s’est érigée en fondement dogmatique des institutions, même les plus éloignées apparemment de l’activité économique.

La défaite de la sociologie devant la science économique n’est pas totale.

Pourtant, cette véritable défaite de la sociologie devant la science économique, depuis longtemps prévue par Alvin Gouldner[11]− Alvin Gouldner, The Coming Crisis of Western Sociology, Heinemann Educational Publishers, 1971. / , n’a pas été totale.

Une nouvelle sociologie critique est apparue, dont la tâche spécifique a consisté à scruter méthodiquement, dans les diverses disciplines, la pénétration des modèles économiques et à proposer des schèmes explicatifs alternatifs, puisés dans la sociologie classique, comme dans l’histoire ou l’anthropologie.

La revue du Mauss en a montré l’exemple en France[12]− L’acronyme M.A.U.S.S signifie « Mouvement anti-utilitariste dans les sciences sociales ». Son principal animateur est Alain Caillé. / . Depuis le début des années 1980, cette revue a remis à l’ordre du jour les études sur l’utilitarisme et a réactivé le projet foncièrement anti-utilitariste de la sociologie classique.

En d’autres termes, il s’est agi de relancer « la question centrale que la sociologie pose au coeur de son interrogation, celle du rapport que la société entretient à l’économie », selon le résumé d’Alain Caillé[13]− Alain Caillé, Splendeurs et misères des sciences sociales, Librairie Droz, Genève et Paris, 1986, p.28. / .

Autant dire que c’était là prendre « à rebrousse-poil » aussi bien l’économie politique classique, puis néoclassique, que le marxisme dans sa forme la plus pauvre.

 

UN COMBAT PLUS ACTUEL QUE JAMAIS

 

Cette démarche critique permet de poser à nouveaux frais la question de la distanciation et de l’engagement de la sociologie, pour reprendre les termes d’un texte célèbre de Norbert Élias[14]− Norbert Élias, Engagement et distanciation, Pocket, 1996. / .

L’engagement propre de la sociologie ne se distingue pas de la distanciation savante. Il n’est pas de nature différente. Il n’est pas un « supplément », plus ou moins contingent ou occasionnel. Il en est plutôt l’effet même, à condition que cette distanciation permette d’aller jusqu’aux fondements même des savoirs sur le social.

C’est parce qu’il est possible de prendre ses distances par rapport aux catégories et aux formes de pensée les plus caractéristiques des sociétés contemporaines que la sociologie, en tant que science originale, distincte des schèmes dominants de l’utilitarisme, est elle-même possible.

Il faut combattre, au sein de la sociologie elle-même, tout ce qui relève encore d’une conception individualiste de l’individu et d’une conception économiciste de l’économie.

C’est, au contraire, l’emprisonnement de l’économie politique et de la philosophie spontanée, qui la sous-tend dans les formes de représentation les moins interrogées de ces sociétés, qui les conduit au blocage dogmatique et à la répétition autistique.

La démarche bachelardienne, formulée dans Le métier de sociologue, a donné à la science sociale la tâche de rompre avec le « sens commun » par la construction d’objets proprement scientifiques.

Cette tâche était assimilée à un combat. C’est ce combat qu’il faut mener au sein de la sociologie elle-même contre tout ce qui, chez les auteurs classiques, modernes et contemporains, relève encore d’une conception individualiste de l’individu et d’une conception économiciste de l’économie.

Si la science sociale ne veut pas être engloutie dans la bureaucratisation et la gestion du « social », si elle ne veut pas être une simple annexe de la science économique, il lui faut continuer d’interroger et d’inquiéter le foyer central des mythologies de la société moderne et ses métamorphoses.

Il ne fait guère de doute qu’aujourd’hui le néolibéralisme, comme rationalité universelle, impose partout ses évidences. Ne pas le comprendre et n’en pas faire l’enjeu central de ses travaux, serait condamner la sociologie à la marginalisation et à l’insignifiance.

Christian Laval

> Image à la Une : Davius / Licence CC.
> Photo panoramique : Guillaume Paumier / Licence CC.

 

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References

References
1 − Christian Laval, L’Ambition sociologique. Saint-Simon, Comte, Tocqueville, Marx, Durkheim, Weber, « Folio essais », Gallimard, 2012. /
2 − Cf. Pierre Bourdieu, « Pour un savoir engagé », Contrefeux 2, Raisons d’agir, 2006, p. 33-41. /
3 − Max Weber, « Essai sur le sens de la “neutralité axiologique” dans les sciences sociologiques et économiques », Essais sur la théorie de la science, Pocket, p. 375-376. /
4 − Prenant le contre-pied de l’optimisme d’un John Stuart Mill, Milton Friedman, dans Free to Choose, n’allait-il pas jusqu’à la froide affirmation que les hommes n’avaient nul besoin de se connaître, de s’estimer et de s’aimer pour participer à une société de marché ? /
5 − Élie Halévy, La Formation du radicalisme philosophique (3 tomes), Presses Universitaires de France (PUF), réédition 1995. /
6 − Cf. Raymond Aron, Introduction à Les étapes de la pensée sociologique, Gallimard, rééd. coll.Tel, 1976, p.9 et ss. /
7 NDLR : Lire la tribune libre du collectif Pièces et Main-d’oeuvre (PMO) : « Les deux cultures », ou la défaite des humanités, 25 septembre 2016. /
8 − Pitirim Sorokin, Tendances et déboires de la sociologie américaine, Aubier-Montaigne, 1959. /
9 − Raymond Aron, op.cit, p.17. /
10 NDLR : Lire la tribune libre de Didier Harpagès : L’économie est-elle une science ?, 18 mai 2015. /
11 − Alvin Gouldner, The Coming Crisis of Western Sociology, Heinemann Educational Publishers, 1971. /
12 − L’acronyme M.A.U.S.S signifie « Mouvement anti-utilitariste dans les sciences sociales ». Son principal animateur est Alain Caillé. /
13 − Alain Caillé, Splendeurs et misères des sciences sociales, Librairie Droz, Genève et Paris, 1986, p.28. /
14 − Norbert Élias, Engagement et distanciation, Pocket, 1996. /

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