Dans la controverse sur les Organismes génétiquement modifiés (OGM), la question agroalimentaire est particulièrement épineuse. Solution miracle à la faim dans le monde pour les uns, réponse inadaptée aux besoins alimentaires mondiaux pour les autres, les OGM font débat : peuvent-ils nourrir le monde ? Éléments de réponse dans cette première partie du dossier que Sciences Critiques consacre aux débats sur les OGM.
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EPUIS le milieu des années 1990, les Organismes génétiquement modifiés — communément appelés « les OGM » —, font l’objet d’une bataille féroce entre « pro » et « anti ».> Pierre-Benoît Joly, ingénieur agricole de formation, docteur en économie et directeur de recherche à l’Institut National de la Recherche Agronomique (INRA) : « L’un des événements qui a fait basculer la controverse sur les OGM dans l’espace public a été la publication par Libération, en 1996, d’une Une intitulée “Alerte au soja fou“. »[showhide type=”pbjoly” more_text=”Lire la suite” less_text=”Réduire”]« Jusqu’en 1996, les débats concernant les Organismes génétiquement modifiés (OGM) étaient cantonnés à la sphère scientifique. L’un des événements qui a fait basculer cette controverse dans l’espace public a été la publication par Libération, en novembre 1996, d’une Une intitulée « Alerte au soja fou ». Le journal évoquait les premières importations de soja transgénique en Europe. Cet article a suscité un certain émoi dans la population, notamment parce qu’il est paru dans un contexte marqué alors par la crise de la vache folle, qui avait éclaté quelques mois auparavant au Royaume-Uni. De plus, au milieu des années 1990, les Français ont encore en tête l’affaire du sang contaminé, qui restera comme l’un des principaux scandales de santé publique en France.
De 1996 à 1999, la controverse s’intensifie. A l’époque, le gouvernement d’Alain Juppé sur-réagit quelque peu face aux événements. Si la FNSEA, traditionnellement favorable à la modernisation agricole et à l’emploi de nouvelles techniques, s’exprime relativement peu, la Confédération Paysanne, quant à elle, entreprend un certain nombre d’actions, comme la destruction de semences et de riz transgéniques, dans le Lot-et-Garonne et à Montpellier. Par ailleurs, des associations altermondialistes et écologistes prennent position publiquement et des associations de consommateurs commencent à faire pression sur certaines enseignes de la grande distribution, comme Carrefour.
A la fin des années 1990, les autorités européennes s’emparent du dossier. En juin 1999, la Commission Européenne décrète un moratoire qui suspend les autorisations de mise sur le marché des plantes transgéniques. Jusqu’en 2003, la controverse se déplace alors sur le terrain réglementaire. Les pouvoirs publics se dotent d’outils pour gérer le « risque OGM », comme le traçage et l’étiquetage des produits agroalimentaires. Le 22 juillet 2003, le moratoire européen est officiellement levé. Depuis cette date, même si des rebondissements peuvent survenir, la controverse sur les OGM est entrée dans une phase de relative stabilité. » / Crédit DR.
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Entre les entreprises agrosemencières et « phytosanitaires », les responsables politiques − de tous bords —, les chercheurs scientifiques, les militants associatifs, les agriculteurs, les « citoyens ordinaires », les avis sont plus que partagés…
Pour l’heure, les consommateurs français et européens se montrent plutôt méfiants à l’égard des OGM.
Selon une enquête « Eurobaromètre spécial », publiée en octobre 2010 et consacrée aux biotechnologies, « ces progrès ont suscité la crainte que l’homme puisse désormais modifier la nature de façon complètement artificielle, avec toutes les conséquences imprévisibles qui pourraient s’en suivre. Ce sentiment domine à présent l’opinion publique sur ce sujet. »
Dans leurs conclusions, les enquêteurs indiquent que, « de manière générale, les Européens ne perçoivent pas les bénéfices des aliments génétiquement modifiés et les considèrent comme risqués, voire dangereux. Les Européens ne sont pas favorables au développement des aliments génétiquement modifiés. »
Après quatre ans de débats, les pays membres de l’Union Européenne (UE) ont décidé… de ne rien décider.
Les Européens ne sont pas favorables au développement des aliments génétiquement modifiés.
Depuis avril 2015, la directive européenne 2015/412 est entrée en vigueur : elle transfère la responsabilité à chaque État d’interdire ou d’autoriser la culture d’OGM.
Toutefois, l’UE a autorisé, le 24 avril dernier, l’importation et la commercialisation, durant 10 ans, de 19 OGM, dont 11 produits de la multinationale américaine Monsanto (soja, maïs, colza et coton), les huit autres appartenant aux groupes américain DuPont-Pioneer et allemands Bayer-CropScience et BASF.
En France, François Hollande navigue entre deux eaux. Au mois de février 2015, tout en admettant que les consommateurs, qu’ils soient français ou européens, sont « hostiles aux OGM qui existent aujourd’hui », le président de la République a répété la volonté de la France de « poursuivre » ses efforts de recherche sur les biotechnologies. « L’objectif est d’intégrer les avancées de la science dans le travail agricole », a-t-il fait savoir.
> Qu’est-ce qu’un OGM ?
Les trente dernières années ont vu se développer des techniques modernes de « génie génétique », consistant à introduire un ou plusieurs gènes dans le patrimoine génétique d’un organisme et de construire des organismes dits « génétiquement modifiés » : organismes génétiquement modifiés − OGM − et les micro-organismes génétiquement modifiés − MGM. Ces techniques permettent de transférer des gènes sélectionnés d’un organisme à un autre, y compris entre des espèces différentes. Elles offrent ainsi la possibilité d’introduire dans un organisme un caractère nouveau dès lors que le ou les gène(s) correspondants sont identifiés.
La transformation génétique peut être effectuée sur de nombreuses espèces végétales, depuis les céréales jusqu’aux légumes ou aux arbres. En tout, ce sont plus de 100 espèces qui peuvent être transformées. Les OGM les plus cultivés dans le monde correspondent à des espèces de grande culture comme le soja, le maïs, le coton et le colza. Les gènes introduits peuvent être très divers mais actuellement ce sont les caractères d’intérêt agronomique qui sont le plus développés.
Dans le domaine agricole, des Plantes génétiquement modifiées (PGM), telles que le maïs, le soja ou le coton possédant des propriétés de résistance à des insectes ravageurs des cultures, ou de tolérance à certains herbicides ainsi que des plantes résistantes à certaines maladies, sont commercialisées et cultivées dans certains pays. Des plantes tolérantes à des conditions de stress environnemental telles que la sécheresse, la salinité, le froid, sont en cours de développement ou à l’étude. Le génie génétique pourrait également permettre d’éliminer des substances toxiques produites naturellement par certaines plantes.
Source : ogm.gouv.fr.
> Les cultures OGM dans le monde
Plus de 86 % des OGM sont cultivés sur le continent américain. Les Etats-Unis ont continué à être les premiers producteurs de Plantes génétiquement modifiées (PGM) dans le monde, avec 73,1 millions d’hectares cultivés (40 % du total des cultures).
Les superficies des cultures génétiquement modifiées ont augmenté en 2014 pour la dix-neuvième année consécutive de commercialisation.
Vingt-huit pays − au lieu de 27 en 2013 − ont cultivé des plantes OGM, dont neuf en Asie.
Dix-huit millions de fermiers, à travers le monde, cultivent des plantes génétiquement modifiées.
Les cinq pays en voie de développement et chef de file des biotechnologies − le Brésil et l’Argentine en Amérique Latine, l’Inde et la Chine en Asie, et l’Afrique du Sud sur le continent africain − ont cultivé 47 % du total mondial des cultures génétiquement modifiées. Ils représentent environ 41 % de la population mondiale.
Pour en savoir plus : « Situation mondiale des plantes génétiquement modifiées commercialisées en 2014 », par Clive James, fondateur et président émérite de l’ISAAA.
Aujourd’hui, une partie de la population mondiale fait face à une crise alimentaire à laquelle rien ne semble pouvoir mettre fin. Dès lors, peut-on raisonnablement se passer d’une option ? Dans ce contexte, les OGM peuvent-ils être efficaces contre la faim dans le monde ?
La faim dans le monde : de quoi parle-t-on ?
Aux yeux des citoyens occidentaux, la crise alimentaire est devenue un problème lointain. Pourtant, l’Organisation des Nations-Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (Food and Agriculture Organization, FAO, en anglais), 805 millions de personnes ont souffert de sous-alimentation chronique entre 2012 et 2014.

Des chiffres sous-estimés selon Olivier De Schutter, ancien rapporteur spécial des Nations-Unies pour le droit à l’alimentation, pour qui « près d’un milliard de personnes souffrent encore de sous-alimentation » et « plus de deux milliards de personnes souffrent de déficits en micronutriments essentiels − fer, zinc, iode ou vitamines. »[1]− Olivier De Schutter a signé la préface du livre de Bruno Parmentier, Faim zéro : En finir avec la faim dans le monde (La Découverte, 2014). /
Jean Ziegler[2]− En 2002, comme il l’explique dans L’empire de la honte (Fayard, 2005), Jean Ziegler a failli perdre son mandat aux Nations-Unies pour avoir estimé publiquement que le refus du président … Continue reading, son prédécesseur aux Nations-Unies, affirme, de son côté, dans L’empire de la honte (Fayard, 2005), que « toutes les cinq secondes, un enfant de moins de 10 ans meurt de faim. Toutes les quatre minutes, quelqu’un devient aveugle par manque de vitamine A. »
La faim est la principale cause de mort sur notre planète.
« Dans le monde, ajoute-t-il, environ 62 millions de personnes, soit 1/1000ème de l’humanité − toutes causes de décès confondues − meurent chaque année. En 2006, plus de 36 millions sont mortes de faim ou de maladies dues aux carences en micronutriments. »
Et le sociologue suisse de conclure : « La faim est donc la principale cause de mort sur notre planète. »
> Quels sont les effets de la faim sur l’organisme ?
Infections respiratoires aigües, diarrhées, paludisme, rougeoles… La moitié des décès d’enfants de moins de cinq ans dans le monde étaient dus, en 2004, à une malnutrition associée à une maladie infectieuse, selon le Centre Régional de Documentation Pédagogique de l’Académie de Montpellier, citant des chiffres de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS).
La malnutrition protéino-énergétique peut, par exemple causer, le marasme, qui rend le visage émacié, fait fondre les muscles, ballonne l’abdomen, ou le kwashiorkor, qui fait gonfler le ventre, tomber les dents et jaunir le teint. La carence en fer provoque l’anémie, qui prive d’énergie et de défenses immunitaires ; le manque de vitamine A peut entraîner une cécité ; le manque d’iode peut entraîner une altération de la croissance et du développement mental ; le manque de vitamine D provoquer le béribéri, qui détruit le système nerveux ; le manque de vitamine C peut provoquer le scorbut, etc. « Un corps martyrisé par la faim ne résiste pas aux infections car ses forces immunitaires sont déficientes », résume le sociologue suisse Jean Ziegler.
Les OGM : une réponse pour nourrir une population mondiale qui explose ?
La faim et la malnutrition sont la cause de souffrances pour des millions d’êtres humains et constituent un problème mondial intolérable.
Logiquement, certains veulent croire qu’il pourrait être réglé grâce à la recherche scientifique, et notamment grâce au développement des OGM.
En augmentant la productivité des récoltes, en résistant aux insectes, aux intempéries, aux aléas climatiques, à la sécheresse, au sel, en produisant plus de grains ou en se passant de pesticides, les Plantes génétiquement modifiées (PGM) pourraient-elles faciliter l’alimentation dans les pays les plus démunis ?
Selon l’ONU, la population mondiale pourrait atteindre 9,6 milliards d’habitants à l’horizon 2050.
D’autant que, selon les estimations de l’Organisation des Nations-Unies (ONU) publiées dans le rapport « World Population Prospects : The 2012 Revision », la population mondiale pourrait atteindre 9,6 milliards d’habitants à l’horizon 2050, avec plus de la moitié de cette hausse sur le continent africain.
Les terres, elles, ne sont pas extensibles infiniment. « L’idée d’accroître les rendements à l’unité de surface était une idée a priori assez juste puisque c’est la terre qui devient une ressource rare face à une population croissante », affirme Marc Dufumier, agronome et président de la Plate-Forme pour le Commerce Équitable (PFCE).
> Une solution prometteuse pour l’industrie agrosemencière et « phytosanitaires »
L’industrie agrosemencière et « phytosanitaire » a parfaitement su utiliser ce dilemme.
« La croissance de la population augmente déjà les besoins alimentaires mondiaux, notamment en protéines. Ensemble, nous devons trouver des moyens pour répondre à cette demande croissante, tout en préservant les ressources naturelles qui se raréfient », s’engage ainsi Monsanto, le n°1 mondial dans le secteur des OGM, dans une plaquette de communication intitulée « Monsanto : mythes et réalités ».
> « Monsanto : mythes et réalités » (PDF consultable en ligne). / Source : Monsanto France.
Sa promesse est simple et séduisante : produire plus de calories sur des terres de plus en plus rares, ou sur des terres infertiles.
« Nous pensons contribuer à l’amélioration de l’agriculture et de la qualité de vie en aidant les agriculteurs à produire une meilleure nourriture, moins coûteuse et en plus grande quantité, le tout en réduisant l’utilisation des sols, de l’eau, et de l’énergie », précise Monsanto France.
Dans un texte intitulé « Les recherches sur les produits de demain », le groupe américain explique qu’en 2008 « plus de 170 sites d’expérimentation ont été mis en place (Amérique du Nord, Afrique du Sud) [qui] permettent d’identifier des variétés intéressantes pour réduire les quantités d’eau utilisées par les cultures. »
Alors que Monsanto promet, pour « demain », des plantes tolérantes à la sécheresse, en 2012, une équipe argentine, financée par l’entreprise Bioceres, est parvenue à isoler un gène de tournesol résistant à la sécheresse et à l’inoculer dans du soja.
Cette expérience ouvre ainsi la voie à la culture du soja, mais aussi d’autres céréales, comme le mil ou le sorgho, dans des zones arides comme le Sahel. Des recherches portent également sur des plantes des mangroves présentant la capacité de pousser dans l’eau salée. En isolant un de leurs gènes, pourquoi alors ne pas espérer planter du blé sur des terres salées ou irriguer des plantations avec de l’eau salée ?
Les OGM sont l’un des moyens essentiels de remplir les missions originelles de l’agriculture durable : nourricière, productive et respectueuse des ressources naturelles.
Le Français Limagrain[3]− A l’heure de la publication de ce dossier, nos sollicitations auprès de Monsanto France et de Limagrain étaient restées sans réponses. / en est convaincu : « Les OGM sont l’un des moyens essentiels de remplir les missions originelles de l’agriculture durable : nourricière, productive et respectueuse des ressources naturelles. Les bénéfices sont réels : sécuriser les approvisionnements alimentaires et non alimentaires ; préserver la sûreté sanitaire des aliments ; et mieux protéger l’environnement en réduisant l’utilisation des produits de protection des plantes », explique-t-il dans une note d’information d’avril 2013.
En 2000, le directeur général du quatrième semencier mondial, Alain Catala, expliquait dans une tribune parue dans L’Express : « On sait bien que les plus grandes perspectives des OGM se situent précisément en matière d’environnement et de sécurité alimentaire ! Le but visé est de créer des plantes qui résistent mieux aux aléas du climat ou aux attaques des prédateurs, qui soient moins consommatrices d’eau ou de produits chimiques, plus riches pour l’alimentation des hommes et des animaux. »
Le groupe agricole coopératif, fondé en 1942 en Auvergne, tempère toutefois, jugeant, dans la note d’avril 2013, que « les OGM ne sont qu’un moyen supplémentaire pour atteindre, plus rapidement et de manière plus précise, les objectifs fixés depuis toujours à l’agriculture : nourrir les Hommes et leur fournir des matières premières renouvelables, tout en préservant les ressources naturelles et en respectant l’environnement. »
> Les OGM présentent des avantages selon les institutions mondiales
Selon la FAO, les OGM présentent un autre avantage : ils peuvent permettre une détérioration plus lente des aliments et donc une meilleure conservation. Dès lors, leur généralisation pourrait favoriser la lutte contre le gaspillage alimentaire.
Selon la FAO, la généralisation des OGM pourrait favoriser la lutte contre le gaspillage alimentaire.
Un phénomène que l’organisation estime à environ 1,3 milliard de tonnes de denrées alimentaires par an, soit un tiers des aliments produits pour la consommation humaine.
Au Niger, par exemple, près de 60 % des oignons récoltés sont gaspillés, déplorait le Programme des Nations-Unies pour l’Environnement (PNUE) en 2009 dans son rapport « Une révolution verte pour nourrir le monde ».
De manière générale, les institutions mondiales[4]− Sollicités par Sciences Critiques, l’Organisation des Nations-Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (Food and Agriculture Organization, FAO) et le Programme des … Continue reading restent assez timorées sur la question, leurs sites internet faisant rarement état de la question OGM ou alors dans des pages publiées il y a plusieurs années…
> Des agronomes ne jugent pas indispensable d’accroître la production agricole
« L’accroissement indispensable de la production agricole fera nécessairement appel à toute la palette des solutions disponibles », jugeait, en 2001, Alain Weil, agronome au Centre de Coopération International en Recherche Agronomique pour le Développement (Cirad), dans un document intitulé « Le Cirad et les OGM. L’avenir des plantes transgéniques dans les pays en développement ».
Et d’énumérer : « Le choix et la rotation des cultures, le travail du sol, les engrais, les produits phytosanitaires, la lutte biologique contre les agresseurs, la sélection variétale, l’irrigation… ».
> « Le Cirad et les OGM. L’avenir des plantes transgéniques dans les pays en développement », par Alain Weil (PDF consultable en ligne).
Il y a quatorze ans, en étudiant toutes les possibilités, cet agronome laissait la porte ouverte aux OGM : « On peut supposer que des perfectionnements ne suffiront pas et que des ruptures techniques deviendront également nécessaires. Le génie génétique offre de telles ruptures », concluait-il alors.
Mais, d’autres chercheurs avancent que le problème de la faim n’est pas − ou pas encore − un problème de production insuffisante.
« Depuis la crise des prix internationaux, on a vu monter le discours qui défend une augmentation de la production. Mais cette projection à 2050 ne résout pas l’urgence. Aujourd’hui, il ne s’agit pas d’une question de quantité, mais d’accès et d’inégalité. Ne nous trompons pas de problème ! », dénonce Nicolas Bricas, socio-économiste de l’alimentation au Cirad.
La faim dans le monde n’aurait donc rien d’une fatalité. Dans un premier temps, une ré-organisation des ressources disponibles permettrait d’engager une lutte efficace.
La sécurité alimentaire n’est pas un problème de production agricole. Et même si l’on devait augmenter la production, il y a tellement d’autres options que les OGM arriveraient à la fin de la liste.
Certains villages d’Afrique ne peuvent pas être approvisionnés en nourriture faute de routes carrossables.
Les agriculteurs, qui n’ont pas les moyens d’utiliser des engrais, ne sont parfois même pas équipés de tracteurs et utilisent des charrues tirées par des bœufs.
Dans ces conditions, quel est le bénéfice immédiat des plantes génétiquement modifiées ? La question des OGM, quant aux problèmes alimentaires mondiaux, serait-elle un faux débat ?
« La sécurité alimentaire n’est pas un problème de production agricole. Et même si l’on devait augmenter la production, il y a tellement d’autres options que les OGM arriveraient à la fin de la liste », analyse Nicolas Bricas.
> Jean Foyer, sociologue, chercheur à l’Institut des Sciences de la Communication du Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), spécialiste des controverses sur les biotechnologies : « Selon leur discipline, les scientifiques ont différentes manières de cadrer un problème, de le voir et de le conceptualiser. »[showhide type=”jfoyer” more_text=”Lire la suite” less_text=”Réduire”]« Selon leur discipline, les scientifiques ont différentes manières de cadrer un problème, de le voir et de le conceptualiser. De ces différentes visions découlent naturellement différentes prises de position concernant le problème étudié. Et tout cela engendre généralement de l’incompréhension, laquelle génère in fine des controverses. Ainsi, schématiquement, les biologistes moléculaires – ceux qui ont inventé les Organismes génétiquement modifiés (OGM) – ont tendance à voir le vivant comme un grand « Lego » moléculaire contrôlable : grâce à des techniques de haute précision, qui s’améliorent sans cesse, on peut maîtriser l’expression des transgènes. Leur vision des OGM est une vision d’ingénieur, réductionniste, qui tend à en occulter les dimensions écologiques et sociales. Du coup, ils ont plutôt une appréciation positive des OGM et, en termes de biosécurité, ils se rangent du côté des opposants au principe de précaution.
Les écologues, quant à eux, ont tendance à mettre en avant la plasticité du génome ainsi que l’imprévisibilité des techniques de transgénèse. Ils mettent avant tout l’accent sur les problèmes écologiques des OGM, concernant à la fois le génome mais aussi les paysages. Leur vision est holistique et elle s’inscrit plutôt en opposition au discours de précision et de contrôle des biologistes moléculaires. De fait, les écologues sont plutôt critiques vis-à-vis des OGM. Enfin, les agronomes, qui s’intéressent principalement à l’intérêt productif et aux modèles de production des OGM, se situent globalement entre les deux positions précédentes, du fait notamment de la diversité de leur discipline. Certains considèrent que les techniques transgéniques s’inscrivent dans l’histoire millénaire de l’amélioration génétique des plantes et qu’il n’y a pas de rupture fondamentale. A l’inverse, d’autres agronomes, qui s’intéressent par exemple à la résistance des OGM aux herbicides et aux insecticides, vont plutôt privilégier des études au cas par cas. » / Crédit : DR.
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« A la condition qu’ils se protègent des importations de nos excédents, serait-il possible, dans les pays du Sud, d’accroître les rendements à l’unité de surface, sans avoir recours aux plantes OGM, ou même à ces variétés dites améliorées, qui ne donnent des rendements qu’au prix de lourds déséquilibres écologiques ? », s’interroge Marc Dufumier. « La réponse est oui. »
« C’est parfaitement possible dans ces pays qui sont parfois excédentaires, comme le Brésil, mais aussi qui sont parfois déficitaires, comme le Mali, le Niger, le Burkina Faso, le Tchad, caractérisés par des zones semi-arides ou soumises à des inondations », développe le chercheur.
Sa solution ? « Gérer en circuit court, par la voie biologique, les cycles du carbone, de l’azote et de l’eau. Voilà les vrais défis de l’agriculture moderne de demain pour les pays les plus déficitaires aujourd’hui. »
Le rapport de la FAO sur l’insécurité alimentaire dans le monde daté de 2006 considère que l’agriculture mondiale actuelle pourrait nourrir 12 milliards d’êtres humains, à raison de 2 700 kilocalories par jour et par individu. Or, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) fixe l’apport nutritionnel minimum pour un adulte à 1 900 kilocalories par jour seulement.
Si les ressources nécessaires existent, le problème n’est donc pas un problème de quantité, mais un problème de distribution.
En 2012, des « agronomes et spécialistes des questions de sécurité alimentaire » au Cirad et au Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) avaient co-signé une tribune dans Libération.
la faim est utilisée comme alibi pour le développement des OGM.
Ils estimaient que la faim dans le monde est utilisée comme « un alibi pour le développement des OGM. » « Le problème est d’abord celui de l’accès à l’alimentation », considéraient-ils également.
Co-signataire de cette tribune, Nicolas Bricas estime aujourd’hui, après une vingtaine d’années au cours desquelles les questions agricoles ont été délaissées, que « le monde agricole, de façon générale − des multinationales de semenciers aux agriculteurs en passant par les institutions agricoles —, a utilisé la crise et les perspectives à l’horizon 2050 pour se justifier et retrouver de la légitimité dans le débat. »
Peut-on encore croire à un « miracle OGM » ?
« Cela fait 20 ans qu’on nous fait le coup de nous dire que les OGM vont nous sauver de la faim dans le monde. Et les OGM n’ont apporté aucune réponse, parce que ce n’est pas à travers la question des OGM qu’on va régler la question de la faim dans le monde », s’agace Jean-François Julliard, directeur général de Greenpeace France.
« Ce ne sont pas les technologies, l’invention de quelque chose de nouveau, qui règlera le problème de la faim dans le monde », estime, pour sa part, François Affholder, agronome au Cirad et co-signataire de la tribune de Libération.
Selon lui, il est nécessaire que « les urbains comprennent qu’il y a un prix à payer pour que les agriculteurs les nourrissent. La solution à la faim dans le monde est d’abord et avant tout politique, au sens large. »

« Il existe au moins deux types de science : les sciences du diagnostic et la technoscience. Les premières cherchent à produire des énoncés les plus vraisemblables, les plus objectifs possibles, comme les sciences du climat, par exemple. C’est la science « classique ». La seconde ne cherche pas la vérité sur des états de fait, sur des états du monde. Elle conçoit des objets – comme les Organismes génétiquement modifiés (OGM) –, destinés à être vendus sur des marchés et qui sont dès lors soumis aux modalités traditionnnelles de jugement, en dehors de l’opposition vrai/faux : un diagnostic peut être plus ou moins vrai, mais pas un objet. Par ailleurs, on peut ainsi se montrer circonspect quant à la faculté des OGM à sauver la faim dans le monde… Ce qui sécuriserait la production de nourriture au niveau mondial serait plutôt de sauvegarder la richesse du patrimoine génétique. Or, avec les OGM, on assiste plutôt, depuis quelques années, à un surcroît de raréfaction de la richesse génétique !La controverse sur les OGM n’est pas récente, elle a une vingtaine d’années et aucun argument décisif n’a été apporté… Les débats peuvent porter sur des aspects qui n’ont rien de scientifiques et concerner l’économie ou le droit. En outre, la controverse sur les OGM met à l’épreuve le principe de précaution. Souvent, ce dernier est considéré comme une entrave à l’innovation technoscientifique, surtout dans les milieux économiques, mais aussi au sein d’institutions comme l’OPECST. On y voit un principe d’éradication du risque tous azimuts. C’est absurde. Face aux techniques nouvelles, il joue plutôt le rôle de “filtre” du progrès technique, faisant le tri, au cas par cas, entre les techniques socialement utiles et celles qui sont, en l’état, socialement dangereuses. Pour ce faire, le principe de précaution en appelle précisément aux sciences du diagnostic. Et ces dernières ont pour rôle de dénoncer les situations les plus dangereuses. Une nécessité à une époque où les dangers sont bien souvent invisibles en échappant à nos sens... ». / Crédit : DR.
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Un constat partagé par Marc Dufumier. « Sur 7,2 milliards d’humains, il y en a entre 800 millions et un milliard, selon les années, qui souffrent de la faim, et encore un autre milliard qui souffre de malnutrition. La question est : quelle en est la cause, puisque la nourriture existe ? C’est tout simplement que les gens sont trop pauvres et n’arrivent pas à l’acheter. C’est la pauvreté qui est à l’origine de la faim et de la malnutrition dans le monde », tranche ce partisan du principe de précaution.
Un principe qui comporte aussi ses dangers, répond Niko Geldner, professeur assistant au Laboratoire de Biologie Moléculaire Végétale de l’Université de Lausanne (Suisse).
« Quand les enjeux sont aussi grands que l’alimentation, on ne peut pas se permettre de ne pas tester une technologie. Le système est pervers, on cesse même de réfléchir. Si j’ai une idée issue de ma recherche fondamentale, je ne cherche même plus à trouver des solutions appliquées, tellement ça serait compliqué d’obtenir des permissions et de convaincre… », regrette-t-il.
> Les rendements ne sont pas au rendez-vous
Reste que de sérieux doutes commencent à apparaître concernant les rendements des OGM.
« Il n’y a pas urgence à mobiliser les OGM pour résoudre la faim dans le monde, estime François Affholder. Sur le principe, il ne faut se priver d’aucune option. Mais aucun OGM n’a fait preuve d’un gain de productivité considérable, toutes choses égales par ailleurs, dans l’environnement économique des exploitations. C’est très exagéré de dire qu’il pourrait s’agir d’une solution à la faim dans le monde. »
Une étude américaine A montré que les OGM n’augmentent pas les productions de maïs et de soja.
Pour Marc Dufumier, si les plantes OGM, qu’il qualifie de « première génération », ont connu le succès, c’est pour une toute autre raison.
« Ces plantes furent des réponses momentanées, non pas tant pour augmenter les rendements à l’hectare, mais plus pour réduire les coûts de production. Là où on désherbait par la voie physique dans un premier temps, on s’est débarrassé de gens qui désherbaient », résume l’agronome.
En 2009, une étude, réalisée par des experts américains de l’Union of Concerned Scientist et intitulée « Failure To Yield. Evaluating the Performance of Genetically Engineered Crops », montrait que l’utilisation des OGM n’augmente pas sensiblement les productions de maïs et de soja.
Excepté pour un type de maïs − dit « Bt » − , dont les rendements augmenteraient de 7 à 12 % par rapport à un maïs traditionnel sur des terres infestées − mais seulement de 2 à 3 % sur des terres saines.
Les chercheurs attribuent les progrès à de meilleures techniques agricoles plutôt qu’à un effet OGM.
Les résultats publiés sont en tout cas très inférieurs aux 12 à 20 % d’augmentation annoncés par Monsanto.
l’insécurité alimentaire est une question politique, et pas agronomique.
« L’erreur serait de croire que les OGM sont déterminants alors qu’ils ne peuvent être qu’un auxiliaire », met en garde François Affholder.
Un avis partagé par Nicolas Bricas : « Il faut reconnaître que l’insécurité alimentaire est une question politique, et pas agronomique. Les OGM ont très peu à voir dans ce débat. Peut-être pour résoudre des problèmes locaux, dans certains cas, je ne suis pas contre le principe. Mais aujourd’hui, dire que cela va nourrir la planète, c’est pour légitimer des entreprises. »
> Les techniques pour enrichir les céréales ne sont pas au point
Sans parler d’augmenter les quantités produites, peut-on néanmoins croire que les OGM permettront bientôt de mieux adapter les cultures aux besoins alimentaires locaux ? La tolérance des plantes à la chaleur, à la salinité ou à la sécheresse peut-elle être augmentée en ajoutant un gène spécifique ?
Verra-t-on du riz augmenté d’un gène provenant d’une autre variété qui en ferait un riz plus résistant aux aléas climatiques ou capable de pousser sur un sol aride ? Du blé qui n’aura besoin ni d’engrais, ni de pesticides, ni d’insecticides ?
Disposer de plantes mieux adaptées à l’environnement pourrait théoriquement constituer un bénéfice très important à porter au crédit des OGM. D’autant que cette adaptabilité pourrait aussi concerner les hommes.
La malnutrition causant de sévères carences en micronutriments, les chercheurs se sont employés à chercher des combinaisons génétiques qui augmenteraient la valeur nutritive des aliments : créer du riz et du blé enrichis en vitamines, en protéines, en oméga 3, etc.
Cultivé dans des conditions réelles, le « riz doré » produisait finalement trop peu de bêta-carotène et s’est avéré inutile.
Évoquons par exemple le « riz doré », un riz OGM enrichi en béta-carotène, transformé en vitamine A par l’organisme et créé à l’École Polytechnique Fédérale de Zurich (Suisse). Or, la carence en vitamine A peut conduire à la cécité et augmente le risque de certains cancers.
La FAO estime, dans un document portant sur la nutrition dans les pays en développement, que 500 000 à un million d’enfants développent ces troubles oculaires chaque année, dont près de la moitié deviendra aveugle et une grande proportion mourra.
En 2000, le magazine Time annonce en Une que le « golden rice », tel un aliment-médicament miracle, pourrait sauver pas moins d’un million d’enfants.
Selon Ingo Potrykus, l’inventeur du riz doré, les enfants nourris par ce riz hors du commun « auraient une meilleure vision et renforceraient leur résistance aux maladies infectieuses. »
Sauf que l’expérience du riz doré s’est soldée, pour l’heure, par un échec technique. Cultivé dans des conditions réelles, il produisait finalement trop peu de bêta-carotène et s’est avéré inutile.
En 2005, une nouvelle variété appelée « riz doré 2 » a été annoncée par Syngenta, qui aurait produit jusqu’à 23 fois plus de bêta-carotène que la variété originale de riz doré.
À ce jour, aucune des deux variétés n’est disponible sur le marché.
Tout le problème des OGM est là : les résultats ne sont bien souvent pas à la hauteur des promesses.
Nicolas Bricas constate d’ailleurs un changement dans le discours des militants pro-OGM : « Il y a la recherche d’un nouveau type de légitimité par le biais de la nutrition. Mais les nutritionnistes montrent que l’enrichissement n’est sans doute pas la meilleure solution. Le principe, c’est la diversification d’abord : le moyen le plus simple, avec des solutions locales, sans passer par la “fortification” de l’industrie agroalimentaire ou la génétique de l’industrie semencière. »
Alors, peut-on au moins sérieusement envisager que des céréales « hyper-résistantes » soient mises à disposition des agriculteurs dans les pays les plus concernés par l’insécurité alimentaire ?
Certes, des plantes tolérantes à des conditions de stress environnemental − telles que la sécheresse, la salinité, le froid − sont en cours de développement ou à l’étude. Mais cet argument est « fallacieux » pour Hervé Kempf.
En quoi la technique OGM est-elle plus efficace que les techniques standard de sélection par hybridation ?
Dans La guerre secrète des OGM (Seuil, 2007), le journaliste explique qu’on a « tenté de faire croire que les OGM apportent une réponse immédiate au problème, alors que les transgènes pouvant intéresser réellement les pays du sud – « riz doré », plantes résistantes à la sécheresse ou à l’eau salée − n’étaient pas prêts et ne le seront, au mieux, que d’ici à plusieurs années. »
Un constat partagé par Nicolas Bricas, qui s’interroge : « En quoi la technique OGM est-elle plus efficace que les techniques standard de sélection par hybridation ? Y’aura-t-il des progrès pour lutter contre la salinisation des terres ? Des plantes plus plastiques qui résisteront mieux à des variations climatiques fortes ? Je n’en sais rien. Mais rien dans nos débats n’a émergé pour le moment. »
Tout est une question de moyens, selon des chercheurs suisses de l’Université de Lausanne, qui ont publié une tribune dans Le Temps en 2011 intitulée « Les OGM peuvent être une solution ».
« Si le développement d’OGM coûte si cher, c’est en grande partie à cause des nombreuses barrières légales et administratives qui rendent la culture des OGM bien plus difficile que celle des variétés non OGM. De ce fait, le développement d’OGM utiles à l’agriculture est actuellement presque hors de portée des organisations publiques », estiment-ils. Ils réclament une discussion sur « chaque projet d’OGM, au cas par cas ».
on continue Le travail DE sélection DE NOS ANCÊTRES. Mais de façon beaucoup plus rapide.
L’un d’entre eux, Niko Geldner, explique que « la transgénèse est la suite d’un processus commencé il y a 8 000 ans. Dans la nature, des mutations ont tout le temps lieu. Nos ancêtres ont sélectionné certaines variétés parce qu’elles étaient plus avantageuses. Aujourd’hui, on continue ce travail. Mais de façon beaucoup plus rapide », commence le chercheur.
Il poursuit : « Si c’est très long à développer, c’est à cause d’une énorme charge régulatrice. Sans ces règles, cela prendrait peut-être cinq ans de mettre sur le marché une vingtaine de variétés adaptées aux besoins locaux. »
Un problème qui, d’après lui, explique aussi l’échec relatif du riz doré : « Ingo Potrykus doit prendre une variété de riz doré transgénique et la croiser avec d’autres variétés adaptées aux milieux locaux, et c’est long. Avec la transgénèse directe, cela irait très vite. Mais il devrait, à chaque fois, engager une procédure de permission. Cela n’a aucun sens ! »
Les OGM : une solution inadaptée aux besoins alimentaires
Mais même en imaginant que des PGM adaptées soient développées, qui peut prétendre que les paysans pauvres y auront accès ?
Les OGM brevetés ne peuvent pas être échangés. Ils doivent être rachetés chaque année, plus chers que les semences conventionnelles. « Les semences de coton OGM coûtaient 41 euros le sac au Burkina Faso début 2012, contre 1,2 euro pour les semences conventionnelles », avance l’économiste agricole Materne Maetz dans une tribune relayée par le site d’information Reporterre.
La réalité quant à l’utilisation des OGM aujourd’hui s’avère d’ailleurs bien différente des projets d’alimentation universelle.
l’argument de la résolution de la faim tient de l’exploitation de la misère pour imposer une technologie encore controversée dans les pays industrialisés.
Les PGM actuellement sur le marché n’ont quasiment aucun lien direct avec la question de la faim dans le monde, dénonce Inf’OGM. Pour ce site militant, « elles ont été pensées pour faciliter le travail des grands agriculteurs. »
Pour l’heure, les entreprises biotechnologiques se sont concentrées sur des cultures transgéniques destinées à la transformation industrielle (carburants, plats cuisinés avec de la lécithine de soja) ou à l’alimentation animale. Et non sur celles destinées à l’alimentation humaine.
« La recherche publique, qui pourrait orienter les programmes vers des aliments de base, est de plus en plus soumise aux volontés du secteur privé, seul capable de lever des fonds pour investir dans des recherches extrêmement coûteuses. S’il est “éthiquement condamnable” de vouloir priver les pays en développement des OGM, l’argument de la résolution de la faim tient plus de l’exploitation de la misère pour imposer une technologie encore controversée dans les pays industrialisés », analysait, en 2001, l’Organisation non gouvernementale (ONG) Solagral dans un document réalisé en partenariat avec l’Unesco et intitulé « OGM : le champ des incertitudes. Cinq fiches pour comprendre, anticiper, débattre ».
Sur la période 1986-1995, plus de 3 500 essais au champ de plantes transgéniques ont été conduits dans 34 pays différents sur au moins 56 plantes : 91 % d’entre eux dans les pays industrialisés et seulement 9 % dans les pays en développement, notamment en Amérique latine et en Chine.
Une agriculture à la fois biologiquE et transgénique.
La part des essais réalisés en Afrique n’était que de 0,7 %, pratiquement tous en Afrique du Sud, précise encore l’étude Solagral-Unesco.
Une situation qui n’a rien d’une fatalité aux yeux de Niko Geldner. « Il n’est pas nécessaire que ce soit la “Big pharma” ou l’agrobusiness qui utilise la technologie OGM. La recherche publique ou même des ONG peuvent le faire », considère le chercheur suisse.
Pour lui, il serait même permis de « rêver » à une agriculture à la fois biologique, qui utiliserait moins d’engrais, et transgénique, « robuste », face aux attaques de maladies, d’insectes ou aux pénuries d’eau.
Dossier coordonné par Aurélie Delmas, journaliste / Sciences Critiques.
> Dessin : Baptiste Filippi
> Distribution de riz dans le village de Berano, Madagascar (mars 2015) : Jeanne Richard
Pour en savoir plus…
> Livres
- Hervé Kempf, La guerre secrète des OGM, Seuil, 2007.
- Jean Ziegler, L’empire de la honte, Fayard, 2005.
- Frédéric Denhez, OGM, le vrai du faux, Delachaux et Niestlé, 2013.
- Corinne Lepage, La vérité sur les OGM, c’est notre affaire !, Charles Léopold-Mayer, 2012.
- Philippe Godard, OGM, Semences politiques, Homnisphères, 2008.
> Documentaires
- Bientôt dans vos assiettes (de gré ou de force), de Paul Moreira, 2014.
- Le monde selon Monsanto, de Marie-Monique Robin, 2007.
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References
↑1 | − Olivier De Schutter a signé la préface du livre de Bruno Parmentier, Faim zéro : En finir avec la faim dans le monde (La Découverte, 2014). / |
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↑2 | − En 2002, comme il l’explique dans L’empire de la honte (Fayard, 2005), Jean Ziegler a failli perdre son mandat aux Nations-Unies pour avoir estimé publiquement que le refus du président zambien de recevoir gratuitement du maïs OGM américain était « légitime ». / |
↑3 | − A l’heure de la publication de ce dossier, nos sollicitations auprès de Monsanto France et de Limagrain étaient restées sans réponses. / |
↑4 | − Sollicités par Sciences Critiques, l’Organisation des Nations-Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (Food and Agriculture Organization, FAO) et le Programme des Nations-Unies pour l’Environnement (PNUE) n’ont pas répondu. / |
26 mai 2015 à 10 h 24 min
C’est bien de ne pas avoir parlé des prétendus dangers de toxicité liée au génie génétique, mais c’est un peu dommage d’avoir inclus une image d’épi de maïs avec la main gantée et la seringue de liquide bleu, ça fait un peu parti pris, en tout cas sans commentaires explicatifs.
Je regrette que le discours sur les OGM soit si blanc ou noir et simpliste. Le seul point commun qui permettrait de généraliser est la technologie employée, qui n’a rien à se reprocher du côté environnemental, toxicologique ou éthique. Il faudrait plutôt que le débat porte sur les différents types de transgenèses, les organisations qui les produisent, ou les pratiques agricoles, car il n’y a rien de commun entre un OGM tolérant les herbicides, produisant son propre insecticide ou un micronutriment, résistant à certaines maladies ou facteurs climatiques, ou entre une entreprise privée comme Monsanto et l’institut public suisse mentionné.
Cette simplification est à condamner dans les deux camps, Monsanto en particulier fait un travail déplorable de communication en basant son discours sur de fausses vérités comme “nourrir le monde” comme mentionné, ou “adapter les cultures au changement climatique”, au lieu de simplement admettre que leurs uniques développements sont clairement à but économique, résultat des meilleurs rendements ou des économies garantis aux agriculteurs, par exemple en permettant la technique sans labour qui nécessite moins de passages et de fuel. Le point de vue des agriculteurs et de leur réalité quotidienne est malheureusement pratiquement toujours absente du débat.
Personnellement, je pense que le génie génétique est même compatible avec l’agriculture biologique, spécialement l’arboriculture fruitière où plusieurs pesticides de synthèse sont toujours autorisés en l’absence d’autres moyens biologiques de lutte. En cette époque d’économie globale, mêmes les maladies et insectes voyagent d’un continent à l’autre, et certains deviennent catastrophiques pour les cultures locales ou l’environnement naturel. Les OGM ne sont pas une panacée, juste un outil comme d’autres, et on est encre loin de connaître le rôle de tous les gènes, mais il n’est parfois pas possible de sélectionner conventionnellement des variétés résistantes à ces nouvelles conditions. L’exemple du châtaignier d’Amérique est intéressant, pratiquement toute la population (plusieurs milliards d’arbres) a déjà été décimée par un chancre. Il est possible de comparer la variété OGM créée à partir d’arbres non infectés et un gène de résistance issu du châtaignier japonais avec un croisement entre ces deux espèces, qui malgré des années de sélection et de régression des gènes du châtaignier japonais (hormis ceux de résistance) est toujours différent de l’original, à un pourcentage qui correspond probablement à ce qui nous sépare du chimpanzé, et qu’il semble impossible de jamais arriver à retrouver le châtaignier original à l’aide de cette méthode, alors que le châtaignier OGM était strictement identique à l’original dès sa première année. En France, l’essentiel de la lutte actuelle repose sur le greffage sur des porte-greffes résistants, qui apportent aussi leur propre problématique. Tout cela nécessite une connaissance appropriée du sujet, des tenants et aboutissants de chaque solution, et tout a priori ou préjugé ne peut que nuire au débat et à la meilleure solution retenue.
Je ne peux que féliciter les auteurs qui cherchent à dépassionner le débat et à proposer des points de vue objectifs. Ils sont peu nombreux.